Edito : Mayotte, un département jeune… et trop longtemps délaissé

Il y a 20 ans l’essentiel de la population vivait de la pêche et de l’agriculture, l’eau courante et l’électricité n’étaient pas disponibles tous les jours, seules deux ou trois petites supérettes approvisionnaient les habitants. L’état-civil et le cadastre n’étaient pas en place. Le conseil général comptait moins de 1.000 salariés…>

En 20 ans, Mayotte a fait des pas de géant. L’île aux parfums a vécu au rythme d’une croissance de 5 à 7% par an, mais partait de très loin. Le PIB par habitant s’élevait à 5.200€ en 2005 et déjà 7.900€ en 2011 (+65% en 6 ans !). Il était de 15 à 20.000€ pour le reste de l’Outremer et 31.500€ en Métropole…

En 20 ans, l’école de la République a vu le jour, accueillant désormais toutes les filles, et un système sanitaire s’est mis en place, provoquant une baisse de la mortalité infantile. Associés à une immigration massive, l’île a connu et connaît une forte explosion démographique. 65% de la population a moins de 25 ans !

Mais durant plusieurs décennies, l’Etat est resté incertain sur l’avenir qu’il était prêt à accorder à l’île, maintenant un statut institutionnel « provisoire » qui a duré longtemps.

Il a fallu toute la volonté, l’acharnement, l’intelligence des dirigeants de l’époque – refusant de (re)tomber dans le giron comorien et (re)devenir une « colonie » d’Anjouan ou de Grande Comore, sous la houlette de quelques grandes familles d’origines arabes qui se partagent le pouvoir et les aides au développement depuis des décennies, abandonnant sans gêne dans des kwassas les descendants d’esclaves sans éducation ni santé -, pour que Mayotte soit aujourd’hui un département.

Durant cette période de transition, la population a crû, l’immigration clandestine s’est intensifiée depuis le visa Balladur en 1995 et le sous-développement des Comores voisines, les infrastructures sanitaires et éducatives se sont engorgées, l’urbanisme sauvage a prévalu, sans plan, sans contrôle. Les agents publics ont été recrutés sans qualification, sans concours, sous le regard de l’Etat qui économisait alors toutes les aides sociales, même aux handicapés. Ils ont saturé les collectivités locales d’agents de catégorie C, à 90%, et pour une très grande partie illettrés, nous rapporte le CNFPT, incapables sans encadrement de conduire des projets, d’activer les MJC, de s’occuper de la jeunesse… Sous la pression des syndicats et la bienveillance politicienne des élus en place, ils ont été intégrés, indexés et désormais les comptes publics explosent sous la pression des salaires, explique chaque année la Chambre régionale des comptes, maintenant la majeure partie des communes et autres collectivités sous tutelle. Le taux de rigidité des budgets de certaines communes (les dépenses obligatoires : salaires, eau, électricité…) dépasse parfois les 100%… Il ne reste plus grand-chose pour les investissements.

En parallèle, durant des années, les dotations de l’Etat envers les Français de Mayotte ont été ridiculement basses, les retraites se montaient à 300€ par mois il y a encore peu. Les dépenses des administrations par habitant représentent 4.900€, contre 7.500€ au niveau national, alors que l’économie est encore embryonnaire avec 62% du PIB qui est le fait des administrations, contre 37% à la Réunion et 26% au niveau national.

Des retards conséquents ont été pris. Dans des collèges prévus pour 800 élèves, ils sont plus de 1.500 aujourd’hui, tassés, générant de mauvaises conditions de travail, de la violence, aggravées avec l’arrivée de la « chimique ».

Plus de 60.000 clandestins vivent sur les hauteurs de Mamoudzou et aux abords de quelques villages : 40% de la population ! Des milliers d’enfants se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, abandonnés, avec la délinquance pour seule issue, seule porte pour manger.

Mayotte a souffert, Mayotte souffre !

L’Europe va permettre de mettre en place progressivement la collecte, le traitement des déchets et l’assainissement, pour vivre plus sainement et protéger cette merveille qu’est le lagon, notre plus grande richesse naturelle, notre atout pour demain, pour l’aquaculture, pour l’énergie, le tourisme.

Mais la plupart des écoles de l’île fonctionnent en rotation : le matin il y a un directeur, des enseignants, des élèves, et vers 13h00 ils laissent la place, dans les mêmes locaux, à un nouveau directeur, de nouveaux enseignants et d’autres élèves !… Les activités extra-scolaires sont à oublier.

Mais la violence de ces enfants abandonnés, de ces « enfants poubelles », grandit avec eux. Nés ici, il faudra pourtant bien les intégrer.

La baisse dramatique du niveau scolaire et l’insécurité générée font fuir les enseignants pourtant si nécessaires et des centaines de contractuels sans expérience et sans les diplômes et formations adéquats sont de plus en plus nombreux face à nos enfants; ils seraient même majoritaires dans certains établissements. A chaque rentrée scolaire c’est la ruée aux postes… Les médecins refusent aussi de venir, malgré des primes supplémentaires mises ne place en octobre dernier.

Désormais ce sont des cadres mahorais, des chefs d’entreprises qui quittent l’île, refusant de sacrifier l’éducation ou la santé de leurs enfants.

Mayotte va mal, et il est temps d’agir vraiment. La taille de l’île – la faiblesse relative des moyens nécessaires – et les économies réalisées depuis des années sur les Français de Mayotte devraient conduire le Gouvernement à engager des mesures fortes. C’est l’espoir cristallisé autour de la venue du Premier ministre et du plan pour Mayotte en 2025…

Le Contrat de plan amènera des progrès, c’est certain, mais servira surtout à apporter la contrepartie de l’Etat pour mobiliser les fonds européens. Mayotte 2025, issu de la concertation des autorités locales et de l’Etat, devrait participer à combler ces retards dans les infrastructures, les équipements sportifs, dans la piste longue, dans les voies de circulation nouvelles et urgentes, dans les transports en commun, dans les aménagements urbains de Mamoudzou, mais aussi, et surtout dans la constructions des écoles, collèges et lycées qui manquent si cruellement aux enfants. La République ne peut pas, ne doit pas faire cette économie !

Il faut aussi accompagner les communes et collectivités locales. Elles ne peuvent pas être abandonnées pour les 25 prochaines années : la moyenne de leurs agents est de 35 ans… Il faut donc former les agents, massivement, les (ré)orienter vers la prise en charge de la jeunesse, dans la culture, le sport, l’environnement, le social. Il faut faciliter les départs à la retraite et les remplacer par des cadres tant attendus. Ils sont trop peu nombreux aujourd’hui, parfois complètement débordés par l’ampleur de la tâche et les attentes de plus en plus fortes des citoyens, d’autant plus depuis qu’ils payent des impôts locaux.

Les collectivités locales doivent (re)prendre en main leur jeunesse qui ne demande que ça, relever le niveau scolaire par du soutien, des activités sportives et culturelles, faire ainsi reculer la délinquance, l’insécurité et redonner à Mayotte toute son attractivité.

Mayotte est un joyau francophone, européen, de culture swahilie et malgache, de religion musulmane, le long de l’Afrique australe, une zone en plein boom pétrolier et gazier. L’île a énormément d’atouts à valoriser. L’annonce de la demande de l’inscription du lagon et de sa barrière de corail de plus de 160 km de long, au Patrimoine de l’Humanité (re)donnerait espoir et enverrait une image positive de cette île et de ses habitants, qui ne méritent pas moins.

Laurent Canavate

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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