En ce que cette départementalisation représentait la promesse de l’État à une partie de sa population, cette promesse tenue faisait honneur aux hommes politiques, et rendait hommage à tous ceux qui s’étaient longtemps battus pour cet idéal républicain. “Et maintenant ?…», titrait déjà Mayotte Hebdo au lendemain de cette érection. Mayotte a continué à grandir, au rythme de sa population qui a explosé, qui explose. Les cases sont devenues étroites, des étages parfois brinquebalants sont apparus sur les toits des maisons, puis d’autres étages, pour essayer de loger tout ce monde, souvent sans respect des règles d’urbanisme, anarchiquement, dangereusement. Des bidonvilles ont surgi, et s’agrandissent chaque jour. Des collines, des forêts sont rasées pour les accueillir, des tortues braconnées pour nourrir cette population. Les écoles n’ont pas été construites en temps et en heures, faute de prévoir, d’organiser, faute de foncier propre ou de moyens financiers, et aujourd’hui les enfants se serrent dans des écoles, des collèges et des lycées surpeuplés, malgré les efforts déployés. Les projets n’avancent pas au rythme qu’il faudrait, les dossiers trainent, faute de dirigeants et de cadres suffisamment compétents et/ou efficaces, à cause d’agents embauchés massivement, payés parfois royalement et qui aujourd’hui empêchent les administrations de fonctionner normalement, paralysant l’île et tous ses espoirs. Mayotte grandit, les ruelles deviennent plus étroites, au rythme des bus qui s’agrandissent. Les rues s’embouteillent au rythme des nouvelles immatriculations quotidiennes. Et la situation empire, les problèmes s’accumulent : clandestinité massive, délinquance, violence, pression irréversible sur les forêts, sur le lagon, générations sacrifiées sur les bancs de l’école, chômage massif faute de développement économique, intégrations dans les fonctions publiques sans concours, sans le niveau, embauches de complaisance dans les collectivités locales, jusqu’à n’en plus pouvoir, jusqu’à devoir taxer très fortement tout ce qui rentre au port, jusqu’à rendre la vie très chère, jusqu’à faire exploser les impôts locaux… La coupe est pleine et déborde. Et aujourd’hui, ce n’est plus l’argent du sirkali qui paye…
Aujourd’hui ce n’est plus “gratuit”. Seul le travail payera ! Mayotte grandit, vite, très vite, trop vite peut-être ?… Les urgences s’amoncellent et se mêlent aux problèmes graves. Il faudrait pouvoir tout remettre à plat et repartir sur des bases saines, mais ce n’est pas possible. Alors il faut beaucoup d’énergie, d’intelligence, de force pour démêler l’écheveau de ces problèmes, pour essayer de les résoudre un par un. Il faut une vision claire, beaucoup de courage pour reconnaître les problèmes d’abord, leurs causes, et les affronter ensuite, en trouvant des solutions adéquates. Il faudrait pouvoir avancer sur tant de fronts en même temps… et l’urgence le nécessite. Certains enfants ne mangent que la Pars et dorment en classe, d’autres caillassent les pompiers, les forces de l’ordre et les citoyens innocents… Beaucoup vivent comme en prison, derrière les barreaux sécurisants de leurs maisons déjà violées. Il faudrait beaucoup de bonnes volontés, de compétences, de sérieux, de dévouement à la cause du développement harmonieux de Mayotte. Mais il n’y a plus de place dans les bureaux climatisés, et certains sont même mis au placard. Trop ne pensent qu’à leurs pouvoirs, à leurs titres ronflants, leurs salaires, leurs avantages et quelques voyages grappillés de-ci de-là, sans même penser à ce qu’ils apportent à Mayotte, à leurs devoirs, à leurs obligations de résultat, à leurs électeurs, aux chantiers qu’ils doivent faire avancer. Trop peu sont réellement actifs, efficaces, vraiment honnêtes par rapport à leur travail. Le défi est énorme, et Mayotte grandit, chaque jour. Et les urgences sont toujours plus criantes. Des dossiers avancent, avec de belles surprises parfois, des situations s’améliorent, des bâtiments sortent de terre, mais si peu au regard des besoins de plus en plus criants, au regard des nouveaux problèmes qui apparaissent. Pour rattraper le retard, il faut aller plus vite, être plus actif. Il faut gérer les équipes plus efficacement, les mobiliser plus, mieux. Lorsque le bateau prend l’eau, en plein océan, il faut en urgence le vider, mais aussi que d’autres réfléchissent pour le réparer. Il faut la volonté, mais aussi les compétences et les moyens nécessaires. Et pour tenir le coup dans ce moment difficile, il faut des dirigeants qui donnent de l’espoir, qui fassent rêver à un avenir meilleur, qui nous donnent du courage. Mayotte arrivera-t-elle à passer ce cap difficile ? Les dirigeants arriveront-ils à redresser la barre, à travailler ensemble, avec leurs équipes (re)mobilisées pour Mayotte, ou alors continueront-ils à laisser aller tranquillement, voire à tirer la couverture à eux, au risque de tout déchirer ? En tout cas Mayotte grandit et le challenge est là.
Laurent Canavate
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.