Ces derniers jours, Mayotte a été entendue sur les ondes, sur internet, dans les journaux nationaux. La ministre s’est fendue d’interventions télévisées, de communiqués. Tous les médias y sont allés de leurs articles, de leurs analyses, de leurs comptes-rendus sur la situation dramatique de Mayotte. C’était sûrement nécessaire. Globalement c’était plutôt bien, nos préoccupations ont été entendues, relayées.
Et maintenant ? Concrètement ?…
Les citoyens se sont très fortement mobilisés ce mardi 19 avril, avec plus de 6.000 personnes dans les rues de Mamoudzou. Ils attendent, ils demandent, ils exigent de l’Etat et de leurs élus, qu’ils trouvent, ensemble, des solutions pour améliorer la situation de Mayotte, que l’île retrouve sa sécurité, son attractivité, sa joie de vivre.
Une rencontre de nos élus est prévue avec le Premier ministre le 26 avril. Qu’en est-il attendu ? S’agira-t-il juste de demander de l’argent pour les communes exsangues et des forces de l’ordre supplémentaires, certes bien nécessaires ? De l’argent pour les communes et le conseil départemental qui ont embauché des centaines, des milliers d’agents depuis des années, jusqu’à en être saturés ? Sans suivi de carrière (?), sans être capables de les former sérieusement malgré les possibilités, malgré le CNFPT où beaucoup de formations se terminaient quasiment sans agent.
Pour établir des relations saines, respectueuses, il faut tenir un langage de vérité. Il y a eu tant de recrutements familiaux, politiques, sans fiche de poste, sans compétence, sans concours, qui asphyxient depuis des années déjà le conseil départemental et les mairies, incapables de mener à bien des projets sérieux, ambitieux ?… Incapables de répondre aux enjeux et aux attentes des citoyens exaspérés.
Alors plutôt que d’augmenter les impôts locaux pour payer cette masse salariale, il conviendrait déjà de faire preuve de courage et de mettre ces équipes au travail, quitte à avertir, voire virer ceux qui ne bossent pas ou ne sont même pas à leur poste de travail, quitte à favoriser leur départ à la retraite, à les aider dans leur reconversion, et à y mettre des gens compétents. Il y a de plus en plus de jeunes compétents, expérimentés qui ne demandent qu’à se mettre au service du territoire, certains sont déjà dans les services, dans un placard, du fait de leur «couleur politique», d’autres trépignent sur les réseaux sociaux. Trouvez-leur une place, une mission, vite. Mayotte en a besoin.
S’agira-t-il pour l’Etat de dire que les choses s’arrangent lentement, que le chantier est considérable et que des efforts sont déjà consentis ? Devrions-nous nous satisfaire d’une école qui fabrique des analphabètes entassés dans des établissements, sans assez d’enseignants titulaires; d’une île qui croule sous l’immigration clandestine et où l’Etat n’est pas capable d’assurer la sécurité de ses citoyens ? Devrons-nous accepter de vivre sous le couvre-feu, barricadés dans des maisons-prisons, avec la peur de sortir dès la nuit tombée et de laisser des bandes de délinquants faire régner leur loi ?
Devrons-nous accepter de nous contenter d’un PIB par habitant de 7.900 €, quand il est de 31.500 € en Métropole, sous prétexte que nos voisins sont plus pauvres encore ?
Je pense que pour (re)lancer Mayotte, il convient que les uns et les autres arrêtent de se mentir, de nous mentir. Mayotte va mal, très mal ! Et je pense que l’Etat et nos élus doivent travailler ensemble, comme cela est dit et répété depuis des années, sans préjugés, avec sérénité, intelligence et respect mutuel.
Concernant l’immigration clandestine, problème crucial, les élus mahorais, bien au fait de la situation sur le terrain, devraient imposer à l’Etat et au Quai d’Orsay de reprendre les discussions avec l’Etat comorien. Il faut régler le problème en amont, plutôt que courir derrière sans fin en aval, épuisant les forces de l’ordre et générant un impact dramatique sur la nature, mais aussi engorgeant les écoles, les dispensaires et absorbant quasiment tous les efforts de l’Etat consentis au profit de la départementalisation tant attendue.
Mayotte souffre, les tortues sont braconnées par centaines, le lagon est pillé pour nourrir chaque jour ces milliers de clandestins. Les forêts sont coupées, brûlées, pour cuisiner ou planter, les champs des agriculteurs sont pillés avant la récolte.
Il conviendrait à mon avis de demander à l’Etat comorien de s’engager à détruire l’usine de kwassas d’Anjouan, à faire immatriculer tous les bateaux «de pêche», pour connaître les propriétaires, à interdire les départs de kwassas de Domoni, au lieu de les regarder partir en rigolant… C’est honteux de la part de ces dirigeants de laisser leurs citoyens risquer ainsi leurs vies, à cause de leur incurie, trop contents de ne pas avoir à leur assurer l’éducation, la santé, un travail et toutes les infrastructures nécessaires à un pays qui se développerait. Les Comores récupéreraient tous les délinquants comoriens condamnés à Mayotte pour qu’ils purgent leurs peines chez eux.
En échange, la France pourrait proposer une aide mensuelle, durant un an par exemple, à tous les clandestins qui accepteraient de repartir aux Comores, avec leurs enfants et un projet. Au vu de ce que cela coûte à la France ici, le compte serait vite fait. Ceux-ci pourraient ensuite obtenir facilement un visa pour revenir à Mayotte quand bon leur semble. Une coopération dans l’éducation et la santé serait mise en place.
Mayotte s’engagerait à accueillir un certain nombre d’étudiants à son université, ou en Métropole. Mayotte pourrait accueillir des étudiants infirmiers, des agents chargés de différents services publics, en formation. Les échanges économiques seraient facilités, les entreprises mahoraises, françaises qui s’installeraient sur place seraient encouragées.
EDM et la Sogea devraient contrôler leurs réseaux et couper toutes les dérivations sauvages, ils connaissent les débits et savent très bien où ça se passe. La justice devrait condamner plus sérieusement tous ceux qui logent, emploient, vendent de l’eau ou de l’électricité à ces clandestins. La loi le permet et la situation semble l’exiger.
Concernant la jeunesse désœuvrée : sans réaction, sans occupation, elle grandira, s’organisera, deviendra chaque jour plus violente et empêchera toute évolution saine de Mayotte. Il convient que chacun prenne ses responsabilités, comme tout le monde se plait à le dire… Les plus durs seront orientés vers des centres éducatifs fermés, des centres de «redressement», vers la prison-hôtel si nécessaire. Mais beaucoup, nés à Mayotte ou arrivés très jeunes, risquent de rester ici et il suffirait de s’en occuper pour leur éviter de basculer dans la délinquance, et leur offrir un espoir.
Le conseil départemental doit lancer, dans les 15 jours, l’appel d’offres annuel pour la formation professionnelle, dans les tiroirs depuis… deux ans. Il faut proposer à cette jeunesse un espoir, apprendre un métier et un début de rémunération. C’est de sa responsabilité et il perçoit 4,8 M€ de l’Etat chaque année pour cela…
Les maires doivent en urgence ouvrir leurs MJC. C’est de leur responsabilité ! Les citoyens pourraient très certainement proposer leurs services, même une heure par semaine, pour s’occuper de toute cette jeunesse. Elle pourrait là (re)découvrir les chants et danses traditionnels, le tressage ou la broderie, mais aussi le théâtre, la lecture, l’informatique, des cours de soutien scolaire… Ce serait déjà un bon début.
Les maires pourraient en profiter pour finir de nommer les rues, places et autres ruelles, c’est aussi de leur responsabilité et cela facilitera l’adressage des impôts et l’accès aux secours…
Le placement de Mayotte en ZEP (zone d’éducation prioritaire) a apporté plus de moyens et, vu les critères, Mayotte y avait vraiment droit. Une ZSP (zone de sécurité prioritaire) pourrait permettre de mieux sécuriser l’île et rassurer la population. La politique de la ville commence à trouver sa place, mais là aussi le rôle des communes est primordial. La rénovation de quartiers avec M’gombani, puis maintenant Kawéni et la Vigie, constitue une avancée, mais il y a tant d’autres quartiers à rénover ou reprendre. Il faut d’ores et déjà établir le planning à venir.
Pour faire face aux embouteillages qui font perdre tant de temps, tous les jours, et renchérissent le coût de la vie sur l’île, le conseil régional – c’est de sa responsabilité – et les mairies, doivent travailler de concert. Il serait temps de faire taire les divergences politiciennes, puériles, minables au regard des enjeux et des attentes de la population. Il faut lancer le projet de la rocade par les hauteurs de Mamoudzou, déjà engagé, et continuer la rocade de M’tsapéré jusqu’à Dembéni, comme prévu initialement.
Il faut aussi mettre en place un réseau de transports en commun – avec des bus électriques ! – avec un gare routière à Koungou et l’autre à Doujani ou Tsoundzou, avec de grands parkings surveillés et des bus qui sillonnent Mamoudzou, mais aussi le reste de l’île, même le week-end, pour tous les sportifs notamment. Cela a un coût, il faudra des tarifs pour les jeunes, des cartes d’abonnement, mais il faut l’engager sans tarder.
Pour dynamiser la vie culturelle et économique, il faut en urgence que l’Etat et la mairie de Mamoudzou débloquent une parcelle sur le terre-plein de M’tsapéré pour y faire construire un grand Parc des expos avec son parking, une salle polyvalente où il pourra autant y avoir des concerts, des spectacles de danse, de théâtre, de hip-hop, même en saison des pluies, que des foires internationales, des salons commerciaux, des séminaires… Un privé pourrait être sollicité si besoin. Mettez le terrain à disposition et établissez un cahier des charges !
Enfin, parmi les quelques idées et réflexions qui me sont régulièrement transmises, il en est une qui me parait essentielle, urgente, forte. Il s’agit, pour l’Etat, de placer Mayotte en zone franche globale, sur la base de critères (taux de chômage, pauvreté, habitat insalubre, niveau scolaire, taux de jeunes…), qu’elle serait malheureusement la seule à remplir à ce niveau.
Cela constituerait un signal fort de la part de l’Etat, pour Mayotte qui retrouverait une partie de son attractivité. Avec les jeunes en formation rémunérée et les MJC activées, la délinquance serait logiquement contenue et cela favoriserait la venue de médecins notamment, mais aussi d’investisseurs. Cela permettrait à l’économie naissante de décoller et de créer des emplois, pour embaucher ces jeunes bientôt formés, et dégager des recettes pour pouvoir payer les agents publics locaux qui seraient enfin activés et rendus efficaces par des cadres motivés et rompus au management d’équipes.
Je pense qu’il ne faut pas se mentir. Il y a du travail, beaucoup, avec plein de priorités à mener en parallèle. Il faut une volonté politique et des compétences. Les moyens sont en partie déjà là, notamment avec les fonds européens à activer. Il faut avoir l’intelligence de reconnaître ses faiblesses, ses lacunes, et oser demander de l’aide, un appui, des formations pour pouvoir avancer. Se taire, ne pas agir, par un orgueil inutile, par manque de courage, ne servira qu’à rendre la situation plus dramatique demain. Mayotte est un jeune département, nous devons apprendre. L’Etat a aussi besoin d’avoir en face de lui des élus forts, solides, avec des équipes réactives, compétentes, pour monter des projets ambitieux qui nous manquent tant.
C’est à mon avis à ces conditions, avec ces quelques idées et sûrement bien d’autres à mettre en oeuvre, que Mayotte pourra recommencer à aller de l’avant et que l’on pourra réussir la départementalisation, pour nous et nos enfants. Mayotte attend des actes forts de l’Etat et de ses élus !
Laurent Canavate
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.