Djoumoi Ramia restera dans les annales comme le premier Mahorais à avoir présidé l’ordre des experts-comptables dès sa mise en place sur le territoire, le 30 décembre 2022. Il ne compte pas faire de la figuration, et il a de la suite dans les idées, comme la mise en place d’une TVA à 5%. Il veut également rendre sa profession attractive pour les jeunes Mahorais.
Flash Info : Comment s’est déroulé votre élection à la présidence de l’ordre des experts-comptables de Mayotte ? Est-ce une surprise pour vous ?
Djoumoi Ramia : Non, je n’ai pas vraiment été surpris parce que le vote se faisait entre des élus membres de notre profession. Le vote s’est déroulé de manière convenable dans le respect des textes qui régissent notre profession, à savoir l’ordonnance de 1945, le décret du 30 mars 2012 et l’arrêté de janvier 2022. Il faut savoir que depuis 2015 un comité départemental de l’ordre des experts-comptables fonctionnait à Mayotte, présidé par le président de la Chambre d’appel du tribunal de Mamoudzou et deux délégués du département, la DRFIP assumant le rôle de commissaire du Gouvernement. On peut dire que le 30 décembre 2022, Mayotte est entré dans le droit commun, en même temps que la Guyane d’ailleurs puisque les textes le précisent bien. Autrement dit, pour ces deux départements d’outre-mer, les choses changent désormais, avec un président de l’ordre qui est élu et non plus désigné. Une réforme de 2020 fixe les nouvelles modalités de son élection qui sont les mêmes que celles d’un président de région. A l’échelle nationale, se sont donc 18 présidents et 58 élus qui représentent notre profession. S’agissant des 18 élus ultramarins, nous nous réunirons tous les deux mois dans une commission spécifique, avec des journées de travail les mardis et des sessions de vote de textes de fonctionnement, achat de bâtiment, campagne de publicité, les mercredis, etc…
F.I. : Quel changement concret va apporter à Mayotte la création de cet ordre ?
D.R. : Le rôle du président de l’ordre des experts-comptables est de faire remonter à l’échelle nationale les problèmes propres à Mayotte. Ils peuvent être d’ordre fiscal, mais également économiques ou liés à la retraite. C’est à cela que nous allons nous atteler au cours des deux prochaines années. Nous conduirons aussi des actions annuelles de communication pour faire connaître notre rôle auprès des institutions, un rôle très central dans l’économie locale. Pour vous prendre un exemple concret, je vous citerai la mise en place, il y a deux ans d’outils très intéressants mais, à mon sens mal adaptés, qui modifient la fiscalité à Mayotte et offre 80 % d’abattement d’impôt aux transporteurs dans la zone de Mamoudzou. N’étant imposé que sur les 20 % restants, ils font donc jusqu’à 30.000 euros de bénéfices non imposables. Si ce même abattement de 80 % était répercuté sur d’autres secteurs qui vont permettre de développer le sud et désenclaver Mamoudzou, ce serait à mon avis une très bonne chose. En plus du développement, ils permettraient aussi de préserver la santé des travailleurs obligés de se lever la nuit pour prendre la route vers Mamoudzou et vice-versa. Ces personnes n’ont quasiment pas de vie de famille sans parler de problèmes de santé que cette présence prolongée sur les routes leur provoque. En raison de cela, j’ai décidé, au niveau de mon cabinet, de louer des locaux dans à Bandrélé et sans le nord. Cette mise en avant de l’humain permettra de préserver leur santé et je suis convaincu que mon entreprise en sortira gagnante dans le long terme.
Actuellement, je mène une réflexion sur une étude d’impact en vue de la mise en place d’une TVA (autour de 5 % à 7%). Cette idée n’est pas le fruit du hasard, l’activité économique à Mayotte est plutôt bonne, comme le soulignait à juste titre le président des CCI françaises en visite sur l’île, il y a quelques jours.
F.l. : Sur quel élément vous basez-vous pour justifier cette bonne santé de l’économie mahoraise ?
D.R. : La base de notre réflexion résulte d’une étude sur les pharmacies à Mayotte qui enregistre une augmentation de 18% de leur chiffre d’affaires contre 10% seulement à l’échelle nationale (hormis la Corse). Ces données nous permettent de mener une étude d’impact sur les recettes des collectivités locales et ma manière de pallier la baisse de l’octroi de mer suite à la réforme de 2019. La TVA qui est actuellement de 0 % à Mayotte et en Guyane serait le meilleur moyen de résoudre le problème de la baisse de l’octroi de mer. La TVA est un impôt payable par tout le monde, réguliers et irréguliers, Mayotte en sortira donc gagnante. En outre, la TVA instaure ce qu’on appelle une facture électronique, un mécanisme de droit commun qui permet de prendre le pouls économique de l’île tous les trois mois avec la possibilité d’un ajustement dans le long terme au moyen de véritables propositions.
F.I. : Ces changements se feront-ils ressentir tout de suite ou est-ce un long processus qui s’ouvre pour les membres de votre institution ?
D.R. : Je dirai plutôt rapidement. La plupart des gens ont une vision très partielle de notre profession. Ils ne voient que l’aspect financier, alors qu’elle contient aussi un aspect juridique ou régalien, social, insertion et apprentissage. Dans un premier temps, nous allons nous attaquer à l’exercice illégale de la profession dans l’île par certaines personnes. Il faut savoir qu’il y a plus de dix individus qui exercent le métier d’expert-comptable à Mayotte sans en avoir la compétence. Ils n’ont pas suivi le cursus ni fait les formations requises. Ils mettent en danger la vie des entreprises et font courir des risques aux banques et à l’administration fiscale. Donc, c’est à toute la société qu’ils font courir des risques dans la mesure où notre profession est directement rattachée au ministère des Finances et Budget à Bercy. Des descentes surprises de police en présence d’huissiers de justice ne sont pas à exclure prochainement.
F.I. : Pensez-vous que votre profession est assez connue des jeunes Mahorais et suffisamment attractive pour l’avenir ?
D.R. : Il nous faut penser à l’attractivité de notre profession à Mayotte. Je suis un peu rassuré depuis que j’ai appris l’existence de trois jeunes natifs de l’île qui sont experts-comptables mémorialistes. Ils méritent d’être suivis et soutenus. Nous réfléchissons sur un partenariat avec la Délégation de Mayotte à Paris et le conseil national des experts-comptables pour l’organisation de conférences régulières sur des thématiques intéressantes et des actions conviviales comme « La nuit qui compte ». Il est nécessaire d’étudier les meilleures façons de donner envie à ces jeunes de revenir travailler dans leur île. Nous devons faire le maximum pour capter ces talents qui sont nécessaires au développement de ce département, bien entendu, une fois qu’ils auront fait leurs preuves en métropole ou dans d’autres pays. Nos activités sociales ont une déclinaison nationale et locales. Ainsi nous nous rendons trois fois par an dans les lycées pour expliquer notre métier aux jeunes, nous participons l’opération « allô impôt » depuis cinq ans, et cette année, nous allons apporter notre contribution à l’organisation d’Octobre rose.