Réformer l’octroi de mer, c’est quoi le but ?

Système de taxes bénéficiant aux collectivités ultramarines (un quart pour le Département, le reste aux communes), l’octroi de mer fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes publié mardi appelant à sa transformation, le ministère de l’Économie et des Finances ayant émis un souhait similaire, il y a huit mois. Les points faibles souvent relevés au sein de ce système fiscal sont le manque de transparence et le fait qu’il participe à la cherté de la vie en Outremer.

90 millions d’euros pour les communes mahoraises

L’octroi de mer, un vieux système de taxes en Outre-mer, n’est appliqué à Mayotte que depuis 2014. Le Département, comme les autres collectivités ultramarines, détermine à sa guise le pourcentage de l’octroi sur les entrées dans le territoire de plusieurs catégories de produits. A Mayotte par exemple, l’alcool et le tabac sont les produits les plus taxés, jusqu’à 135%. Les objets électroniques ou les voitures le sont également très fortement. Un octroi interne existe, mais il est limité aux grandes entreprises (il représente 3% du total de l’octroi à Mayotte).

L’octroi de mer est donc une part non négligeable des ressources des collectivités. Il a généré 1,6 milliard d’euros de recettes en 2022 pour les cinq départements et régions d’Outre-mer, selon le rapport. Localement, le montant de la dotation de 2023 est de 89.896.611 euros pour les 17 communes mahoraises. Du fait de sa population, Mamoudzou a la tranche la plus importante avec 21 millions d’euros à elle seule, à laquelle s’ajoutent les 4,2 millions d’euros du Fonds régional pour le Développement et l’Emploi (l’une des cagnottes dans laquelle tombe l’octroi de mer). De son côté, le Département n’est pas en reste avec environ un quart du total. Les douanes, au cœur du système, prennent 1,5% au passage.

Un système « à bout de souffle »

Nicolas Péhau, le président des Chambres régionales des comptes de La Réunion et Mayotte présent à Mayotte ce mardi, explique que le but du rapport rendu public mardi est de s’interroger « sur l’efficacité et l’efficience d’une politique publique. Est-ce qu’il y a un résultat ? Est-ce qu’on peut l’évaluer vraiment ? A-t-il un effet sur la vie des usagers ? ». 300 pages ont été rédigées par la Cour des comptes et les chambres régionales. Le constat de Pierre Moscovici, le président de la première, est sans appel. Il s’agit d’un système « à bout de souffle ». Plusieurs inconvénients sont mis en avant. Il y a d’abord les conséquences de l’octroi de mer sur la cherté de la vie en Outre-mer (« de 4% à10% »). Le fléchage aussi pose question, puisque dans les faits, les fonds servent davantage au fonctionnement qu’aux investissements (64% des frais de personnel des communes de Mayotte sont payés par l’octroi de mer). Se pose aussi la question de la transparence. « Il n’y a aucune traçabilité », note Nicolas Péhau, qui rappelle que même les douanes ont rechigné à donner leurs chiffres. Enfin, le rapport pointe une dérive, celle de privilégier « une rente de situation », selon les mots du magistrat, plutôt que d’encourager la production locale. « L’octroi de mer n’est pas vertueux », prévient-il ainsi.

Deux alternatives sont proposées dans le texte, le maintien étant pratiquement écarté. L’idée principale est d’instaurer une TVA additionnelle à la place, voire une TVA tout court pour Mayotte et La Réunion. « On demande une autre forme de taxation, avec des conditions comme la transparence, les frais de gestion des douanes, l’obligation d’évaluation permanente, la capacité à prioriser les investissements », détaille Nicolas Péhau. L’autre alternative est de couper la poire en deux avec « l’instauration d’une TVA additionnelle pour les régions et le maintien de l’octroi de mer pour les seules communes ».

Pas d’entente avec Bercy

Nicolas hau réfute une alliance sur le sujet entre le ministère de l’Économie et des Finances et la Cour des comptes. « Par rapport à la critique comme quoi on serait télécommandés par Bercy, c’est faux », rétorque le président des chambres régionales des comptes La Réunion et Mayotte. Il fait remarquer que les chambres travaillaient déjà sur le sujet avant que le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, annonce sa volonté de réformer l’octroi de mer, au sortir du Ciom (comité interministériel de l’outre-mer) en juillet 2023. Plusieurs rapports avaient été publiés en amont. D’ailleurs, quel intérêt présente une réforme de l’octroi de mer pour le ministère ? « Je pense que Bercy a une vision assez classique en matière de fiscalité. A leurs yeux, il faut éviter les effets d’aubaine, alors que cet impôt devrait aider le développement économique », analyse le président de la Chambre.

Des collectivités déjà contre

Les élus à La Réunion ont déjà répondu à la publication du rapport, montrant une inquiétude de perdre la main sur l’octroi, même si les collectivités ultramarines resteront les bénéficiaires. « Ce constat me conforte dans l’idée que les recommandations contestables de ce rapport risquent malheureusement d’alimenter le projet de réforme du gouvernement », regrette ainsi Huguette Bello. La présidente du conseil régional de La Réunion exprime son désaccord au sujet de sept revendications. Elle s’oppose par exemple à une exonération obligatoire des biens « concourant aux missions régaliennes de l’État et à la santé ». Nicolas Péhau n’est pas surpris. « A La Réunion, ils ont demandé à la ministre des Outremer [N.D.L.R. Marie Guévenoux] de ne pas en faire un chantier prioritaire », fait-il observer.

A Mayotte, personne n’a souhaité être auditionné ni daigné répondre aux Chambres régionales des comptes. Une absence qui interroge alors même que le Département a engagé un consultant sur la question. Contacté, le conseil départemental n’a pas donné suite.

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