Rachat de Vindemia par GBH : la grande distribution de Mayotte face à la menace d’une concentration inédite

Réunion au sommet ce lundi, entre les différents acteurs économiques et politiques du 101ème département, alors que le rachat de Vindemia, filiale de Casino, par GBH, qui détient 11 magasins Carrefour, doit avoir lieu le 1er juillet. Pour l’instant, ni l’Autorité de la Concurrence, ni le Conseil d’État ne se sont prononcés contre l’opération. Mais après La Réunion, c’est au tour des acteurs mahorais de s’inquiéter de ses conséquences pour la vie économique locale.

C’est un nouvel épisode dans le feuilleton du rachat de Vindemia par GBH. Ce lundi, les acteurs économiques – syndicats patronaux et salariés, président de la CCI, figures politiques de l’île – se sont réunis à huis clos pour répondre à l’appel de la préfecture et de l’Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus (OMPR) de Mayotte. À l’ordre du jour : la présentation d’un rapport du cabinet Bolonyocte Consulting, qui aura déjà fait couler un peu d’encre. Mandaté par les OPMR de La Réunion et de Mayotte, ce document a été finalisé le 20 mai dernier mais rendu public courant juin. Et il n’est pas tendre avec le groupe Bernard Hayot, véritable empire de la distribution en Outre-mer qui brasse quelques 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial. “Le groupe Sodifram, jusqu’alors leader à Mayotte, va voir ses parts de marché fondre au profit d’un acteur qui va devenir encore plus dominant. Et ce nouveau duopole qui pèsera 84% du marché aura un effet de concentration très préjudiciable pour le consommateur mahorais”, prédit Christophe Girardier, le directeur du cabinet mandaté et auteur de l’étude.

Situation “urgente” pour Mayotte

Plusieurs facteurs expliquent selon lui cette augmentation des parts de marché, alors même que l’entreprise familiale née en Martinique n’est en réalité pas encore présente à Mayotte. D’abord, Bourbon Distribution Mayotte (BDM) – qui dépend de Vindemia et regroupe les enseignes Jumbo, Score, SNIE et Douka Bé – a un projet d’extension de son parc de magasins, qui est “bien plus que dans les cartons, qui est en cours”, souligne Christophe Girardier. Ensuite, le changement d’enseigne – de Jumbo à Carrefour, en l’occurrence – “aura un impact très important sur les Sodifram”. Enfin, le groupe Hayot a une intégration verticale du marché en cela qu’il détient des entreprises en amont comme en aval de la filière. “Avec l’opération, il deviendra le fournisseur pour près d’un tiers des produits de consommation sur l’île”, s’inquiète Bourahima Ali Ousseni, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) à Mayotte.

Tous ces effets cumulés risquent de faire grimper les parts du nouvel acteur à 45,5% tandis que celles du futur ex-numéro 1 tomberont de 7 points, à 38,4%, chiffre l’étude du cabinet Bolonyocte. Une concentration qui aura des conséquences non seulement sur le secteur de la grande distribution alimentaire, mais sur le monde économique mahorais dans son ensemble. Plus de 1.000 petites épiceries de proximité, qui participent au tissu économique local, seraient en effet menacées. D’après Christophe Girardier, il s’agit donc d’une situation “urgente” pour Mayotte, alors que l’opération doit être finalisée le 1er juillet. À tel point que le consultant parisien a dû embarquer en toute hâte ce samedi, direction Dzaoudzi, afin de pouvoir assister à la réunion au sommet de ce lundi.

Les “erreurs” de l’Autorité de la Concurrence

Les conclusions de son étude vont pourtant à rebours de celle de l’Autorité de la Concurrence, qui a donné son aval le 26 mai dernier. Son avis complet a été rendu public vendredi. “Mettre un mois pour publier son enquête me paraît un peu surprenant, pour ne pas dire anormal”, s’étonne d’ailleurs Christophe Girardier. Et sur le fond, ce dernier n’y va pas de main morte sur ce qu’il juge “une décision entachée d’erreurs très importantes de raisonnement qui sont contraires à la doctrine même de l’Autorité et privent de fait cette décision de base légale”. Il faut dire que, là où le consultant assure avoir interviewé pas moins de quarante acteurs du 101ème département, la publication ne fait, elle, pas beaucoup cas de Mayotte, mentionnée à peine deux fois dans les soixante pages que pèse son rapport. La raison ? L’Autorité la résume en une phrase : “GBH n’étant pas présent à Mayotte avant l’opération, la reprise par GBH des activités de Vindémia dans ce département ne modifie pas la situation concurrentielle.” Le directeur général de Carrefour à La Réunion, Amaury de Lavigne, et le directeur général de GBH pour la zone Afrique, Maghreb, océan Indien, Michel Lapeyre, défendaient d’ailleurs le même argument dans nos colonnes, le 25 juin dernier. “GBH n’est présent dans aucun domaine d’activité à Mayotte (…) Nous rachetons une entreprise qui existe déjà et (…) nous restons sur les mêmes parts de marché que l’entreprise existante. Je ne vois pas comment Sodifram, acteur historique à Mayotte, pourrait passer subitement à la deuxième place, tandis que GBH passerait premier d’un claquement de doigts !”, assuraient-ils.

Plusieurs recours au Conseil d’Etat

Toujours est-il que leur défense peine à convaincre sur l’île aux parfums. Et les premières voix commencent à s’élever contre ce qui pourrait devenir une opération de concentration inédite. Le 22 juin, la CPME, qui a aussi assisté à la réunion ce lundi, a déposé deux requêtes en annulation de la décision de l’Autorité de la Concurrence, dont une en référé. “L’Autorité de la Concurrence a bafoué les droits de Mahorais à donner leur avis sur cette opération”, critique Bourahima Ali Ousseni. “Dès lundi prochain, plusieurs entreprises de distribution à Mayotte vont à leur tour déposer des recours, pour multiplier nos chances d’être entendus”, poursuit le représentant des petites et moyennes entreprises. D’après Médiapart, qui révélait l’affaire vendredi dernier, les requérants devront prouver que la décision de l’autorité administrative est motivée par les problèmes d’endettement du groupe Casino – maison-mère de Vindemia -, davantage que par la problématique de la vie chère dans les Outre-mer. Pour l’instant, le Conseil d’État a déjà rejeté un recours formulé par les entreprises Leclerc et Caillé sur les effets de cette décision pour la concurrence à La Réunion. Mais il s’agit d’un recours devant le juge des référés destiné à suspendre l’opération avant de rendre un examen approfondi sur le fond. “Il y a urgence, mais Leclerc et Caillé n’ont pas réussi à l’établir”, affirme Christophe Girardier. “Le Conseil d’État a rendu une première partie de sa décision, il est également saisi de recours au fond concernant cette opération, rien n’est donc terminé”, a réagi le groupe Leclerc le 17 juin dernier. Suite au 1er juillet ?

 

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