« On essaye de saboter le GIP de façon pure et simple »

Après l’éviction du directeur Ali Soula et les dysfonctionnements pointés par les syndicats, une bonne partie des salariés du GIP L’Europe à Mayotte sont en grève, depuis ce mercredi 1er mars. Les co-gestionnaires de cette structure chargée d’aider les porteurs de projet du territoire, Département et État, n’ont toujours pas trouvé de solution, plongeant celle-ci un peu plus dans la crise.

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Installé à Tsingoni, le GIP L’Europe à Mayotte est une structure intermédiaire, co-gérée par le Département de Mayotte et la préfecture.

La tension est palpable depuis plusieurs semaines déjà. Le GIP (Groupement d’intérêt public) L’Europe à Mayotte, l’organe qui accompagne les porteurs de projet bénéficiant de fonds européens, connaît une grève effective depuis ce mercredi 1er mars. Un mouvement qui paraît logique tant le contexte est compliqué à Tsingoni, siège de la structure. Mauvais élève dans la gestion des fonds européens les années précédentes, il est à rappeler que le territoire mahorais n’a plus accès à ces fonds depuis juillet 2022. La faute à des irrégularités dans la constitution des dossiers sur la période 2017-2019. Créé entretemps, le GIP L’Europe à Mayotte, structure cogérée par le conseil départemental et la préfecture de Mayotte, devait remédier à cela. Une cinquantaine d’agents travaillent ainsi à trouver des porteurs de projet et à les accompagner dans la constitution des dossiers. Les premiers résultats montraient que cela commence à porter ses fruits. Même les membres de la Commission européenne venus en janvier ont noté les efforts réalisés.

Sauf qu’en interne, tout ne se passe pas aussi bien. Au GIP, on pointe des dysfonctionnements liés à une autorité de gestion omnipotente*. Le secrétariat général des affaires régionales tente de garder les rênes sur les dossiers, en dépit de la convention de subvention globale signée par le GIP et la préfecture de Mayotte. Pire, des salariés censés travailler au GIP n’ont jamais voulu quitter les murs de la préfecture. « Un climat délétère », selon les grévistes, s’est ainsi instauré. Les agents de Tsingoni préfèrent d’ailleurs le terme de « contrôle externe » pour désigner le service de contrôle interne qui doit valider, au bout de la chaîne, leurs dossiers.

 

Un GIPEAM sans directeur

Le directeur, Ali Soula, a tenté d’alerter les gestionnaires en écrivant une note au préfet et au président du conseil départemental. En vain, ceci n’a fait qu’acter son éviction, la préfecture de Mayotte ayant demandé la fin de la mise à disposition par son ministère de tutelle, celui des Finances, début février. Respecté par ses équipes, le Mahorais laisse un vide qui n’a toujours pas été comblé. Les salaires de février des contractuels étaient mêmes bloqués parce qu’aucun directeur par intérim n’a pu être nommé. « On a essayé de désamorcer la situation. Il y a eu des sollicitations, des demandes d’audience », rappelle Naïla Bouramcolo, représentante CFDT du personnel. « On essaye de saboter le GIP de façon pure et simple. » Les grévistes évoquent le mois de septembre comme le début des ennuis. En effet, plusieurs agents se sont vu proposer des baisses de salaire pour continuer à travailler au GIP. « Il y en a qui ont accepté parce qu’ils voulaient garder un emploi, d’autres ont préféré partir », indique une cadre gréviste. Ces efforts demandés à des membres du GIP et pas à d’autres a mis en exergue les inégalités au sein d’une organisation qui n’a toujours pas de règlement intérieur. Car l’effectif du GIP a ceci de particulier qu’il doit être constitué d’employés mis à disposition par le CD (il y en a sept alors qu’il en faudrait quinze), d’autres de la Préfecture (douze) et de contractuels aujourd’hui en majorité. 

D’ailleurs, en pleine crise, le conseil départemental s’est bien rendu au GIP, mais n’a accepté de rencontrer que ses agents. Pour la préfecture, ce n’est guère mieux, puisqu’une partie de ses fonctionnaires détachés seulement a pu s’entretenir avec leur employeur. « Les Mahorais n’ont pas été mis dans la confidence », ont relevé les grévistes. Et concernant les contractuels, c’est encore pire. Personne n’a souhaité les voir et n’ont plus, on le rappelle, de directeur. « On se rend compte qu’il n’y avait pas de plan B », constate la syndicaliste de la CFDT. 

Une année pourtant cruciale

Une réunion a eu lieu, lundi après-midi, avec un protocole d’accord proposé par les syndicats CFDT et CGT. Ils demandent ainsi « une application de mesures efficaces des cogestionnaires du GIPEAM pour garantir l’égalité et l’équité entre les salariés, une application stricte par les agents de l’interdiction de développer à leur propre compte des activités équivalentes à celles qu’ils exercent au sein du GIPEAM (N.D.L.R. des employés cumuleraient leur travail avec des activités de chefs d’entreprise), un respect des règles hiérarchiques dans le fonctionnement du GIPEAM, un lieu de travail unique (Tsingoni) et une application réelle et concrète des mesures dissuasives à l’encontre des agents ou des autorités ne respectant pas les règles régissant le fonctionnement du GIPEAM et s’appliquant à eux », y est-il écrit, la dernière phrase visant clairement le SGAR dirigé par Maxime Ahrweiller. Comme le Département et le secrétaire général de la préfecture de Mayotte, Sabry Hani, n’ont rien signé lundi, la grève reconductible a été déclenchée, ce mercredi.

Le mouvement social au GIP intervient à un moment pourtant au combien important. L’année 2023 est au carrefour des programmations. Celle de 2014-2020 touche à sa fin, tandis que 2021-2027 va suivre. Pour la première, il ne reste que quatre mois pour déposer son dossier. « On a 350 millions à consommer, c’est un travail énorme », avait convenu Thierry Suquet, le préfet de Mayotte, en janvier. Aujourd’hui, au GIP, l’heure n’est pourtant plus au boulot. Au contraire, les porteurs de projet appellent inquiets pour savoir où en sont leurs dossiers. « On leur répond que nous sommes en grève », déplorent les grévistes, qui se sentent bien isolés dans leurs locaux de Tsingoni. 

*Sollicitée, la préfecture de Mayotte n’a pas souhaité nous répondre.

Un retour des fonds grâce à l’État ?

C’est en tout cas ce qu’annonçait Stéphane Séjourné. Le patron du parti Renaissance (ex-La République en marche) était à Mayotte, il y a une semaine. Il y a déclaré que les parlementaires européens de sa formation ont pu obtenir le décaissement des fonds européens pour Mayotte. Au GIP, cette déclaration forcément très politique fait pouffer. La Commission européenne n’a pas encore dit publiquement qu’elle revenait sur sa décision de l’an dernier. Et surtout, les agents y voient plutôt un bon résultat de l’audit réalisé l’année dernière, davantage qu’une intervention heureuse de Renaissance. « On avait réussi à que ce qu’il y ait un retour de la confiance envers le territoire de Mayotte », estime Naïla Bouramcolo.

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