Ces dernières semaines, un mouvement social s’est déclenché en Martinique et à La Réunion contre la vie chère. Si Mayotte n’a pas suivi, le sujet la concerne tout autant. Explications avec Véronique Daudin, chef du service régional de l’Insee à Mayotte.
Flash Infos : Peut-on situer le niveau de vie des habitants de Mayotte ?
Véronique Daudin : En 2018, les 10% des habitants de Mayotte les plus aisés avaient un niveau de vie plancher six fois supérieur au 10% les moins aisés. Alors qu’il était quatre fois supérieur en 2011. Les inégalités se creusent. On l’explique par un afflux important d’une population étrangère, on est passé de 46% à 52% d’étrangers qui eux-mêmes possèdent les plus bas revenus, cela tire les revenus modestes vers le bas. Dans le même temps, dans cette période 2011-2019, il y a eu la mise en place de la sur-rémunération pour les revenus les plus aisés et une augmentation du Smic de 2% régulièrement avec un rattrapage suite à la départementalisation.
Le revenu disponible médian des habitants de Mayotte reste six fois plus faible que les habitants de métropole. Et on le sait, 77% du territoire vit sous le seuil de pauvreté. Cela a très peu diminué depuis les années 2010 où ce seuil de pauvreté se situait à 84%.
F.I. : Comment observez-vous l‘évolution de l’inflation à Mayotte en comparaison avec la métropole ?
V.D. : Les chiffres de l’inflation sont mesurés chaque mois, nous avons publié en septembre l’évolution de I’indice des prix à la consommation (IPC) du mois d’août. Les prix augmentent de 0,3% sur un mois après avoir baissé 0,2% en juillet. Cette fluctuation de l’IPC va être analysée en fonction de chacun des produits. Sur un an, les prix augmentent de 2,4% à Mayotte. La tendance est similaire, à La Réunion (+2,7%), la Guyane (+2,2%), la Guadeloupe (2,7%) et la Martinique (2,5%). En métropole, l’évolution de l’inflation est aussi importante, mais elle n’est que d’un 1,8%. On a eu un bond qu’on a observé au second semestre 2023. Jusqu’au mois de mai, l’évolution annuelle des prix observés à Mayotte était inférieure au prix de métropole.
F.I. : Quels sont les produits les plus coûteux à Mayotte ?
V.D. : À Mayotte, l’alimentaire est la catégorie de produits qui marque le plus fort écart. On dit que sur le 101ème département français, les prix sont élevés de 10% par rapport à l’Hexagone, et jusque 30% dans l’alimentaire à Mayotte. C’est 40% d’écart à La Réunion et 100% en Nouvelle-Calédonie. Cela pénalise fortement les ménages, car le poids de l’alimentaire est le plus élevé, c’est une double peine. C’est aussi la présence de produits frais qui rend la part d’inflation la plus volatile.
F.I. : Est-ce que la sur-rémunération des salaires dans la fonction publique à une répercussion sur les prix ?
V.D. : C’est possible, mais cela reste très indirect. En réalité, l’augmentation de la rémunération des fonctionnaires est une grosse part de l’emploi salarié, mais très peu nombreux au regard de la population mahoraise. Ça va avoir un impact sur les niveaux de consommation. Ça va relancer en quelque sorte l’économie. Normalement, quand on consomme plus, les prix baissent, les prix n’augmentent pas. Mais ça peut avoir l’effet inverse en fonction du type de produit. Dans tous les cas, ce n’est pas cela qui fait augmenter les prix. En général, la relance de la consommation a des effets positifs sur l’ensemble de l’économie.
F.I. : L’octroi de mer peut-elle agir sur les prix ?
V.D. : Il faut une réflexion là-dessus (voir encadré). Quand on mesure l’impact d’un phénomène économique sur sa sphère, on le mesure par différentes pièces. C’est-à-dire qu’on va mesurer l’impact économique par une politique publique, par exemple, la mise en place de structure ferroviaire, ou d’un aménagement routier. L’économie de l’ensemble des Outremer s’est structurée sur cet octroi de mer. Évidemment, la formation des prix intègre l’octroi de mer. Il entre peu dans les calculs qui sont faits. C’est difficile de l’extraire et de dire que, sans lui, il y aurait une baisse, parce que tout le marché est structuré par cette composante. C’est comme si on disait : « la TVA a diminué, de combien vont augmenter les prix ? » C’est totalement aléatoire.
Un octroi sur la voie de la réforme ?
Vieux système de taxes en Outremer, l’octroi de mer n’est appliqué à Mayotte que depuis 2014. Le Département, comme les autres collectivités ultramarines, détermine à sa guise le pourcentage de l’octroi sur plusieurs catégories de produits. L’octroi de mer est une part non négligeable des recettes des collectivités. Il a généré 1,6 milliard d’euros de recettes en 2022 pour les cinq départements et régions d’outre-mer, selon un rapport de la Cour des comptes. Localement, le montant de la dotation de 2023 est de 89.896.611 euros pour les 17 communes mahoraises.
Si la Cour des comptes en a fait un sujet, c’est qu’elle appelle à la transformation de l’octroi de mer, tout comme le ministère de l’Économie et des Finances. Les deux y voient des points faibles, le manque de transparence et le fait qu’il participe à la cherté de la vie en Outremer.
Journaliste, aussi passionné par les paysages de Mayotte que par sa culture. J’ai toujours une musique de rap en tête.