S’ils le vivent différemment, pêcheurs professionnels comme informels subissent tous les effets du confinement. Aléas économiques et force des choses pour les uns, contrôles des forces de l’ordre pour les autres, ils sont de plus en plus nombreux à devoir laisser leur bateau au rivage. Avec un risque de pénurie de poissons pour les ménages, alors que le ramadan approche.
“C’est de plus en plus difficile, pour vendre mais aussi pour se nourrir. Hier encore, les policiers sont venus pour nous dire de rentrer chez nous, et nous n’avons pas pu aller pêcher. Même pour nourrir mes cinq enfants, je ne peux plus y aller. Je ne sais pas quoi faire, je ne connais que ce métier…”. Une voix douce de femme traduit du shimaoré en français ce témoignage d’un pêcheur de Nyambadao, couvert par les cris de ses enfants à l’arrière du combiné. En temps normal, de 15h à 6h du matin, Mohammed sillonne chaque jour les eaux du lagon pour se nourrir et pour vendre directement le fruit de sa pêche à son retour, ou par le bouche-à-oreille. Mais depuis la mise en place du confinement, sa tâche est rendue chaque jour plus ardue. Jusqu’à ce dimanche, et l’intervention des forces de l’ordre. “Depuis hier (dimanche), personne n’est parti à la pêche”, raconte-t-il.
Vendredi 20 mars, le préfet de Mayotte Jean-François Colombet a en effet signé un arrêté préfectoral portant interdiction de tout accès aux plages du littoral et plans d’eau et aux sentiers qui y mènent, effectif au moins jusqu’au 15 avril. Face aux regroupements de personnes constatés par les forces de l’ordre, cet arrêté est venu renforcer le confinement décrété dès le mardi 17 mars pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Mais les pêcheurs sont normalement encore autorisés à exercer, car “c’est une activité économique et cela doit continuer”, précise la préfecture. Le problème : les pêcheurs informels, qui représentent encore une part importante de ce secteur économique à Mayotte – toutes activités confondues, les entreprises informelles constituent les deux tiers des entreprises marchandes, d’après un rapport de l’INSEE de 2015 – ne peuvent bénéficier de dérogation que sur la base d’une carte professionnelle.
Quand ils ne font pas l’objet de contrôles, ces pêcheurs non professionnels continuent toutefois tant bien que mal d’exercer leur activité. Sur le remblai de Mtsapéré, aux abords de la mangrove, ils sont encore au moins une vingtaine à alpaguer les rares clients pour leur vendre leur pêche du jour. Entassés dans les bacs réfrigérants, des mérous, des rougets et des thons de toutes tailles attendent d’être vendus, ou mangés par les pêcheurs eux-mêmes. “On s’en sort, mais c’est difficile en ce moment”, confirme le vendeur en posant un gros mérou rouge sur la balance, pendant que ces congénères tentent de lui faire concurrence en criant leurs prix. “Six euros le kilo !”
Des pêcheurs professionnels en panne d’essence
Du côté de la Copemay à Mamoudzou, c’est plutôt le manque de pêcheurs qui pose problème. Ils sont chaque jour de moins en moins nombreux à aller sur l’eau et à ramener leurs produits jusqu’à la coopérative. Car même les professionnels ont du mal à pêcher, ces temps-ci. “Nous sommes tous un peu bloqués”, confirme Abdallah Issouffi, vice-président de la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (CAPAM), en charge de la pêche. En cause, principalement : le ravitaillement en essence. Les pêcheurs munis de leur carte peuvent normalement bénéficier d’un carburant détaxé, qui s’élève ce mois-ci à 0,80 euro le litre contre 1,45 euro sans la décote, d’après le responsable de la CAPAM – sur le site de la préfecture, les prix maximums pour le mois de mars s’élèvent à 1,01 euro le litre du mélange détaxé contre 1,54 euro le super sans plomb. Pour obtenir cette essence à bas coût, les pêcheurs de Mayotte se rendent d’habitude à la station des Hauts-Vallons, qui possède un guichet sécurisé dans lequel ils peuvent payer en espèces. Or, avec leconfinement et face aux risques de propagation du virus, les pêcheurs ont été invités à payer en carte bleue à la station de Petite-Terre. Mais “la plupart d’entre eux n’ont pas de carte”, poursuit Abdallah Issouffi. Jusqu’à présent, il leur restait de l’essence qu’ils avaient achetée pour le mois. “Désormais, ils vont devoir demander à des amis de payer pour eux.”
Une situation à laquelle est déjà confronté Assoumani, un pêcheur professionnel de Petite-Terre. “Tous les bateaux sont arrêtés et il n’y a plus que le mien sur l’eau actuellement”, décrit-il. “La plupart n’ont pas de carte et me demandent de prendre de l’essence pour eux, mais je ne peux pas, car toutes ces dépenses entrent dans ma comptabilité et dans les impôts que je paie”. Or si les bateaux ne sortent plus, la pénurie de poisson risque vite de se faire sentir. Djeb, qui détient une poissonnerie en Petite-Terre en ressent déjà les effets. “Aujourd’hui, je suis fermé, j’ai déjà vendu tout mon stock, qui n’est pas renouvelé, car les bateaux ne sortent pas”, déplore-t-il lui aussi. Et à quelques semaines du ramadan, ce manque risque aussi de peser dans le panier des ménages, en poussant les prix à la hausse. “J’ai déjà des centaines d’appels de gens qui me demandent où trouver du poisson ! Que voulez-vous, quand un produit manque, ça devient de l’or”, conclut Abdallah Issouffi
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