Investissement à Mayotte : « Faire rentrer l’édredon dans la valise ! »

Ce lundi 12 décembre, à l’hôtel Sakouli, à l’initiative de la représentation à Mayotte de l’Agence française de développement (AFD), plusieurs dizaines de décideurs des sphères publique et privée de l’île se sont réunis pour une matinée d’échange et de réflexion autour des politiques d’investissement déployées sur le territoire. Flash Infos s’est entretenu avec Ivan Postel-Vinay, directeur de l’AFD de Mayotte.

Flash Infos : Quels étaient les objectifs de cette matinée d’échange ?

Ivan Postel-Vinay : Cet événement avait deux objectifs. Le premier était de présenter à l’ensemble de nos partenaires notre stratégie 2022-2026 – que nous avons d’ailleurs élaborée avec beaucoup d’entre eux. On voulait donc leur présenter nos différents axes d’intervention sur le territoire sur les prochaines années, et les outils financiers qui vont avec. Le deuxième objectif était de faire émerger un certain nombre de constats et idées sur des problématiques liées à l’investissement à Mayotte. Il y a un énorme besoin d’infrastructures – parce la population croît rapidement et parce que le territoire est dans une mécanique de rattrapage vis à vis de l’Hexagone et des autres DOM. Ce rattrapage, c’est un défi. Pour pouvoir l’affronter, les collectivités ont besoin de piloter leurs opérations d’investissement.

FI : Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les collectivités dans le cadre de leurs opérations d’investissement ?

IPV : C’est complexe. Les collectivités se heurtent à des difficultés de différentes natures. D’abord, elles sont d’ordre budgétaire. Les finances locales sont tendues : les dépenses des collectivités augmentent beaucoup – en raison de l’investissement, mais aussi de l’augmentation de leurs coûts de fonctionnement – et les recettes marquent le pas. Les recettes avaient fortement grimpé avec la départementalisation ; aujourd’hui, elles augmentent toujours, mais pas forcément aussi vite que la population. Il faut donc « faire entrer l’édredon dans la valise », c’est à dire faire en sorte que tous ces programmes d’investissement – qui sont nécessaires – puissent être financés.

Les difficultés sont aussi liées aux compétences au sein des collectivités, notamment les compétences techniques nécessaires pour définir les besoins. Définir un besoin, c’est complexe : on peut effectivement dire qu’on a besoin d’une école, que l’on souhaite l’implanter à tel endroit… mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose ! Quel doit être le dimensionnement de l’école ? Quels matériaux doit-on utiliser en fonction des contraintes du site ? Il faut aussi savoir gérer et piloter ces projets d’investissement : élaborer les pièces qui vont servir à lancer le marché public, suivre la passation de ce marché et son exécution, gérer la relation avec les maîtres d’œuvre, avec les entreprises, etc… C’est un véritable métier, et toutes les collectivités ne sont pas au même niveau de compétences par rapport à ça.

Il y a encore d’autres types de difficultés… on peut citer la maîtrise du foncier, la disponibilité des matériaux… L’idée de la matinée d’échange c’était donc de permettre à une grande variété d’acteurs de la sphère publique – mais pas que ! – d’échanger autour de ces défis et d’essayer de faire émerger des pistes pour les relever.

FI : Quelles pistes ont pu émerger ce matin ?

IPV : Premier point identifié : il y a un besoin de renforcement des compétences au sein des collectivités. Aussi bien en ce qui concerne la définition des besoins, que la gestion des projets dans leur globalité – sur les aspects technique, financier, juridique, ou sur la planification. Les questions de délais sont extrêmement importantes, parce qu’il faut s’assurer répondre au besoin avant que celui-ci n’ait complètement été modifié ! D’autre part, un financement peut être disponible uniquement sur une période donnée. Par exemple, les subventions ont un délai d’exécution. Au-delà du délai d’exécution, il y a un risque que l’on ne puisse plus se faire rembourser par l’organisme subventionneur si le projet n’est pas achevé. Pour gérer toute cette complexité, il faut renforcer la capacité des collectivités à piloter.

Deuxièmement, il faut renforcer la capacité des entreprises à comprendre les besoins des collectivités et acheteurs publics pour mieux répondre aux appels d’offre. Cela bénéficierait à  l’économie locale : la commande publique est un gisement considérable d’activité pour les entreprises. Aujourd’hui, on n’exploite pas tout le potentiel de développement économique endogène à Mayotte. Comment aider les entreprises à monter en puissance pour répondre à ces besoins de la commande publique ? Il faut leur donner plus d’informations sur les marchés à venir, sur les outils, etc.

Enfin, un mot est revenu très fortement toute la matinée au cours des échanges : « priorisation ».  On l’observe avec certaines collectivités : beaucoup de projets dans les cartons, et trop peu qui se concrétisent. Pour que ces projets puissent voir le jour, il va falloir choisir ! Cela veut dire accepter qu’on ne pourra pas tout faire, parce les capacités – humaines budgétaires et foncières – sont limitées. Il est donc nécessaire d’effectuer cet exercice d’arbitrage entre projets d’investissements : décider lesquels sont plus importants, où en tout cas ceux que l’on va réaliser en premier. Ça c’est le rôle du politique. On dit souvent que « gouverner c’est choisir » : les élus doivent s’emparer de ce rôle difficile d’arbitrage.

L’AFD à Mayotte en 2022

120 millions d’euros engagés, dont une grande majorité auprès des collectivités sous forme de financement de subventions, soit plus de deux fois plus qu’en 2021

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