Foncier : Qui fait quoi ?

Cuf, Epfam, DAFP, DRFIP… Lorsque l’on touche à l’épineuse question du foncier à Mayotte, les acronymes pleuvent et il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver parmi les différentes institutions. « Beaucoup de Mahorais ne savent pas à quelle porte cogner ! », interpellait même le premier vice-président du Conseil départemental en charge de l’aménagement et du foncier, Salime M’Déré, lors des Assises de la reconquête foncière, en mars dernier. Alors, qui fait quoi ? Tour d’horizon.

Retrouvez l’intégralité du dossier consacré au foncier dans le numéro 1045 de Mayotte Hebdo, disponible gratuitement ici : https://www.mayottehebdo.com/mayotte_hebdo/

La Cuf

veut savoir à qui appartiennent les terrains

Qu’est-ce que la Cuf ?

Constatant, sur la base de l’étude transversale demandée au Sénat par le sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi (voir son interview ci-après), l’étendue des difficultés en rapport avec la propriété foncière en outre-mer, le législateur vote en 2017 une loi offrant la possibilité de créer dans chaque DOM un groupement d’intérêt public dont la vocation est double :

• inventorier la propriété foncière à l’échelle du territoire

• mettre en rapport les biens et les personnes, et trouver des moyens de procurer un titre de propriété à celles qui en sont dépourvues.

Le cumul des problématiques propres à Mayotte nécessitant une action rapide, la Commission d’urgence foncière (Cuf) est mise en place dès 2019 pour préfigurer et exercer les missions dévolues au futur GIP. Le travail d’inventaire a été initié dès 2019 ; celui de titrement a nécessité des dispositions législatives particulières, et a débuté en 2022.

Les outils de la Cuf :

L’acte de notoriété acquisitive. « La propriété privée est un droit consacré, extrêmement protégé. Elle s’acquiert soit par transmission – c’est à dire par héritage – soit par contrat (un achat, un don). Une troisième modalité, dérogatoire, existe : la prescription acquisitive, trentenaire en l’occurrence. Peut y prétendre celui qui occupe un terrain pendant trente ans au vu et au su de tous, et qui n’est pas lié avec le propriétaire par un contrat », contextualise Bertheline Monteil, la présidente de la Cuf et magistrat honoraire à la retraite. « Normalement, lorsque l’on devient propriétaire par héritage ou par contrat, on a la preuve écrite de la propriété. Dans la prescription acquisitive, il n’y a pas de preuve écrite, donc la pratique notariale a inventé

l’acte de notoriété acquisitive : un document constatant qu’il est notoire qu’une personne occupe un terrain depuis plus de trente ans. Ce n’est pas un titre de propriété, mais un moyen de preuve de la propriété. Au bout de cinq ans, si elle n’est pas contestée, cette preuve de propriété devient irréfragable. »

La saisine du juge judiciaire. « Beaucoup de gens ont acheté par acte sous seing privé, et n’ont pas publié à la conservation de la propriété immobilière avant que l’ancien régime de propriété foncière soit supprimé au 1er janvier 2008. Nous avons obtenu un décret qui permet de recourir à une procédure accélérée devant le tribunal judiciaire pour tenter de valider ces ventes qui, à priori, ne sont pas contestées, mais n’ont pas de titre », détaille Bertheline Monteil.

Dans quels cas contacter la Cuf ?

• J’occupe du foncier du domaine privé depuis plus de trente ans sans titre ni acte : je sollicite la Cuf pour faire constater cette occupation trentenaire, dans le but de me faire délivrer un acte de notoriété acquisitive trentenaire.

• J’occupe mon terrain sur le fondement d’un acte sous seing privé ou d’un acte cadial non inscrit à la conservation de la propriété immobilière avant le 1er janvier 2008 : je sollicite la Cuf pour recourir à une procédure accélérée devant le tribunal judiciaire et régulariser ma situation.

Le chiffre clé : 60 000

C’est le nombre de possesseurs susceptibles d’être régularisés, selon la Cuf, qui ambitionne à terme de produire annuellement 1 000 prescriptions acquisitives trentenaires.

Le mot de la présidente

« Le seul critère que l’on ait à la Cuf, c’est le droit. Notre institution n’est pas politique, mais purement juridique »

L’Epfam

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veut maîtriser le foncier pour aménager le territoire

Qu’est-ce que l’Epfam ?

Les missions de l’Établissement public foncier d’aménagement urbain (Epfam) sont définies par les articles L. 321-36-1 et L. 321-36-2 du Code de l’urbanisme et l’article L. 181-49 du Code rural, et se déclinent en trois axes :

• L’aménagement de l’espace urbain : L’Epfam conçoit et pilote des opérations d’aménagement urbain (construction ou rénovation de logements, équipements, infrastructures). Il commercialise des terrains viabilisés – « prêts à construire » – aux porteurs de projets.

• L’aménagement de l’espace agricole : L’Epfam joue un rôle de Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) à l’échelle du territoire. A ce titre, il se charge de maîtriser du foncier agricole pour y installer des agriculteurs, et de réguler les prix du marché foncier rural (via l’exercice du droit de préemption agricole).

• La maîtrise du foncier au service de projets d’intérêt général : L’Epfam accompagne les maîtres d’ouvrage publics pour leur permettre de maîtriser le foncier nécessaire à leurs projets de construction ou d’aménagement (veille, ingénierie, portage).

« On ne construit pas les bâtiments, on aménage le foncier ! », précise bien Yves-Michel Daunar, le directeur général de l’Epfam. Dans son plan stratégique de développement, l’Epfam ambitionne à l’horizon 2026 : d’aménager le foncier nécessaire pour accueillir 5.000 logements (9 opérations engagées), 15 hectares de foncier à vocation économique (4 opérations engagées) et 80 hectares de surfaces agricoles (déjà une vingtaine d’agriculteurs installés).

Dans quel cas contacter l’Epfam ?

En ce qui concerne l’aménagement, l’Epfam travaille « à 100 % avec les institutions », renseigne le DG. Les particuliers ne sont donc pas amenés à solliciter l’Epfam. Pour l’installation des agriculteurs, l’Epfam procède par appels à manifestation d’intérêt ou appels à projets.

Le mot du directeur :

« C’est le projet qui définit la recherche du foncier et non l’inverse ! Nous sommes dans une logique de développement et d’aménagement du territoire : c’est l’intérêt public qui prévaut »

Le CD

principal propriétaire foncier

Principal propriétaire terrien de l’île, le Conseil départemental (CD) est au cœur des problématiques foncières. Il est l’un des acteurs principaux de la planification du territoire, via l’élaboration de son schéma d’aménagement régional (SAR). La direction des affaires foncières et du patrimoine (DAFP), rattachée à la direction générale adjointe chargée de l’aménagement et des infrastructures (DGA AI), est chargée des

missions afférentes au foncier. Le département dispose d’une procédure de régularisation foncière pour les occupants de ses parcelles.

Le Césem

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Et ses avis

S’il n’a qu’un rôle consultatif, le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte n’hésite pas à s’emparer de tous les sujets de la vie politique et quotidienne de l’île. Ainsi en est-il du foncier, sur lequel le Césem a émis en avril dernier un avis destiné au Conseil départemental, après que ce dernier ait voté son budget : « Le Département doit mettre un terme à la dilapidation de son patrimoine foncier. […] Ne devrait-il pas plutôt aménager les espaces dont ont besoin les investisseurs pour développer leurs activités ? En effet, si tous les occupants coutumiers qui ont entamé des démarches en vue de la régularisation de leurs terrains avec le Cnasea (ASP) étaient reconnus dans leur droit réel, le Conseil départemental ne serait sans doute plus aujourd’hui le premier propriétaire foncier à Mayotte ». Les avis du Conseil économique, social et environnemental de Mayotte sont à retrouver sur : https://cesem.yt/dernieres-publications

Communes et intercos

Les interlocuteurs locaux

Les collectivités locales possèdent elles aussi du foncier, dans une moindre mesure comparativement au CD ou à l’État. Le plan local d’urbanisme communal (PLU) ou intercommunal (PLUi) est le document qui traduit le projet global d’aménagement et d’urbanisme de la collectivité, et fixe en conséquence les règles d’aménagement et d’utilisation des sols. PLU et PLUi sont consultables sur le site https://www.geoportail-urbanisme.gouv.fr/. En l’attente d’un « guichet unique », proposition évoquée lors des Assises de la reconquête foncière organisées par la ville de Mamoudzou en mars dernier (voir article ci-après), les communes sont, pour les particuliers, les premiers interlocuteurs à privilégier pour s’enquérir des possibilités de construction ou de régularisation foncière.

La DRFIP

Et ses trois services clés

Si le cœur de métier de la direction régionale des finances publiques (DRFIP) est bien la fiscalité et la comptabilité publique, elle assure un panel d’autres missions – dont plusieurs sont en lien avec le foncier. Trois services sont à connaître.

Le service local du domaine

Comme dans tout autre territoire français, le service local du domaine de Mayotte assure la gestion des biens immobiliers de l’État. Le service est également chargé d’estimer la valeur des biens acquis ou cédés par l’État ou les collectivités (l’évaluation domaniale) pour garantir le bon usage des deniers publics. Il fixe par ailleurs les conditions financières de l’occupation du domaine public. Rôle spécifique à Mayotte, et pour lequel le service est ici plus connu : celui de la régularisation foncière. Un particulier installé dans la zone des pas géométriques (ZPG) au moins depuis 2007 est susceptible de demander la régularisation de cette occupation auprès de la Dealm (Direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer), qui est gestionnaire de la ZPG. Le service du domaine de la DRFIP se charge alors d’examiner la demande. La régularisation se fait à titre onéreux : la DRFIP évalue la valeur vénale de la parcelle et applique des abattements en fonction de la situation de la personne (revenus, composition du foyer, ancienneté de l’occupation).

Le centre des impôts foncier (le cadastre)

Le centre des impôts foncier confectionne et élabore le plan cadastral. Tout le territoire de Mayotte y est représenté, divisé en parcelles cadastrales numérotées. Le cadastre est le document de référence pour les missions fiscales de la DRFIP (taxe foncière, cotisation foncière des entreprises). Le centre des impôts foncier assure également une mission documentaire : on peut le solliciter pour se procurer des extraits du plan cadastral, qui est également consultable en ligne sur cadastre.gouv.fr

La conservation de la propriété immobilière (CPI)

Spécificité mahoraise : la conservation de la propriété immobilière (CPI) assure la sécurité des transactions immobilières, par la publication de l’état de propriété des biens. Lors de la vente d’un bien, il est impératif de passer par un notaire (voir « Le notaire » ci-dessous) et de la faire enregistrer à la CPI. Il est par ailleurs possible de se rapprocher de ce service pour connaître le propriétaire d’un bien précis.

L’État

au cœur de la problématique

En sus de la DRFIP, les services de l’État sont étroitement liés à la question du foncier. La préfecture s’emploie, entre autres, à résorber l’habitat insalubre en relogeant les ayants droit. Chargée de mettre en œuvre les politiques de l’État en matière de logement et d’aménagement à l’échelle du territoire, la Direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer (Dealm) accompagne par ailleurs les collectivités mahoraises en matière d’urbanisme en assurant l’instruction des dossiers de demandes de 14 des 17 communes de l’île. Responsable de la conduite et de la mise en œuvre des politiques agricoles, alimentaires et forestières, la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Daaf) est également une partie prenante majeure.

Le notaire

pour sécuriser sa vente ou son acquisition

Le notaire est l’officier public et ministériel chargé d’authentifier les actes pour le compte de ses clients. Le notaire conserve les actes, et joue un rôle de conseil juridique. Dans le cas d’une acquisition foncière, le notaire est en mesure de prévenir l’acquéreur de certaines contraintes liées au terrain qu’il souhaite acheter : constructibilité, exposition aux aléas, etc. A Mayotte, il n’est obligatoire de passer devant un notaire pour toute vente immobilière que depuis 2008 (voir article « La Cuf tente de mettre de l’ordre dans le chaos foncier de Mayotte » par ailleurs).

Le géomètre-expert

pour délimiter sa propriété

Le géomètre-expert est le technicien qui réalise les études et travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers (voir « Le centre des impôts foncier » ci-contre).

Le Smiam

Propriétaire fantôme

Créé en 1979, le syndicat mixte d’investissement pour l’aménagement de Mayotte (Smiam) cible alors principalement les constructions scolaires et sportives. 1.600 salles de classes sortent de terre entre 1979 à 2012, mais le Smiam ne parvient ensuite plus à répondre à la demande exponentielle du territoire. Il est mis en liquidation en 2014 – étant alors le second propriétaire terrien de l’île. Depuis, le Smiam s’emploie à rétrocéder aux collectivités les parcelles et infrastructures qui leur reviennent – un processus long et complexe.

Le Cnasea

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et les prémices de la régularisation foncière à Mayotte

A partir de 1996, le Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (Cnasea) a mis en œuvre la première politique de régularisation foncière à Mayotte, qui consistait à reconnaître aux occupants une propriété antérieure à la personne publique. Le Cnasea a depuis fusionné avec l’Agence unique de paiement (AUP) pour devenir l’Agence de services et de paiement (ASP).

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