Les marchands des foires du ramadan 2024 font grise mine. Pour la troisième année consécutive ils n’ont pas renoué avec les bons chiffres d’affaires. L’augmentation des frais de transport des conteneurs de 15% en moyenne et celle des produits en général se répercutent sur les prix de vente. La saison commerciale est sauvée in extremis par un surplus de marchandises invendus depuis trois ans.
Chaque année, les dix derniers jours du ramadan sont rythmés par des foires commerciales, de plus en plus nombreuses à travers l’île. Les associations de commerçants qui en sont les promoteurs rivalisent d’ingéniosité pour attirer davantage de monde. Les étales sont de plus en plus achalandés de marchandises de toutes les natures et de toutes les couleurs, entre linges de maisons, vêtements, décorations, vaisselle… Tout, ou presque, se vend.
« Les temps sont vraiment durs, nous avons tous craint le pire, mais notre effort collectif et persévérance ont payé. Nous avons pu sauver les meubles malgré les très nombreux conteneurs encore bloqués au port de Longoni ou non arrivés sur l’île », observe un commerçant du quartier M’gombani à Mamoudzou, qui était soucieux de l’impact économique provoqué par cinq semaines de blocage début 2024 pour cause de soulèvement populaire contre l’insécurité et l’immigration clandestine.
« Comment ont-ils fait pour trouver tant de marchandises à vendre alors que les conteneurs sont encore là ? », s’étonne un visiteur, qui n’est pas le seul à s’interroger. « Il y a tellement de belles choses à acheter cette année, qu’il est à souhaiter un mouvement social de cette ampleur tous les ans », plaisante même une cliente, devant un stand, au milieu de la rue de commerce à Mamoudzou.
« Obligés d’aligner nos prix pour limiter la casse »
Cette prouesse nous est expliquée par Fatima Assani qui tient habituellement sa boutique, rue Paski Ndaka. « Il n’y a pas de miracle, nous avons tous pu tenir ce rendez-vous grâce aux importants stocks dont disposaient la plupart des commerçants. C’est hautement le cas pour les vêtements car depuis trois ans nous rencontrons des difficultés à écouler nos stocks. En plus nous sommes nombreux à nous fournir dans les mêmes pays et donc à acheter le même style de marchandises. »
« Nous sommes tous obligés d’aligner nos prix sur ceux de nos voisins pour limiter la casse, sinon le client s’en va acheter ailleurs », indique Abdallah Ahmed, dans le commerce voisin. « Il a l’embarras du choix. Et c’est partout pareil à travers l’île. Il faut compter en moyenne 10 à 25 euros pour un pantalon (selon la qualité du tissu), 10 à 15 pour un tricot ou un polo, et 25 à 30 euros pour une chemise en coton de bonne qualité », détaille-t-il.
Pour sauver leur saison, certains commerçants n’ont pas hésité à prendre l’avion pour se fournir au dernier moment en Tanzanie et au Kenya. C’est le cas de Mohamed Ibrahim qui a son échoppe dans le quartier Mouzdalifa à Labattoir : « Heureusement pour nous qu’il est possible de ramener plusieurs grosses valises par le même vol. Avec une bonne organisation, il est possible d’y aller à plusieurs et multiplier les quantités C’est l’alternative que nous avons trouvée pour pallier le retard de nos conteneurs en provenance de Dubaï ou d’Asie », livre-t-il. Pour lui, « le blocage du canal de la mer rouge est une énorme catastrophe ». Le commerçant indique qu’un conteneur qui lui revenait l’année passée à 3.000 euros pour le transport jusqu’à Mayotte passe cette année à 4.500 euros, « sans compter la taxe portuaire qui a augmenté elle aussi, de même que les frais du transitaire ». Des hausses que les commerçants sont obligés de répercuter à leur tour sur leurs marchandises à la revente.
« Les prix ont augmenté partout »
Face aux acheteurs qui tentent de marchander, Hamida Ahmed Ali, commerçante à Majicavo Dubaï, admet être parfois « sensible à leurs doléances mais pas toujours ». « Nous leur expliquons les contraintes auxquelles nous faisons face parce qu’en plus de la crise propre à Mayotte, nous subissons également des aléas consécutifs à une crise économique mondiale. Les prix ont augmenté (en moyenne de 15 %) partout dans le monde, y compris dans les pays où nous nous fournissons », se plaint-elle.
Après vérification auprès de plusieurs agences de transit de la place, il est admis que les frais de transport et de dédommagement (hors Union Européenne) ont effectivement augmenté du fait de l’allongement des routes de navigation pour les bateaux cargos obligés de contourner l’Afrique par le Cap de Bonne Espérance. « L’octroi de mer, lui, demeure à 20 %, mais c’est l’assiette de calcul qui change puisqu’il tient compte de l’addition du prix de transport et des frais de de transit et de dédouanement », explique un transitaire opérant au port de Longoni.
« Ce n’est pas l’opulence, mais l’essentiel est là »
Alors, autre alternative, pour sauver leur saison commerciale 2024, certains commerçants ont décidé de changer de spécialités. « D’habitude en pareille période, je vends des matelas et divers accessoires liés, mes conteneurs sont en route, ils viennent de quitter l’Afrique du Sud il y a deux jours », illustre Abdou Hassani Mohamed, commerçant, « obligé » de se fournir en vêtements chez un collègue « qui a eu la chance de récupérer ses conteneurs il y a quatre jours ». « Heureusement, ce sont des produits d’excellentes qualités qui s’écoulent malgré leurs prix élevés. »
Ce retard de livraison de conteneurs se ressent particulièrement au sein des grandes enseignes. En plein ramadan, hormis les aliments frais transportés par avion ou importés de pays proches de Mayotte, le recours aux stocks se remarquent. « Ce n’est pas l’opulence, mais l’essentiel est là. Beaucoup de familles ont su anticiper et éviter les bousculades. Dès la fin du mois, chacun s’est fourni pour l’essentiel progressivement dans le calme. Maintenant, il n’est plus question que de petits achats de dernière minute », exprime une grand-mère de 70 ans venue faire les courses avec ses deux petites-filles d’une trentaine d’années à Mamoudzou.
Ne reste plus qu’à s’armer encore d’un peu de patience avant de célébrer l’Aïd, la fin du ramadan, dans la joie et l’allégresse, loin des effets de la crise économique mondiale.