Ambassadrice de la foire internationale des produits africains (Fipa), Arafa Mbae est une Africaine installée dans l’Hexagone depuis une trentaine d’années. Elle pilote des programmes sur l’économie sociale et solidaire, à cheval entre la France et plusieurs pays d’Afrique continentale. Abdoulaye Racine Senghor, universitaire, homme de lettres et président du Musée des civilisations noires de Dakar, a fait le voyage avec elle à Mayotte.
Son premier voyage dans notre île remonte à octobre 2023. Arafa Mbae qui préside l’association Mayécha espoir diversité dans l’Hexagone (et la diaspora africaine) était alors venue en reconnaissance sur le terrain mahorais en quête d’un point d’appui dans la zone océan Indien. Ce diagnostic, elle l’a réalisé avec le soutien de ses contacts au sein de l’Association pour le développement économique et social des femmes mahoraises (Adfam), laquelle regroupe essentiellement des femmes entrepreneures. Ce travail fructueux lui a permis, à son retour en métropole, d’informer l’ensemble de son réseau de partenaires. Notamment la plateforme « Baye sa waar » au Sénégal (cultiver son lopin en langue wolof), à l’origine de la Foire internationale des produits africains (Fipa).
« L’objectif principal de cet événement est de valoriser l’Afrique en miniature. Mayotte est un carrefour économique et social, à mi-chemin entre la France et l’Afrique. Nous sommes arrivés au bon moment, au milieu de cette période agitée, laquelle nous permet de voir le besoin criant pour ce département de s’ouvrir au monde », note Arafa Mbae. « Et pour nous, le monde, c’est d’abord le continent africain au sein duquel elle aura besoin d’un accompagnement pour assoir son identité propre. » Cette dernière pense à plusieurs marqueurs identitaires : au sel de Bandrélé, la cuisine du terroir que réalisent les femmes de la commune de Bouéni dans le sud, et à tout un tas de richesses naturelles propres à notre département, telles que les huiles à parfum et les épices.
Elle est convaincue que toutes ces valeurs économiques, ces richesses naturelles, ces produits, cette culture, que Mayotte possède, elle peut les montrer au continent africain en guise de capacité à accompagner sa propre émergence économique et sociale. « Valoriser son île à travers l’économie solidaire, sociale, et autres potentiels, c’est très important. Ce que nous sommes en train de mettre en place c’est l’avenir de la jeunesse mahoraise. Il nous faut permette aux jeunes de retrouver leur identité africaine parce qu’un jeune qui ignore son histoire ne sait pas où il va », déclare-t-elle.
« Un véritable carrefour d’échanges »
Mais qu’est-ce que Mayotte a à gagner concrètement dans une telle démarche, en sachant que ce type d’échanges repose désormais sur un principe gagnant-gagnant ? La Fipa est un carrefour qui regroupe, via la plateforme « Baye sa waar », 10.700 membres, tous des entreprises et coopératives dont une majorité détenue par des femmes.
« Mayotte peut beaucoup recevoir de l’Afrique », expose la présidente de l’association Mayécha espoir diversité, cette fois-ci accompagnée du professeur Abdoulaye Racine Senghor (enseignant de lettres à l’université Saint-Louis de Dakar), l’un des scientifiques à l’origine de cette plateforme. « Nos partenaires mahorais vont pouvoir bénéficier d’une possibilité réelle d’accompagnement, de formation, de valorisation de leurs produits. L’île deviendra ainsi un véritable carrefour d’échanges économiques, commerciaux et culturels. Je pourrais dire que le changement de Mayotte c’est maintenant, permettre aux jeunes de prendre leur destin en main en les encourageant autant que possible », n’hésite-t-elle pas à lancer.
Des Mahorais à la biennale de Dakar
Un espoir qu’elle fonde notamment sur les échanges qu’elle et le professeur Senghor ont réussi à avoir avec des élèves du lycée des Lumières à Kawéni malgré le mouvement de grève générale qui frappe le département. Ils ont aussi rencontré des élus locaux et diverses personnalités qui leur ont fait part de leur besoin d’accompagner Mayotte autrement. « À notre niveau, le message est bien passé, nous serons là avec la plateforme pour accompagner la vision et le souhait exprimés par la population mahoraise et les élus qui représentent la République », précise Arafa Mbae.
Pour sa part, le professeur de lettres Abdoulaye Racine Senghor se dit impressionné par tout ce qu’il a vu à Mayotte (le seul territoire de la région qu’il ne connaissait pas), la qualité de ses hommes et de son espace. « Ce que nous envisageons de faire ici, c’est amener des entrepreneurs, surtout des jeunes, pour qu’ils apprennent à leurs homologues mahorais à faire partie de la Fipa. Au-delà de la promotion de ces entrepreneurs, de la présentation de ce qui se réalise ici comme dans une trentaine de pays d’Afrique de l’ouest, du nord et de l’est, cette foire est aussi l’occasion d’échanges culturels et sociaux pour avancer et comprendre qu’on a tous besoin des uns des autres pour avancer, quel que soit le lieu où l’on se trouve », développe-t-il. « À Mayotte, le terrain est propice à cela, et du reste, des échanges existent déjà. »
Le professeur parle ainsi d’artistes plasticiens qu’il connaissait pour les avoir rencontrés à la biennale de Dakar (bien qu’il ignorait leur présence sur le sol mahorais), d’écrivains mahorais, dont certains sont encore au lycée et bien d’autres personnes. Il annonce leur présence en mai prochain à la biennale et la Foire internationale du livre dans la capitale sénégalaise. Mais aussi l’organisation d’un forum économique sur le sol mahorais pour renforcer les échanges entre le monde entrepreneurial et culturel du continent africain, celui du 101ème département français et de l’océan Indien.