Depuis l’annonce en juin d’une réduction du nombre de navires de CMA-CGM au port de Longoni, les patrons de l’île tirent la sonnette d’alarme. Lors de la visite des deux ministres fin août, Sébastien Lecornu avait assuré que le sujet était sur la table. Inchangée, la situation risque d’engendrer des conséquences à plus long terme, tant sur les coûts des entreprises que sur les paniers des consommateurs…
Le message sonne comme un avertissement. “Bien sûr que les prix vont augmenter, je peux vous le promettre. Et pire, nous allons même connaître des pénuries”, met en garde Carla Baltus ce vendredi au micro de Zakweli, sur Mayotte la 1ère. Une prédiction cousue de fil blanc, dans un contexte mondial en proie à la menace de l’inflation, dopée par la reprise économique post crise Covid. Mais à Mayotte, territoire qui ne connaît que trop bien les problématiques de la vie chère, cette menace d’une hausse prochaine des prix, jusque dans les caddies, a de quoi faire peur.
C’est dans un contexte mondial d’embouteillages dans l’approvisionnement des marchandises – le coût d’un conteneur venu de Chine est passé de 3.000 à 12.000 euros, a rappelé la présidente du Medef Mayotte -, que les compagnies maritimes, CMA-CGM en tête, avaient annoncé en juin une réduction de leurs rotations jusqu’à Mayotte. Ainsi, rentabilité oblige, les navires de l’entreprise française de transport maritime ne font plus qu’une escale dans le lagon par mois contre deux à trois par le passé. Bien sûr, le nombre de conteneurs qui approvisionnent le 101ème département devait rester inchangé, avait promis CMA-CGM. 250 par semaine, soit entre 500 et 750 à faire tenir sur le seul navire du mois, en poussant un peu les murs.
Des frais supplémentaires
Problème : « quand vous avez un bateau qui ramène tout ce qu’il pouvait ramener en quatre fois, il y a des frais”, signale Carla Baltus, évoquant notamment les “surestaries”, les frais de stationnement et de détention des conteneurs au port. Une facture qui peut s’avérer particulièrement salée à Mayotte, d’autant plus à cause des embouteillages ralentissant le rythme des livraisons. “Pour amener des conteneurs à Mamoudzou, parfois on ne peut faire qu’un voyage ou deux dans la journée, donc quand tout arrive d’un coup, tout coûte cher”, explique-t-elle.
Le BTP déjà touché par la hausse des prix
Ainsi, à peine trois mois après cette annonce d’une réduction des rotations, les conséquences commencent déjà à se faire sentir sur les entreprises. “Il y a de moins en moins de rotations maritimes de la part de CMA-CGM et paradoxalement, le prix du fret a augmenté (celui de MCG aussi d’ailleurs)”, déplore un patron affilié au Medef Mayotte, qui cite par ailleurs une redevance supplémentaire, appelée “SGPO” (Sea priority go, ndlr) appliquée par le géant marseillais pour que la marchandise bénéficie d’un embarquement prioritaire.
Aucun secteur ne semble échapper à cette crise des approvisionnements. La filière du bâtiment, déjà frappée par la hausse spectaculaire depuis un an des prix des matières premières comme le bois ou l’acier, n’est pas en reste. “L’augmentation du coût de transit, de 15% depuis le mois de juin, nous impacte directement sur le résultat de notre chantier, et malheureusement, ces hausses ne sont pas mises à jour dans les marchés”, confirme Julian Champiat, le président de la fédération mahoraise du bâtiment et des travaux publics (FMBTP). Lequel évoque aussi les délais de livraisons – “nous étions à six semaines avant dans le meilleur des cas, nous sommes passés à 12 semaines pour des départs métropole” -, qui se répercutent inévitablement sur les chantiers avec “éventuellement des immobilisations et dans de rares cas des pénalités de retard”. Et ces conséquences pourraient se faire sentir à plus long terme, alors que les projets de construction pour les infrastructures structurantes ne manquent pas à Mayotte. “Il peut y avoir des appels d’offres infructueux car les budgets initialement prévus sont dépassés”, avertit le professionnel du BTP.
Des commandes quatre à cinq mois à l’avance
Sans compter que les entreprises doivent alors anticiper ces délais de livraison, et donc commander de plus grandes quantités de marchandises, avec “là aussi un poids sur la trésorerie”, précise Julian Champiat. “Nous devons commander les marchandises quatre à cinq mois à l’avance sans certitude de recevoir les conteneurs, car aucun suivi dans les ports de transbordement”, témoigne un adhérent au Medef Mayotte.
Quid des consommateurs ? “L’augmentation des prix des matières premières va entraîner une nouvelle grève contre la vie chère”, prédit cette entreprise. “En effet, il faut prévoir une hausse sur les produits de première nécessité (farine, huile, viande, etc.) d’environ 15 à 20% (entre augmentation fret et du prix des matières). Le prix du pain va donc probablement connaître une hausse rapide et brutale. Fini les sachets de pain à deux euros.” En pratique, il est encore un peu tôt pour chiffrer précisément l’impact de ces réductions de fret sur les paniers des consommateurs. Contacté, un distributeur nie ainsi une répercussion de ces hausses sur les prix de vente en rayons.
Mais d’après la dernière publication de l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sur 11 mois, les prix ont bien augmenté de 1.1% de juillet 2020 à juin 2021. Et en juin, les prix de l’alimentaire ont crû de 0,.1%, portés par les produits frais (+1.2%) et les boissons alcoolisées (+0.5%). Il faudra attendre les prochains relevés des équipes de l’institut pour savoir si la baisse des rotations a accentué ou non le phénomène sur les trois derniers mois.