Chambre des comptes : « C’est la première année où on a autant de contrôles à Mayotte »

Chargées de contrôler les politiques publiques, les Chambres régionales des comptes de La Réunion et Mayotte ont dressé davantage de rapports en 2023 concernant l’île aux parfums que pour sa voisine de l’océan Indien. Un choix voulu, explique Nicolas Péhau, le président de l’instance, en visite à Mayotte, ce mercredi 6 mars.

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Une trentaine de personnes travaillent pour les deux chambres, dont la grande majorité à La Réunion.

Flash Infos : Quel est le bilan de la Chambre régionale à Mayotte ?

Nicolas Péhau : C’est la première année où on a eu plus de contrôles à Mayotte qu’à La Réunion. C’est important pour moi parce que sur l’enjeu financier, j’ai six milliards d’euros (en équivalent à contrôler) à La Réunion contre un milliard à Mayotte. Six communes ont été contrôlées (Koungou, Bouéni (voir encadré), Dembéni, Pamandzi, Acoua et Bandraboua) en 2022, puis ont fait l’objet d’un rapport en 2023 avec les trois thèmes classiques, finances, les ressources humaines et les obligations scolaires. Sur ce dernier sujet, on avait commencé en 2022 avec Dzaoudzi-Labattoir.

Parallèlement, on s’intéresse au social. On a fait la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH), la Protection maternelle infantile (PMI) et un audit flash sur l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Ce dernier est sorti en novembre 2023, c’était le premier. C’était le moment où il y avait les interrogations financières du Département, que les missions d’inspection tardaient. J’ai proposé au préfet (N.D.L.R. Thierry Suquet) de faire un « one-shot » pour vous permettre de chiffrer le coût réel de l’ASE à Mayotte (N.D.L.R. 55 millions d’euros en 2022). On l’a mis publiquement pour les deux parties, ça a nourri le protocole entre l’État et le Département. On a aussi donné des avis, comme pour le Sdis (Service départemental d’incendie et de secours) de Mayotte.

F.I. : Et en 2024 ?

N.P. : On a publié les rapports sur les communes de M’tsangamouji, de Kani-Kéli et un autre sur le Smiam (syndicat mixte d’investissement pour l’aménagement de Mayotte), qui était très intéressant. J’ai dit au nouveau préfet que s’il y a un rapport à lire pour comprendre Mayotte, c’est celui-ci. Il était bien parce qu’on montre que les fautes sont partagées. Et pour la petite histoire, on a convoqué le préfet pour une audition, ce qui ne se fait jamais.

F.I. : On a noté que le rapport sur M’tsangamouji était plus encourageant que les précédents.

N.P. : Quand on m’a appelé pour en parler, j’ai dit qu’il y avait des points négatifs. Mais pas rapport aux autres, même à La Réunion, on se dit que parfois il y a choses qui marchent. La MDPH, jusqu’à son changement de gouvernance, marchait, pas parfaitement, mais elle marchait. Il faut une conjonction astrale, un gestionnaire professionnel, des élus qui jouent le jeu ou qui laissent travailler le gestionnaire et des crédits sanctuarisés. Si vous avez ces trois critères, vous avez une conjonction astrale permettant une politique publique qui marche.

F.I. : Quels rapports sortiront cette année ?

N.P. : En cours, il y a Mamoudzou, le chef-lieu, et sa caisse des écoles. Pour ne pas avoir de jaloux, on est en même temps sur le rapport de Saint-Denis, chef-lieu de La Réunion. On vient de signer la lettre de contrôle pour Chiconi. On délibère pour Chirongui (il fait la moue). Il y en aura une autre, mais elle ne le sait pas encore.

F.I. : Chirongui, on s’attend à du mieux après l’affaire Andhanouni Saïd.

N.P. : Je ne sais pas. C’était la première fois qu’un maire mahorais (N.D.L.R. Bihaki Daouda) demande à être contrôlé. C’est bien de demander un audit quand on arrive à un poste. C’est gratuit, ça permet de charger les prédécesseurs. Entretemps, on a eu deux avis à prononcer, pour le budget 2023 et le CCAS. On a ensuite ouvert le contrôle, mais j’ai dû appeler le maire. Ils sont incapables de nous produire les pièces. Nous, on pensait que ça allait filer vite. Aujourd’hui, on est embêtés parce qu’on va rendre un rapport alors qu’on n’a pas tout vu.

F.I. : Qu’est-ce que vous vouliez spécifiquement ?

N.P. : Des pièces. Pour les marchés publics par exemple, il nous faut un échantillon pour asseoir une observation de gestion. Et bien, la vérificatrice n’a pas eu les pièces.

F.I. : Pourquoi la Chambre s’attarde-t-elle autant sur l’obligation scolaire ?

N.P. : Parce que c’est un vrai sujet ici. On va même faire un rapport thématique sur les écoles à Mayotte, tandis qu’à La Réunion, ce sera sur les déchets. L’idée est de partir avec tous nos contrôles déjà faits, qu’on actualise ça et qu’on puisse dire à la population mahoraise quels sont les gros enjeux. Ce sont les maires qui refusent d’enregistrer les nouvelles inscriptions scolaires, le rythme de constructions des écoles. On sait qu’il faut 120 écoles par an, même si cette année, les communes vont s’en approcher. On attend un tsunami vers 2026 dans les collèges, puis vers 2023 dans les lycées.

F.I. : Vous parliez d’associations également ?

N.P. : J’ai en cours Mlezi Maore. On va bientôt délibérer une seconde fois avec les réponses de Mlezi. Ce sera ensuite à eux de délibérer en interne. Le rapport est très critique, il faut être clair, mais je ne peux pas dire ce qu’il y a à l’intérieur pour l’instant.

F.I. : Quand on pense à des collectivités où la gestion reste floue, on pense aussi au conseil départemental, au port de Longoni, au syndicat des eaux avec son délégataire, à la chambre des métiers et de l’artisanat…

N.P. : Pour la Chambre des métiers, comme elle est déjà quasiment sous tutelle du préfet, je me suis dis qu’on n’avait pas à aller là-dedans. Le sujet est tellement notoire. Nous n’avons pas ouvert à ce jour de contrôle pour le Département. Pour le syndicat des eaux, il y a une enquête lancée par la Cour des Comptes sur demande du Sénat pour tous les outremers.

Évidemment, on y sera associé. Concernant le port, il y a déjà été contrôlé par la Chambre avec un rapport en 2017, avec le référé du président du Département pour en faire un grand port maritime, qui n’a pas abouti. On pourrait le recontrôler, mais il y a l’Autorité de la concurrence qui est dessus, il y a une enquête pénale. Là, je me demande si ça sert à quelque chose alors qu’il y a déjà beaucoup d’acteurs.

« Peu de signalements à Mayotte, beaucoup à La Réunion »

La Chambre régionale a des dossiers permanents sur tous les collectivités et organismes. Elle peut donc s’intéresser aux collectivités, voire des associations. Des plateformes de signalement sont aussi mises en place au niveau national depuis deux ans. « Il y a très peu de signalements à Mayotte via ce système, beaucoup à La Réunion », concède Nicolas Péhau, qui fait remarquer qu’ils peuvent recevoir des mails ou des délégations. L’année dernière, la Chambre a tenté aussi une plateforme d’initiative citoyenne qui n’a pas très bien marché dans l’océan Indien. « A Mayotte, on a eu des signalements pour l’errance animale. Clairement, j’ai refusé, je pense qu’il y a d’autres priorités ici », admet le président des Chambres, qui promet de s’intéresser prochainement aux fonds européens.

Concernant la publication, les communes ont un mois pour répondre au rapport, ce qu’elles font rarement à Mayotte, puis elles ont deux mois pour le présenter à leur assemblée délibérante. Ensuite, la Chambre peut communiquer sur son site internet.

Des réponses de plus en plus rapides

Le travail de la Chambre régionale des comptes peut déclencher des procédures pénales. C’est le cas de la commune de Bouéni. Suite au rapport publié en décembre, le maire, Mouslim Abdourahamane, a été placé en garde à vue, le 14 février, pour s’expliquer sur des marchés publics passés par la commune. Nicolas Péhau constate que la réponse est de plus en plus rapide. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. « On ne pourra pas dire que nos rapports ne servent à rien. Mon intérêt, c’est que tout de suite après, ça prospère. »

Outre la procédure pénale, les Chambres régionales peuvent aussi faire remonter des dossiers à la Cour des comptes en cas d’infractions financières (gestion de faits, non production de comptes, faute des gestion,…). Plusieurs affaires concerneraient Mayotte et pourraient déboucher sur des arrêts avec des sanctions financières à la clé.

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