Bâtiment : « Pour attirer de la concurrence, il faut absolument améliorer les délais de paiement »

À l’occasion de son vingtième anniversaire, la fédération mahoraise du bâtiment et des travaux publics a reçu un invité de prestige ce mercredi 11 mai à l’hôtel Hamaha Beach en la personne du président de la fédération française du bâtiment, Olivier Salleron. L’occasion pour lui de revenir sur la problématique des délais de paiement, la formation, les prix et l’expérimentation locale. Entretien.

Flash Infos : Vous êtes venu pour les 20 ans de la fédération mahoraise du bâtiment et des travaux publics (FMBTP). Pourquoi était-ce si important pour vous d’être présent à l’occasion de cet anniversaire ?

Olivier Salleron : Il s’agit de mon premier déplacement dans les Outre-mer ! Nous avons choisi Mayotte et La Réunion pour le sérieux des structures et la qualité des échanges que nous pouvons avoir avec les fédérations locales. Le point positif de la crise du Covid-19 est que nous avons pu développer la visioconférence. Nous nous sommes énormément soutenus et vus durant cette période.

J’ai passé plus de 48 heures sur le territoire, contre seulement 24h à La Réunion. L’idée ici était d’encourager Julian [Champiat, le président de la FMBTP] et son équipe, mais aussi toutes les petites, moyennes et très grandes entreprises. Mayotte a un véritable potentiel d’avenir avec la restructuration des voies de circulation, l’aménagement du territoire et des locaux administratifs, la construction d’établissements scolaires et la sortie de terre de logements dignes pour nos concitoyens. Sur ce dernier point, il faut des habitations adaptées, plus durables et écologiques. J’encourage tous mes confrères à emboîter le pas de cette innovation. Le béton, c’est très bien, mais il existe aussi des matériaux biosourcés. Il faut que la filière construction dans son ensemble soit beaucoup plus audacieuse en termes de confort visuel, d’acoustique, de ventilation naturelle…

FI : Les bailleurs se plaignent régulièrement des coûts très élevés en raison d’un manque de concurrence. Comment analysez-vous cela ?

O.S. : Les entreprises présentes m’ont dit qu’elles peuvent se développer assez facilement, qu’elles n’ont jamais été en « surchauffe » et qu’elles sont même en capacité d’embaucher et de former. La seule chose est qu’il faut être attractif dans les deux cas : cela tombe mal avec la crise des matériaux et le surenchérissement des prix, mais tout dépend aussi des délais de paiement ! Pour attirer de la concurrence, il faut absolument les améliorer. Certains adhérents attendent des collectivités publiques pas moins de 180 jours avant de se faire régler leurs factures… Ce n’est pas viable pour une petite ou moyenne entreprise. Nous avons proposé que les présidents et les directeurs généraux de toutes ces administrations aillent à leur rencontre pour qu’ils se rendent bien compte de la réalité du terrain.

FI : À vous entendre, il s’agit ni plus ni moins qu’un manque de communication…

O.S. : Effectivement, j’ai senti un manque de communication entre tous ces acteurs, alors qu’elles se situent à quelques pas les unes et des autres… Visiblement, chacun travaille dans son coin avec des œillères. Cela fait perdre des semaines, voire des mois, non seulement dans le montage des dossiers, mais aussi dans la conception, la réalisation, et in fine dans le règlement. Quand une entreprise fait tous les mois une situation de travaux pour quelques milliers d’euros, si elle n’est pas payée dans les délais, c’est normal qu’elle se freine et qu’elle priorise le chantier d’à côté.

Une visite comme la mienne peut permettre de mettre un coup dans la fourmilière. Le président Julian est franc et direct, mais il est avant tout entrepreneur. Il ne peut pas être aussi incisif qu’un président de fédération nationale. C’est tout l’objet de ma venue : pointer du doigt tous les désagréments rencontrés, à l’instar de la revalorisation de l’index local ! Ce sont des choses triviales, toutes simples, encore faut-il savoir les dire haut et fort. Il faut qu’il y ait une prise de conscience de tous les acteurs. En tout cas, j’ai l’impression que cela peut « matcher » car ils souhaitent mettre en place, ou plutôt remettre en place, une réunion à intervalle très régulier avec les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre, les bureaux d’études et les entreprises, bien évidemment, pour échanger et améliorer les relations entre les uns et les autres.

FI : Autre sujet d’importance capitale : la formation et le manque de main d’œuvre locale, souvent décriés dans le milieu du bâtiment…

O.S. : Les jeunes sont là, ils se trouvent à portée de mains. Forcément, certains vont être attirés par les métiers du bâtiment, qui se féminisent de plus en plus. Tout le monde a besoin de formations spécifiques, que ce soit la nouvelle ou l’ancienne génération. Nous sommes très demandeurs et optimistes pour les décennies qui arrivent. Il y a énormément de rénovations et de constructions à venir, même si nous subissons une crise lourde avec des hausses exponentielles… Nous avons dépassé les 50% sur certains matériaux mineurs, jusqu’à 100% sur l’acier, 200% sur certaines essences de bois. Les matières premières ont pris des hausses extravagantes depuis un an. Il faut faire le dos rond et être payé dans les temps.

Vous savez, que ce soit en métropole ou dans les Outre-mer, il y a beaucoup de travail, les carnets de commandes sont remplis ! En revanche, pour boucler les chantiers, c’est compliqué à cause des délais de livraison des matériaux et des coûts d’achat. Nous militons depuis de longs mois pour des révisions de prix à la fois avec nos fournisseurs et nos clients. Nous avons été écoutés au niveau gouvernemental. D’ailleurs, tous les préfets, dont celui de Mayotte, ont bien reçu les instructions de la part de Bruno Le Maire et Jean Castex de revalorisation des marchés publics.

FI : De part sa topologie et son climat, Mayotte pourrait devenir un territoire… (Il coupe)

O.S. : D’expérimentation, exactement ! Nous avons beaucoup parlé pendant deux jours de matériaux biosourcés, de méthodes de construction différentes avec une préfabrication plus écologiste en bois ou autres. Des îles et des pays avec le même climat et les mêmes terres, il en existe partout dans le monde. Il ne faut pas forcément partir de zéro et inventer, il faut « benchmarker » et savoir copier ce qui se fait ailleurs, le faire certifier par l’État français en disant que les constructions ici ne sont pas les mêmes que dans le Périgord où il fait -5 degrés. Sur un territoire comme Mayotte qui est en forte croissance, il faut expérimenter par exemple sur la formation afin d’intégrer plus de jeunes.

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