La Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte (CCIM) et la société de conseil en management Algoé Consultants organisaient, ce mardi matin, une table ronde sur la question de « l’attractivité pour les organisations mahoraises », notamment par rapport aux jeunes générations. Six intervenants, cadres directeurs de grands pourvoyeurs d’emploi de l’île – publics comme privés – ont pris part à l’échange, qui doit constituer un premier pas vers l’émergence de solutions de ressources humaines et managériales communes, selon Stéphane Chanuc, responsable de l’intelligence économique à la CCIM.
« On s’aperçoit que, face à une offre, un candidat se pose des questions assez simples : ai-je une bonne image du métier ? Suis-je rémunéré à la hauteur de mes attentes ? Les conditions de travail dans l’entreprise sont-elles bonnes ? Puis-je avoir confiance pour y faire carrière toute ma vie ? Au niveau du territoire, y a-t-il une possibilité pour mon conjoint de trouver un emploi ? Et pour mes enfants d’être scolarisés ? », détaille David Gand, directeur exécutif de la société de conseil en management Algoé Consultants et ex-maître de conférences en gestion des ressources humaines à l’Université Lyon 3, pour illustrer son propos. « La question de l’attractivité d’un poste regroupe donc trois données qui se complètent : l’image du secteur, l’image de l’entreprise et l’attractivité du territoire ».
Face à lui, quelques dizaines de directeurs, cadres ou chefs de services d’organisations mahoraises diverses, sont venus ce mardi matin au siège de la Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte (CCIM) assister à cette table ronde, intitulée « Comment créer de l’attractivité pour les organisations mahoraises, notamment par rapport aux jeunes générations ». A ses côtés, six grands pontes des ressources humaines de Mayotte alimentent les échanges en partageant leurs retours d’expérience sur la double problématique du recrutement et de la fidélisation des talents à Mayotte.
Première piste abordée par les intervenants : la force de la réputation d’un grand groupe, à l’échelle locale, permettrait d’attirer et de retenir les nouveaux collaborateurs. « Quand j’ai un jeune que je veux convaincre de rejoindre la Sim, c’est ce que je mets en avant : la possibilité de faire carrière, même hors Mayotte », raconte Ahmed Ali Mondroha, le directeur général de la Société immobilière de Mayotte, qui jouit de sa filiation au groupe CDC Habitat. « Le jeune Mahorais, il a muté ! Il est devenu aussi exigeant que l’expat’ ! […] Quand on embauche un jeune, il a besoin de savoir comment il va évoluer », argue le DG. « Évidemment, on bénéficie de l’image de marque d’’Electricité de Mayotte », abonde Jacqueline Delgedere, la directrice des ressources humaines, qui cite les aides au logement, aux conjoints ou encore les accords relatifs au télétravail comme autant de dispositifs qui renforcent l’attractivité du fournisseur d’électricité auprès des jeunes diplômés mahorais. De son côté, le Sidevam, qui – de l’aveu de son DGS Chanoor Cassam – souffrait de « quelques blocages dans son recrutement » suite à « des périodes sombres », a réussi à « regagner l’intérêt de la jeune génération » en « vendant une épopée ». Renouvellement du pilotage, simplification des fiches de postes et réduction de l’expérience requise ont permis d’intégrer une quinzaine de jeunes sur des postes à haute responsabilité. « On a préféré alourdir le processus RH pour maximiser le regain d’intérêt », explique le DGS.
« On ne recrute pas un jeune de 25 ans, comme on recruterait quelqu’un de 40 ans »
Mathieu Guyot, directeur-adjoint du Centre hospitalier de Mayotte (CHM) et chargé des ressources humaines, relève ainsi une dichotomie en fonction du niveau de formation. « Le marché est très favorable pour les employeurs à niveau Bac ou équivalent, mais très difficile à partir de Bac+3 », indique-t-il, citant un turnover « quasi-inexistant pour les agents d’exécution », mais de « 300 % pour les médecins. […] C’est à dire qu’on recrute 3 médecins par an sur chaque poste ! »
Alors, comment attirer cette jeunesse diplômée sur les postes à responsabilités à Mayotte ? Déjà, en prenant conscience que l’approche même du travail diffère pour les individus des générations Y (nés entre 1981 et 1995) et Z (nés après 1996). « On ne recrute pas un jeune de 25 ans comme on recruterait quelqu’un qui en a 40 », avance Mathieu Guyot du CHM, également directeur par intérim de l’agence territoriale de recrutement May’Santé. « On a des comptes Tiktok et Instagram avec lesquels nous ciblons les jeunes infirmiers, et des groupes Facebook qui nous permettent d’identifier directement de potentielles recrues. »
Une fois recrutés, quid du management de ces jeunes talents ? Pour ces générations, « le travail doit rendre heureux ! », informe David Gand. « L’ambiance et la qualité des relations au travail prime… On veut travailler moins, mais mieux », renseigne-t-il, précisant que « la notion du temps n’est plus la même pour les générations actuelles. […] Elles veulent apprendre et progresser vite, prennent des responsabilités très tôt dans leur parcours ! ». En ce sens, la DRH d’EDM rapporte un problème d’intégration des jeunes cadres. « Il faut leur faire comprendre qu’il y a des points de passages obligatoires pour progresser ». Chanoor Cassam, le DG du Sidevam, insiste lui sur la notion de « team-building » pour « désamorcer les tensions qui apparaissent dans les équipes d’âge hétérogène ». Dans l’assemblée, Karim Halimo, directeur d’Albioma Solaire Mayotte, pour qui la « fidélisation des agents est le défi principal », observe un fort besoin de « reconnaissance du travail bien fait de la part du manager » dans son équipe de trentenaires. Le directeur de la Sim tempère : « Le management de « bisounours », ça marche pas ! Un bon chef doit être détesté d’une partie de son équipe ! (rires) C’est vrai qu’il faut motiver les équipes, mais à un moment donné, il faut faire bosser les gens… On a des objectifs à atteindre. »
En deux heures, bon nombre de pistes de réflexion pour renforcer l’attractivité des entreprises auront été explorées par les intervenants. Certains regretteront toutefois l’absence d’élus à la table ronde pour étayer la problématique de l’attractivité du territoire.