Le 17 avril dernier, le Parlement européen a voté des mesures permettant plus de flexibilité et simplifiant les procédures d’utilisation des fonds structurels européens. Pour lutter contre la pandémie et ses conséquences, les régions, y compris Outre-mer, vont pouvoir les utiliser pour encourager et accompagner les initiatives locales pour la santé et la relance économique. Député européen de La Réunion, Stéphane Bijoux, revient sur ces annonces et son impact pour Mayotte.
Flash Infos : Alors que la propagation du Covid-19 touche le monde entier, comment ces mesures d’urgence ont-elles été votées au Parlement européen ?
Stéphane Bijoux : Nous affrontons une crise sanitaire majeure, mais il y a aussi une redoutable crise économique. C’est le cas en Europe et partout en France, y compris à Mayotte. Face à l’urgence, avec ces mesures exceptionnelles, le Parlement européen marque à la fois sa volonté d’utilité et son exigence d’efficacité. Nous devons agir vite et nous voulons surtout trouver des solutions au plus près des besoins sur le terrain. D’abord, 37 milliards d’euros de fonds structurels européens ont été réorientés en urgence pour lutter contre le Covid -19 et ses conséquences. C’est une somme importante, mais nous devions aller plus loin. Dans un deuxième temps, il fallait impérativement créer toutes les conditions pour transformer ces fonds en actions concrètes au service des citoyens et des territoires. La réussite de cette démarche passe nécessairement par la simplification des procédures d’utilisation locale des fonds européens disponibles. Aussi, avec mes collègues Renew Europe (En Marche et ses alliés), avec qui je siège au sein de la commission du développement régional au Parlement européen, nous avons écrit à Élisa Ferreira, la commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, pour que ces fonds soient plus flexibles, pour une utilisation plus simple… C’est ce que nous avons obtenu et c’est le sens de ce que nous avons voté il y a quelques jours. Le résultat, c’est que pour lutter contre cette crise, les initiatives locales, sélectionnées par les autorités locales, pourront être financées jusqu’à 100 % par des fonds européens.
FI : Justement, quels types de projets pourront être soutenus et financés à 100 % par l’Union européenne à Mayotte ?
S. B. : Un financement européen à 100 % est une démarche puissante et historique, mais pour répondre aux urgences sanitaires et économiques, le choix de l’Europe est d’agir en partenaire de l’expérience et de l’expertise locale, dans le respect des compétences et des légitimités des institutions locales. Ce sont donc les représentants de l’État et les élus du conseil départemental qui sont les plus à même de définir les priorités, choisir les projets à soutenir et financer les actions nécessaires. C’est notre vision d’une Europe au service des citoyens et des territoires.
FI : Sur les 37 milliards d’euros de fonds structurels européens, y a-t-il une somme allouée pour les Outre-mer et plus spécifiquement pour Mayotte ?
S. B. : Sur les 37 milliards d’euros de ces mesures d’urgence, la France pourra bénéficier de 650 millions d’euros libérés pour ses régions. En ce moment, les collectivités territoriales et l’État calculent les montants des budgets éligibles pour chaque territoire. Mais sans attendre les arbitrages financiers, le fait d’avoir le feu vert pour mobiliser tous les fonds européens disponibles nous permet de repérer toutes les initiatives locales qui pourront être accompagnées, valorisées et concrétisées. Sur ce chantier, ce n’est pas Bruxelles, Strasbourg ou Paris qui vont décider, mais c’est bien ici, à Mayotte, que l’on pourra construire localement la meilleure réponse européenne à la crise. Au Parlement européen, avec mon groupe politique Renew Europe, nous travaillons pour que le respect des spécifiques des Outre-mer pèse réellement sur les priorités. D’ailleurs, dans la résolution
politique, votée par le Parlement européen, nous avons réclamé la création de fonds exceptionnel spécifique pour permettre aux Outre-mer de lutter contre cette crise. Mon axe de travail est de faire en sorte que les régions ultrapériphériques ne soient pas à la périphérie, mais bien au centre de l’action européenne.
FI : À Mayotte, l’économie est au point mort en raison de la singularité du territoire. Sachant que près de 800 entreprises sont actuellement en chômage partiel, y aura-t-il un traitement de faveur particulier pour le 101ème département ?
S. B. : Le volet économique de cette crise doit mobiliser toutes les forces disponibles pour protéger les emplois et sauver les entreprises. Chacun a un rôle à jouer. En jouant la carte de la flexibilité de l’utilisation des fonds européens disponibles, l’Europe permet de soutenir les entreprises en difficulté et notamment les petites et moyennes entreprises. Nous avons obtenu la possibilité d’utiliser des fonds européens pour abonder les fonds de roulement des petites entreprises les plus fragiles. De son côté, la France déploie des dispositifs de soutien économique sans précédent : chaque jour, le gouvernement français mobilise plus d’un milliard d’euros pour le chômage partiel, protégeant ainsi 820.000 entreprises et plus de 10 millions de salariés, partout en France. Pour l’Hexagone, comme pour les Outre-mer, et de ce fait Mayotte, c’est un choix volontaire d’investissement pour protéger les compétences afin de mieux accompagner la reprise économique. Sur le plan local, les banques ont un rôle essentiel. Objectivement, avec 300 milliards d’euros de prêts garantis par l’État, tout a été mis en place pour qu’elles puissent accompagner nos entreprises en souffrance. Dans le dialogue et la confiance nécessaire entre les banques et les PME, là aussi, il y a une obligation de résultats qui est imposée par les événements. La médiation de l’Institut d’émission des départements d’Outre-mer de Mamoudzou doit être saisie si les banques ne jouent pas le jeu. Dans la nécessité de la reconstruction, tout le monde doit prendre sa part de responsabilité, donc sa part de risque, dans le processus de relance. Dans la réalité de cette crise, il y a le fait qu’elle montre une nouvelle fois nos fragilités économiques, mais elle révèle aussi notre nécessité d’augmenter notre autonomie dans des secteurs clés comme la production locale. Elle doit être prioritairement soutenue, notamment l’agriculture et la pêche. Et sur la pêche justement, nous avons voté des aides d’urgence destinées aux pêcheurs dans le cadre du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. J’ai travaillé avec mon collègue Pierre Karleskind, président de la commission pêche, pour que les pêcheurs ultramarins européens puissent obtenir la compensation des pertes générées par le Covid -19. C’est une nécessité pour nos professionnels de la mer, mais aussi pour une garantie pour les Mahoraises et les Mahorais de pouvoir continuer à manger les produits locaux.
FI : Comment imaginez-vous l’après-Coronavirus pour un territoire comme Mayotte ?
S. B. : Comme partout, et à Mayotte aussi, il y aura un avant et un après Covid-19. Que retiendrons-nous de cette crise ? En tant qu’Ultramarin, tout en restant réaliste sur le chemin qui reste à parcourir et pragmatique face à nos obstacles, je fais le choix de miser sur la solidarité et la résilience. Beaucoup d’initiatives locales ont montré que nous avions toutes ces ressources en nous. Je pense notamment aux bénévoles qui ont construit des visières pour plus de 1.000 soignants, policiers et commerçants… À Mayotte, comme dans beaucoup de régions françaises et européennes, chaque jour, avec beaucoup de courage, les uns et les autres, nous faisons la démonstration que pour gagner le sens du collectif doit primer sur les intérêts individuels. C’est à la fois un héritage de nos anciens et un message pour l’avenir : c’est seulement ensemble, avec nos forces locales, avec la France et avec l’Europe, que nous pouvons partager les meilleures solutions pour aujourd’hui et construire le futur de nos enfants.
FI : Finalement, cette crise ne tombe-t-elle pas au bon moment pour permettre aux territoires d’Outre-mer d’émerger et de montrer toute leur importance dans l’idée d’un monde nouveau ?
S. B. : Objectivement, l’un de nos défis majeurs est de pouvoir transformer une crise en opportunité de rebonds. L’Europe veut construire un plan Marshall pour le tourisme notamment. Bien évidemment, Mayotte et tous les Outre-mer doivent pouvoir en bénéficier. Nous devons et nous allons tous nous mobiliser pour reconstruire notre tissu économique, mais faudra-t-il forcément le reconstruire à l’identique ? Nous savons déjà qu’il y aura d’autres crises. Un seul exemple : pendant que plus de 4 milliards d’humains sont confinés sur la planète, le dérèglement climatique, lui, ne l’est pas et il menace toujours nos populations et nos territoires, y compris Mayotte. Pendant le Covid -19, le niveau des océans continue de monter… Alors, au moment où nous devons définir un nouveau cap pour notre économie, plusieurs questions sont fondamentales pour rebâtir aussi, ensemble, un nouveau projet de société. Quelle place pour les solidarités et les innovations qui ont émergé pendant cette crise ? Comment mieux intégrer la nécessité de l’économie circulaire ? Le moment n’est-il pas venu de construire des passerelles entre économie et écologie ? Au Parlement européen, en tant que Français ultramarin, je porte, avec la fierté légitime qui est la nôtre, la revendication que nos Outre-mer soient vus, accompagnés et valorisés comme des territoires de solutions.
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