L’Institut d’émission des départements d’outre–mer (Iedom) rendait, ce mercredi matin, son bilan annuel sur la situation économique de Mayotte, au cours d’une conférence de presse. Les perspectives pour l’année 2023 ont également été discutées.
En dépit des défis structurels persistants et bien connus de notre territoire (manque d’infrastructures, insécurité, déficit en ingénierie et en compétences), les indicateurs « sont au vert », et « accentuent la tendance positive de 2021 en matière d’activité économique » ! Voilà le message relayé par l’Institut d’émission des départements d’outre–mer (Iedom) qui dressait, ce mercredi matin, son bilan annuel de la situation économique de Mayotte. « L’année 2022 a bénéficié d’une conjoncture économique favorable et d’une activité en croissance dans la majorité des secteurs. Cette dynamique a pu se concrétiser malgré les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises : inflation, approvisionnement, recrutement, etc. », renseigne l’institut.
Un climat des affaires favorable en 2022
Ces obstacles n’ont semble-t-il pas entamé l’optimisme des chefs d’entreprises. Ainsi, les intentions d’investissement sont restées favorables, dans la continuité de 2021, comme le révèle la hausse des importations de biens d’équipements pour les entreprises (+8%) et des encours de crédits d’investissement (+10%). Ceci est corroboré par l’indice du climat des affaires (116.4 points au dernier trimestre 2022 ; 100 étant la moyenne de longue période) qui traduit une activité globale dynamique. Paradoxalement, le nombre de demandeurs d’emploi continue d’augmenter (+20,3% en 2022). Cette apparente dégradation doit toutefois être interprétée avec prudence, car elle est liée à la formalisation croissante des démarches administratives et à un plus fort taux de déclaration des personnes à la recherche d’un emploi. Dans le secteur du BTP, l’activité maintient son dynamisme avec des carnets de commandes bien remplis, des besoins croissants en main-d’œuvre et une amélioration des trésoreries. Le secteur du commerce connaît également une activité favorable, bien que des inquiétudes persistent au sujet des délais de paiement, qui peuvent engendrer des problèmes de trésorerie. Enfin, les services marchands (transport, tourisme) se consolident.
Les établissements de crédit constatent un renforcement de l’épargne en 2022. « Globalement, et en moyenne, les entreprises disposent de trésorerie », traduit Patrick Croissandeau, le directeur de l’agence de Mayotte de l’Iedom. Les crédits d’investissement sont en forte progression (+9.7% sur un an), les crédits immobiliers d’entreprise se consolident (+11.4 %). En parallèle, les encours de crédits d’exploitation – qui alimentent généralement le fonds de roulement des entreprises – ont diminué de 8,8 %. « C’est plutôt un point positif, parce que cela s’explique principalement par le remboursement des PGE (N.D.L.R. prêts garantis par l’État) contractés pendant la période du Covid-19 », illustre le directeur.
Une inflation comparable – voire inférieure – au territoire national
La consommation des ménages – élément porteur de l’économie mahoraise – « n’est pas directement mesurée », indique Patrick Croissandeau. Les importations de produits courants (+17,3%) et des biens d’équipement du foyer (+16,3%), ainsi que les encours de crédits à la consommation (+6,6%), sont toutefois autant d’indices de son niveau élevé, bien qu’en retrait par rapport aux années précédentes. La baisse des immatriculations de véhicules neufs (-2,1%) quant à elle ne résulte pas tant d’une baisse de la demande que de la difficulté à y répondre, précise le directeur.
Ce dynamisme général n’en demeure pas moins perturbé par l’inflation persistante. « 78 % des entreprises déplorent une hausse des prix de leurs intrants en décembre 2022 », rapporte ainsi l’institut. En décembre 2022, l’indice des prix à la consommation (IPC) avait augmenté de 7.1 % sur un an à Mayotte (+5.9 % à l’échelle nationale). A fin mars 2023, l’écart d’augmentation de l’IPC entre le département et le reste du territoire s’était largement réduit, voire inversé : +5,4 % pour Mayotte sur un an, contre +5.7 % au national. Notons qu’en 2022, les prix de l’énergie ont moins augmenté dans notre département que dans l’Hexagone (+19.4 % contre +23.1%). A l’inverse les tarifs des produits alimentaires ont nettement plus gonflé (+9.1 % contre +6.8%).
2023 : « l’activité sera là, sauf choc majeur »
Outre la consommation des ménages et des administrations publiques, les perspectives de l’activité économique de l’île reposent largement sur la concrétisation de grands projets. « L’année 2022 a ainsi vu, entre autres, l’inauguration du Data Center, la livraison de l’hôpital de Petite-Terre ainsi que le lancement des travaux pour la première tranche du projet Caribus. Pour l’année 2023, d’autres infrastructures (centre commercial, construction de logements sociaux, travaux au port de Longoni, etc.), jugées indispensables pour le développement du territoire, devraient se finaliser ou se lancer », rappelle l’Iedom, jugeant que « dans ce contexte, la conjoncture économique devrait continuer à bénéficier d’un dynamisme et d’une activité toujours vigoureuse dans l’ensemble ». La concrétisation de ces projets sera aidée, selon l’institut, par une atténuation des contraintes sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. « Nous ne sommes pas revenus aux tarifs [de fret] pré-Covid, mais ça a bien baissé quand même. Les délais de livraison continuent de se normaliser… C’est plutôt positif », estime Patrick Croissandeau.
Toutefois, « l’inflation est bien trop forte », appuie le directeur. La politique monétaire, avec des hausses de taux d’intérêt graduelles, a vocation à la maîtriser, mais l’objectif de retour à la normale de 2% pourrait bien n’être atteint qu’à l’horizon 2024-2025. Par ailleurs, cette hausse des coûts des crédits pourrait entraîner un ralentissement de l’investissement. « Que vont décider les chefs d’entreprises en matière d’emprunt ? Les ménages ? […] Cela aura forcément un impact à l’échelle nationale. A Mayotte, je n’en suis pas convaincu », projette le directeur, optimiste en vertu du dynamisme « enthousiasmant » de notre économie, et observant par exemple que le crédit à la consommation est très utilisé sur le territoire malgré son coût (7 % de taux d’intérêt). Enfin, et la question a bien entendu été abordée : l’opération Wuambushu pourrait laisser quelques traces, et avoir un impact sur l’économie à court terme, notamment en ce qui concerne les services marchands.
Pour assurer la pérennité du développement économique de l’île, « la bataille à conduire, c’est celle des compétences ! Si nous réussissons à augmenter notre offre productive, à mieux répondre à la demande, alors nous musclerons notre économie », plaide Patrick Croissandeau en guise de conclusion. « D’autres nous envient d’avoir plutôt un problème d’offre que de demande ! », rappelle-t-il en souriant.