Mayotte est connue pour ses gros animaux marins : tortues, raies manta, dugongs, etc. Mais ceux-ci ne font pas que le bonheur des baigneurs : ils sont aussi bien utiles à un étonnant groupe de poissons, les rémoras, aussi appelés poissons-pilotes ou poissons-ventouses.
Il est fréquent que les baigneurs de N’Gouja, plage célèbre pour sa belle population de tortues, racontent y avoir croisé « un bébé requin ». Pourtant, aucun bon connaisseur des récifs mahorais ne vous rapportera jamais un tel témoignage de cet endroit ; en revanche on y trouve un assez gros poisson dont la présence est liée à celle des tortues : le rémora.
Les rémoras constituent une étonnante famille de poissons (les Echeneidés), à la morphologie très particulière : ce sont des poissons au corps fuselé, aux nageoires pectorales et pelviennes bien développées et triangulaires (un peu comme celles des requins), avec une petite tête aplatie et pointue, une longue queue très souple (oui, comme les jeunes requins), et pratiquement pas de nageoire dorsale sur l’essentiel du corps (contrairement aux requins !), celle-ci laissant place à un dos très aplati, et pourvu d’un gros organe strié fonctionnant comme une ventouse. C’est grâce à celui-ci que les rémoras peuvent s’accrocher fermement, par le dos, à toutes sortes d’animaux plus gros qu’eux : tortues, raies manta, dugongs, baleines, requins, ou certains très gros poissons. On les trouve rarement sur les dauphins, car ils tolèrent mal leurs acrobaties hors de l’eau, et préfèrent des hôtes plus placides. Les rémoras vivent ainsi une bonne partie de leur journée accrochés à un hôte, où les prédateurs hésiteront à aller les importuner, et peuvent en changer au gré des rencontres et suivant leur humeur, chacun de ces véhicules ayant ses avantages et ses inconvénients. Ils se nourrissent de ce qui passe, ainsi que des restes des repas de leur hôte (les requins ne mangent pas très proprement), et peuvent aussi profiter du labourage provoqué par les tortues ou dugongs pour attraper au passage de petits invertébrés qui se croyaient à l’abri dans le sable.
Ce mode de vie très particulier a valu à ces poissons de nombreux surnoms : poisson-ventouse (en raison de leur organe d’attachement), poisson-pilote (qui devrait cependant être réservé à la carangue Naucrates ductor, qui nage souvent juste devant les gros requins), en latin remora (qui signifie « retard, obstacle »), et en grec echeneis (« qui retient les bateaux »). Ces deux derniers noms sont liés au fait que ces poissons ne voient aucun inconvénient à s’accrocher aux coques des bateaux pour se faire transporter gratuitement de port en port : voilà bien un hôte particulièrement pacifique, et d’où tombe bien souvent une nourriture miraculeuse. C’est ainsi que, comme sur notre photo, on peut parfois retrouver plusieurs centaines de rémoras sous la coque d’un gros navire, nageant à la recherche de plancton quand le bateau est à l’arrêt, ou fermement accrochés par le dos quand celui-ci est en marche (moins facile à photographier vous en conviendrez). Ce comportement a été à l’origine de nombreuses légendes sur ces poissons, dont témoignent leurs noms grec et latin : de l’antiquité à la Renaissance, on les croyait capables d’arrêter complètement un bateau en pleine course ! Aristote, Pline, Ovide et bien d’autres auteurs anciens nous racontent ainsi comment les dieux les auraient envoyés immobiliser des flottes entières pour retourner des batailles. Cyrano de Bergerac leur attribue même (comiquement) la glaciation des pôles, tant leur symbolique d’immobilité fut forte.
Pourtant, la plupart des capitaines ne se rendent même pas compte quand une bande de ces passagers clandestins s’est invitée sous leur coque, et leur forme très hydrodynamique fait qu’ils ne semblent même pas gêner particulièrement les tortues – même si ces encombrants camarades compromettent quelque peu leur intimité. Quand les rémoras sont nombreux et leur hôte peu propice, il peut arriver que l’un d’eux s’accroche à un baigneur à proximité. Il paraît que la ventouse fait un peu mal (une scène est visible dans Le Monde du Silence de Cousteau), mais elle est sans danger, et l’animal est assez facile à faire fuir ; le cauchemar d’une centaine de rémoras s’accrochant à un malheureux baigneur pour l’emporter vers les abysses n’a aucune attestation sérieuse, et ils demeurent des poissons assez craintifs.
→ CREDIT MARC ALLARIA « Deux rémoras accrochés à une tortue verte, à N’Gouja ».
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