THIERRY LIZOLA, BRIGADIER EN CHARGE DU BUREAU PARTENARIAT ET PRÉVENTION À MAYOTTE

Ce policier en charge du bureau partenariat et prévention de la police nationale à Mayotte a lancé, fin 2017, avec l’aide du responsable associatif Hithouwane Ibrahim, le dispositif de sécurité citoyenne des gilets jaunes. Interrompu en décembre 2018, ce programme inédit a fait son retour il y a trois mois, dans une nouvelle mouture plus encadrée et réglementée, sous la dénomination de maillots jaunes. Désormais placés sous la responsabilité directe de la police, tous les volontaires ont des papiers d’identité en règle et justifient d’une présence d’au moins cinq ans sur le territoire.

« IL FALLAIT RAMENER LES GENS DANS LA RUE »

Mayotte Hebdo : Qui sont ces Maillots jaunes que l’on voit arpenter les rues et les ronds-points de la commune de Mamoudzou et qui ont pris la place des anciens Gilets jaunes ?

Thierry Lizola : C’est une population assez hétéroclite. Nous avons des gens originaires de l’archipel des Comores, des gens de Mayotte, des métropolitains, des gens qui travaillent, d’autres qui ne travaillent pas, quelques professeurs aussi, etc. Ce ne sont pas des professionnels de la sécurité, sauf pour quelques-uns. Sur Mamoudzou, on comptabilise aujourd’hui 290 Maillots jaunes, soit un peu plus de 10% du nombre des anciens Gilets jaunes. Il y a eu jusqu’à 1 000 bénévoles à Mamoudzou et jusqu’à 2 000 dans toute l’île au plus fort du pic de la crise sociale de 2018, pendant sept mois. Là, il y a un petit mouvement de délinquance qui s’est créé du fait de la disparition des Gilets. Les Maillots jaunes, c’est quelque chose d’institutionnel et qu’il faut structurer, donc on y va tout doucement car on ne veut pas perdre la main. Le but, c’est aussi qu’ils soient bien visibles pour être reconnus. Plus ils seront connus comme des agents de prévention – et prévenir, c’est aussi avertir – et plus les délinquants se diront : « Maintenant il faut faire attention ». L’objectif, c’est d’abord de prévenir les primo-délinquants. C’est d’empêcher le premier passage à l’acte de ces gamins qui, dans certaines classes d’âge, basculent. Pour empêcher ce basculement, les Maillots jaunes sont un peu les parents qui sont absents, ils les suppléent. Ils sont là, ils dissuadent, ils voient un gamin qu’ils connaissent peut-être et dont ils n’avaient pas forcément conscience qu’il traînait à un kilomètre de chez lui, et comme ils le connaissent, ils peuvent lui dire : « Mais toi, qu’est-ce que tu fais là, tes parents, ils savent que tu es là ? » Les individus qui sont déjà passés à l’acte, eux, ont l’habitude de s’adapter à la police, aux agents, etc. Ils se déplacent pour commettre leurs actions et restent assez indifférents au dispositif.

MH : Comment les Gilets jaunes originels sont-ils nés ?

TL : On a eu une émeute en novembre 2017, à Bandrajou (Kawéni), un quartier où les flics n’allaient plus depuis dix ans. Hithouwane a fait un travail de médiateur extraordinaire, il m’a ouvert les portes du village, il m’a permis d’y aller. J’y suis allé une fois, deux fois, trois fois, on ne me parlait pas. On me jetait des pierres, on me crachait dessus. Hithouwane a fait le travail de fond. Et un jour ça c’est ouvert. J’ai dit « Je ne suis pas armé », nous avons fait le tour du quartier à pieds et nous avons pu discuter avec tout le monde. Les habitants demandaient un couvre-feu. Je leur ai dit : « si vous faites ce couvre-feu, on voit avec le directeur pour qu’on vous laisse tranquilles, on vous laisse faire ce couvre-feu. » Pendant un mois, ça a bien marché, les gamins étaient rentrés le soir. Le 15 janvier 2018, nous avons fait une réunion avec Bacar Ali Moto (l’adjoint au maire de Bandrajou), les représentants de la mairie, de la police nationale, etc. Finalement, 2 000 personnes sont venues. Bandrajou est alors devenu le symbole du Bureau partenariat et prévention et le point de départ des Gilets jaunes. Finalement, le couvre-feu a duré un an. Dans mon esprit, il fallait sanctuariser ce village. Pacifier Bandrajou, c’était pacifier Kawéni. Les « voyous » venaient de là. Ça a aussi permis de sécuriser 12 000 élèves : deux lycées, deux collèges, six écoles primaires !

MH : D’autres dispositifs de surveillance citoyenne ont déjà été mis en oeuvre en métropole et à l’étranger ces dernières années, à l’instar des « Voisins vigilants » par exemple. Quelle est la différence avec les Maillots jaunes de Mayotte ?

TL : Ce n’est pas du tout le même cadre, nous allons d’ailleurs au-delà. Nous n’attendons pas que l’évènement vienne à nous pour réagir. Les Maillots jaunes, c’est vraiment une force de dissuasion. D’abord, il faut empêcher ceux qui sont déjà actifs de continuer à l’être, ensuite empêcher qu’ils puissent fédérer autour d’eux, et enfin, essayer de ramener dans le droit chemin ceux pour qui c’est encore possible. Ils sont organisés dans le cadre de la Police de sécurité au quotidien (PSQ), de la même manière que les Groupes de proximité opérationnels (GPO), qui traitent de problèmes ponctuels et particuliers – comme les chiens errants, les bandes organisées, ou encore les violences aux abords des établissements scolaires – avec des partenaires particuliers, tels que des associations.

Les Maillots jaunes, ils ont la chance de pouvoir parler la même langue, ils ont la chance de connaître les jeunes d’ici. Avant, l’autorité était partagée dans la culture mahoraise. Il y avait aussi l’école coranique et les cadis. Tout ça, ça a explosé, notamment avec la départementalisation. Il y a aussi un problème de reconnaissance de l’enfant à Mayotte, d’intérêt pour l’enfant. Nous, nous avons repris toute la structure locale antérieure et nous avons essayé de la reconstruire.

MH : Comment convaincre des citoyens de s’impliquer bénévolement dans un contrat d’engagement aussi lourd – un an à raison de 22 heure par semaine maximum – sans leur proposer la moindre rémunération ?

TL : Si vous leur expliquez que vous êtes là pour les aider et que vous allez régler les problèmes avec leur aide, que vous êtes loyal, si vous ne trichez pas, eux, ils vous suivent. Mais il ne faut pas tricher. C’est un rapport de confiance. Avec Hithouwane, dès le départ, on s’est dit : « d’abord on se tutoie, on se dit les choses, ce qui va et ce qui ne va pas. » Si tu me dis « merde », je ne vais pas retenir un outrage, alors que je suis policier. Sa façon de voir les choses est culturelle, la mienne est légaliste, et nous essayons de mettre les deux en cohérence. Tout cela avance, du moment que les deux points de vue ne sont pas radicaux. Le problème de la France, c’est peut-être qu’on est un peu radical des deux côtés. Ce sont des forces qui s’opposent, c’est comme un aimant.

 

MH : Pour autant, est-ce vraiment le rôle des citoyens de participer à la mission de sécurité de l’État ?

TL : La sécurité c’est l’affaire de tous, c’est un contrat social, et ça va même au-delà. La sécurité, c’est la première des libertés. Ça consiste aussi à considérer que la population a un intérêt à sortir de l’attentisme. Les années 2015 et 2016 ont été dramatiques à Mayotte, avec une augmentation de 600 à 700 % de la délinquance. Les gens ne sortaient plus dans la rue, ils ne jouaient plus aux dominos, ils ne parlaient plus dans la rue, alors qu’à Mayotte, on vit dans une société du palabre. Il fallait donc ramener les gens dans la rue, c’est ce qu’ils attendaient de nous (…) Avec Hithouwane, nous avons dit aux habitants de Mamoudzou : « Dans six mois, avec les Gilets jaunes, vous reviendrez dans la rue », et ça a marché. Ce que je regrette parfois, c’est que le travail qu’ils ont fourni pendant trois ans, jour et nuit, avec le Bureau partenariat et prévention, n’a pas été reconnu à sa juste valeur. Quand ils se sont arrêtés (en décembre dernier ndlr), les gens ont pris conscience de leur rôle. La délinquance a repris crescendo pendant cette période. Puis il a fallu sortir des Gilets jaunes parce qu’il y avait une connotation négative, notamment parce l’idée nous avait été « piquée » par la métropole.

MH : Ce genre d’initiative pourrait-elle fonctionner ailleurs ?

TL : Ici, à Mayotte, on peut être dans la même configuration que dans une banlieue parisienne. Le système peut marcher partout, oui, mais à condition d’avoir des gens impliqués. La population a besoin de confiance. La seule différence, elle vient des agents, des agents au sens large, des citoyens, des policiers, etc. C’est-à-dire ceux qui sont en interaction. Ici, on a réussi à comprendre que ça vient des personnes, qu’il faut que dans l’interaction, il y ait une zone de tampon où les choses se mélangent et qu’elles soient en harmonie. Mais ça demande une posture de la part du policier qui ne rentre pas dans ce qu’il a l’habitude de faire (de la répression plutôt que de la prévention, ndlr) et ça demande à la population de sortir d’une position victimaire et revendicative, de toujours demander plus à l’État providence.

Lire l’ensemble du dossier sur les ‘Maillots Jaunes’ : https://www.mayottehebdo.com/reader/1865

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