En novembre 2013, la gestion et l’exploitation du port de Longoni ont été confiées pour 15 ans à Mayotte Channel Gateway dans le cadre d’une délégation de service public organisée par le Département. Dans le but de devenir une référence dans le canal du Mozambique, plus de 50 millions d’euros ont déjà été investis dans les équipements et l’aménagement du site. Et selon les prévisions, le trafic de conteneurs devrait littéralement exploser d’ici 2050.
Dès l’aube, les premiers camions-grues commencent à se présenter devant l’entrée du port. La poussière provoquée par ces va-et-vient permanents – chaque jour, 80 conteneurs sortent et rentrent du port de Longoni, dont 90 % d’entre eux se rendent à Kawéni – attaque le visage des ouvriers, déjà frappé par le soleil brûlant. Casques vissés sur la tête et gilets jaunes enfilés sur le dos, la centaine d’employés présents sur le site déambulent telle une fourmilière dans cette ville géante où les « boîtes » s’entassent les unes sur les autres.
Les yeux rivés sur la série d’écrans devant lui et la main fixée sur la souris, Nahun, responsable des opérations chez Mayotte Channel Gateway (MCG), envoie des directives depuis le logiciel Navis, un système de gestion portuaire, à ses collaborateurs. « On reçoit un fichier de l’armateur dans lequel il y a un plan du navire. Dans le cadre d’un transbordement, chaque couleur correspond à un pays. Une fois déchargée, on a une traçabilité du conteneur en direct », explique-t-il. À ses côtés pour l’épauler, une personne en « back-office » et deux autres en charge des livraisons : « L’enjeu de la place est primordial, il y a un gros travail de préparation en amont. On essaie d’optimiser et de ranger au mieux. » De fait, il est demandé à la grande distribution d’envoyer sa liste de conteneurs à récupérer la veille au soir pour le lendemain, sachant que des groupes comme Sodifram, Somaco ou Bourbon Distribution peuvent venir en chercher « entre 20 et 30 par jour. »
Doubler l’activité de transbordement et le trafic global
Il faut dire que depuis que le Département a confié dans le cadre d’une délégation de service public la gestion et l’exploitation du port en novembre 2013 pour une durée de 15 ans à la société présidée par la Sud-africaine Ida Nel, les objectifs sont colossaux : doubler l’activité de transbordement en cinq ans et le trafic global en 10 ans. La première des deux missions a été remplie facilement avec +92 % en 2016 (27 000) et +60 % l’année suivante. « C’est très significatif de la crédibilité du port », confie Vincent Lietar, directeur développement et infrastructures à MCG, qui joue sur les drapeaux français et européens, « un gage de stabilité aux yeux des entreprises », pour vendre l’image de marque de Mayotte dans le canal du Mozambique.
« Actuellement, on ne représente que 0,6 % du trafic maritime régional », ajoute-t-il. En effet, avec un tonnage global estimé à 1,15 million en 2017 (contre 369 000 en 2008), Longoni ne joue pas dans la même catégorie que ses concurrents des pays voisins : 26 millions de tonnes pour Mombassa au Kenya, 20 millions pour Dar es Salam en Tanzanie, 24 millions pour Beira, Nacala et Maputo au Mozambique ou encore 81 millions pour Durban en Afrique du Sud.
Néanmoins, ce statut franco-européen pourrait lui permettre de jouer un rôle majeur dans les années à venir. Comment ? Grâce aux réserves sous-marines de gaz et de pétrole découvertes à proximité de la fracture géologique DAVIE qui vont être exploitées de manière imminente au nord du Mozambique. La période du chantier immense entamée à Afungi, pour un total de 50 milliards de dollars, est une source de retombées possibles pour l’économie du port et pour Mayotte. « Dans le futur, le quai 1, une fois rénové, pourrait devenir une possible base arrière pour une compagnie de type supply travaillant sur les équipements et la logistique des équipages. »
Une opportunité déjà évoquée publiquement par le président du Conseil départemental, Soihabadine Ibrahim Ramadani, à l’occasion de la cérémonie de voeux au mois de janvier dernier.
Trois grues et quatre ponts roulants pour 24 millions d’euros
Depuis sa prise de fonction il y a bientôt 6 ans, la MCG met la main à la poche pour devenir un pôle de référence. « En 2015, on a investi 24,2 millions d’euros pour financer trois grues de 400 tonnes avec un rayon d’action de 60 mètres, qui ont permis de multiplier par deux la performance horaire de débarquement des navires, quatre ponts roulants de stockage de 140 tonnes et trois maxis élévateurs », livre Jacques-Martial Henry, le bras droit d’Ida Nel. Et d’ici 2028, deux nouvelles grues et quatre autres ponts roulants devraient faire leur apparition. Mais ce n’est pas tout. À cela, s’ajoute l’agrandissement sur 4,5 hectares de la zone de stockage dont la capacité maximum atteint 7 550 conteneurs (triplement par rapport à 2013), en attendant la livraison, à l’horizon 2020, de l’extension des plateformes logistiques sur 8,5 hectares pour un montant global de 25,5 millions d’euros, dans le cadre d’un dossier FEDER validé en janvier 2017.
Parmi les chantiers programmés jusqu’en 2022, il y a également la construction d’un nouvel accès dernière génération, comprenant un portique de cinq voies, et la mise en place de l’ISPS, le code international de sécurité-sûreté. « Il y a encore sept ans, on pouvait rentrer en faisant un petit signe », se remémore Vincent Lietar, un brin nostalgique, mais conscient que toutes ces démarches peuvent faire passer le port dans la cour des grands. Avec cette nouvelle entrée, la MGC prévoit la création d’une zone de transit de quatre hectares comprenant un parking pour les véhicules légers et les poids lourds, un parc attente d’une superficie de 2 230m2, mais aussi un parc des transitaires (quatre parcelles grands importateurs, 15 parcelles équipées de hangars et six à huit parcelles locatives). Au total, les investissements prévus, initialement établis à 104,8 millions d’euros, devraient atteindre 159 millions d’euros à la fin des 15 années de la délégation de service public.
Un futur quai flottant à 40 millions d’euros ?
Pour améliorer la desserte portuaire, deux idées sont actuellement sur le feu : le prolongement du quai 2, mis en service en 2010, vers l’intérieur ou l’extérieur de la darse ou bien l’installation d’un quai flottant de 270 mètres de long sur 35 mètres de large. Selon le directeur développement et infrastructures, la seconde option aurait les faveurs de l’entreprise privée en raison de son prix abordable – environ 40 millions d’euros – et de son délai de livraison relativement faible. « Il faut compter moins de deux ans pour qu’il soit fabriqué, livré et posé » alors que la première option demande une douzaine d’années d’études et de travaux : « Actuellement, on est à 80 % de vérification ! » Il y a donc fort à parier que cette opportunité devienne réalité au plus tard en 2030, dans le but de répondre au marché de transbordement. « Les compagnies maritimes veulent décharger le TGV et recharger le train de campagne immédiatement », s’ose-t-il à comparer.
Selon les statistiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’année 2050 laisse entrevoir une population officielle estimée à 500 000 habitants à Mayotte. Ce chiffre impressionnant risque forcément d’avoir des répercussions sur l’activité. Le prévisionnel imaginé par Vincent Lietar porte à 250 000 le trafic de conteneurs par an au port (contre 75 000 en 2017) et à 560 transports routiers quotidiens. D’ailleurs une étude est actuellement menée par le Département pour réfléchir à des liaisons maritimes par le lagon tout autour de l’île dans le but de désengorger les routes mahoraises. Un défi de taille donc : « Il faut que l’on soit ambitieux. Ida Nel nous répète sans cesse que l’on vit dans un monde qui change et que ce n’est pas le moment de dormir ! ».
L’évolution de la zone portuaire de Longoni entre 2013 et 2018
Lorsque Mayotte Channel Gateway se voit attribuer la délégation de service public, elle dresse un état des lieux du port. Mis en service en 1992 et logiquement dégradé avec le temps, le quai 1 attend impatiemment sa rénovation, mais aussi son extension. En mauvais état, les berges de la darse ont été restaurées à 50 % via des enrochements, où il est prévu de réaliser de nouveaux quais (pêche, services, cabotage). La capacité de stockage est passée de 2 500 conteneurs en 2013 à 7 550 en 2018, notamment grâce à la rénovation en 2015 de la plateforme de 3,5 hectares et la construction d’une nouvelle de 4,5 hectares. Durant ces cinq premières années, la société privée a investi 31 millions d’euros dans le matériel et 11 millions d’euros dans les aménagements. « On a triplé la capacité du port et doublé l’activité », expliquent Vincent Lietar et Jacques-Martial Henry. Pour remplir ses différents objectifs quantitatifs, l’idée de travailler 24 heures sur 24 germe dans les têtes de la direction.
Un pôle d’activités pour 2028 ?
La convention de délégation de service public inclut le développement d’un pôle d’activités, en étendant la petite zone dite Vallée 2 de cinq hectares, qui rassemble aujourd’hui 16 sociétés. L’aménagement permettrait l’implantation de 160 à 200 entreprises, la mobilisation d’investissements privés et la création de 3 500 emplois. Un projet ambitieux présenté aux élus dans le cadre du schéma d’aménagement régional. « L’opération consisterait en l’utilisation du volume de la colline qui sépare les 61 hectares de la zone portuaire en deux pour réaliser un remblai sur le platier bordant la côte ouest », dévoile Vincent Lietar. Pour rassurer les associations environnementales, plusieurs études ont déjà été réalisées, comme un constat environnemental des fonds marins, des relevés bathymétriques, un constat de l’état des mangroves proches et des relevés géotechniques mer et terre. « C’est un projet unique, contrôlé et maîtrisé », assure-t-il.
Dans l’idée, il y aurait une extension en remblai de 30 hectares sur le platier est et de 9 hectares gagnés par des terrassements, réunissant respectivement des activités industrielles et commerciales, un quartier-technopole, un chantier naval, une marina, mais aussi des activités logistiques liées au port. « On a déjà une demande d’activités sur 20 hectares », précise le directeur développement et infrastructures. Autre bonne nouvelle, deux emprises sont déjà réservées à des implantations de production électrique sur le terminal pétro-gazier, dont la surface représente 2,5 hectares. « Sigma-Engie prévoit une enveloppe de 140 millions d’euros pour créer une centrale électrique à gaz tandis qu’Albioma souhaite investir 80 millions d’euros dans une centrale électrique biomasse avec des déchets de bois. » Toutefois, ces deux projets sont conditionnés à un accord de la Commission de régulation de l’énergie.
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