Maria Mroivili, sociologue passionnée

Alors qu’elle enseigne sa discipline aux adultes de demain au sein du centre universitaire, la mahoraise s’inquiète de voir que les transformations socioculturelles du 101ème département ne suivent pas, lorsqu’il est question d’offrir à sa jeunesse des métiers nouveaux et prometteurs, en somme, des métiers tournés vers l’avenir.

Plus de la moitié des bacheliers mahorais quittent le territoire pour poursuivre leurs études supérieures, la plupart du temps, à La Réunion ou en métropole. Entre difficultés de langue et d’insertion, différences de culture et de niveau, ils ne sont finalement qu’une poignée à atteindre la deuxième année. Pourtant, à 35 ans, Maria Mroivili compte à son actif deux masters et un doctorat, tous obtenus dans l’Hexagone. Mais alors même qu’elle se trouvait à plusieurs milliers de kilomètres de Sada, village où s’est établie sa famille, la Mahoraise a choisi de placer son île au coeur de ses travaux. Son île, oui, mais aussi sa propre histoire.

À la rentrée 2012, après une première thèse en écogestion dédiée à l’action sociale au sein d’une université parisienne, elle doit, cette fois dans le cadre de ses études de sogiologie “ pure ”, comme elle le dit elle-même, réfléchir à un nouveau sujet. La région champenoise où elle vit alors aidant, elle s’intéresse d’abord à la trajectoire professionnelle des femmes dans les métiers de la vigne et du vin. “ Évidemment, j’ai eu du mal à m’approprier ce thème, alors au bout de six mois, j’ai dû en changer ! ”, s’en amuse-t-elle aujourd’hui. “ Et je n’ai pas dû aller très loin pour ça ”. Sous ses yeux, son propre parcours l’inspire : pendant cinq ans, elle se consacre à la trajectoire, non plus professionnelle mais universitaire des étudiants mahorais à l’épreuve du genre. Quel rapport les différentes générations insulaires entretiennent-elles avec leur propre scolarité ? Comment, au fil du temps, les parcours évoluent-ils au sein d’une société en pleine mutation ? Vers quels secteurs ? Quelle influence joue le sexe des étudiants dans leurs orientations ? Autant de questions épineuses, mais certainement pas inconnues à la jeune Maria.

La révélation

Très tôt baignée dans la culture musulmane, la Sadoise assimile, à une vitesse incroyable, nombre de versets du Coran qu’elle récite par coeur à la madrassa. À tel point qu’au sein de sa famille, elle devient l’enfant prodige. “ Mais je ne me reconnaissais pas dans cette éducation-là, ça ne me correspondait pas ”, reconnaît à présent Maria Mroivili. Une sorte de mal-être intérieur grandit en elle. Une quête identitaire et intellectuelle, surtout. Elle intègre alors un collège laïque, puis le lycée de Sada où elle décide de s’orienter vers une filière économique et sociale, une révélation qui apportera quelques réponses aux questions qu’elle se pose à elle-même en son for intérieur. “ En classe, j’ai découvert les notions de normes et de valeurs et comme un miroir, elles m’ont aidées à me voir différemment ”, se souvient la trentenaire. Immédiatement, elle interroge son professeur sur

ses études. “ J’ai voulu à mon tour devenir prof car il avait fait naître en moi l’amour de la sociologie ”. Enfin, la femme en devenir trouve sa voie. En 2005, Maria Mroivili intègre le lycée de Mamoudzou et son internat. Elle troque son voile musulman contre des jeans déchirés, et devient même la première jeune fille de son village à arborer une coupe « à la garçonne ». Petit à petit et malgré l’incompréhension de son entourage, elle apprend à se façonner une identité qui enfin, lui correspond véritablement. Mais à l’obtention de son baccalauréat, la voilà contrainte de quitter son île, où le centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Dembéni n’a pas encore vu le jour. Des études, la jeune Maria rêve assurément d’en faire, et elle ne soupçonne pas alors l’étendue du parcours qui l’attend, toujours vertébré par sa passion alors naissante.

L’année de son départ, elle intègre l’université du Havre où la Mahoraise suit un DUT en carrières sociales. Trois ans plus tard, la voilà à Reims, qui deviendra “ sa ville d’adoption ”, celle qui verra naître son fils. Pendant deux ans, elle étudie l’intervention sociale dans le cadre de sa licence professionnelle. Puis, de 2009 à 2011, elle se consacre à un master en éco-gestion, management des services de santé et de l’action sociale à l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, qui la ramène ensuite à Reims pour un master dédié cette fois aux sciences humaines et sociales, éducation et formation. Finalement en 2012, la consécration : Maria Mroivili intègre un doctorat en lettres et sciences humaines et sociales. Parallèlement à ses études, elle enchaîne plusieurs activités, dans le social évidemment : coordinatrice pédagogique au sein d’écoles de la deuxième chance, conseillère en insertion dans le milieu associatif et conseillère municipale de quartier, chargée de projet pour la Croix-Rouge française et même conseillère principale d’éducation d’un collège rémois, autant d’approches différentes qui assurent son épanouissement.

Une mutation sociale perpétuelle mais lente

Au contact de ses élèves, Maria Mroivili comprend que la nouvelle génération de mahorais privilégie encore des parcours universitaires courts et peu variés. Alors qu’en métropole, elle constatait avec bonheur la féminisation de plusieurs métiers jusqu’alors considérés comme typiquement masculins, elle comprend qu’à Mayotte, l’offre de vocations et le niveau scolaire en lui-même affichent un sérieux retard, en dépit du développement institutionnel et éducatif – parfois lent – de l’île aux parfums. Elle concentre alors ses recherches sur trois périodes distinctes : des années 70 à 90, ère de refonte du système scolaire mahorais, puis de 90 aux années 2000 et enfin, de 2000 à nos jours. Mais alors qu’elle s’attend à découvrir une évolution sociale profonde, Maria Mroivili s’aperçoit au contraire qu’aujourd’hui encore, “ on se limite à de brèves formations conduisant à des métiers déjà bien connus ”. Finalement, “ les jeunes mahorais ne s’identifient pas aux transformations de leur société ”.

La doctorante produit même une cartographie des parcours universitaires locaux. Sa thèse cite ainsi comme exemple une famille sadoise dans laquelle, sur une génération entière, tous les parents et enfants ont occupé la fonction de policiers ou gendarmes. “ Je remarque une tendance à quitter le système scolaire, favorisée par des dispositifs comme le RSMA ”, pointe-t-elle du doigt. “ Beaucoup de jeunes intègrent ce genre de structures alors qu’ils ont largement le potentiel pour poursuivre leurs études : la nouvelle génération qui devrait pouvoir s’émanciper est finalement en train de subir ce manque de formations universitaires »

Elle identifie “ les métiers de la paix ” comme les plus populaires, chez les hommes comme chez les femmes. “ D’une part, c’est une bonne chose qui prouve la volonté des jeunes Mahoraises, leur capacité à oser, mais le problème c’est qu’elles interrompent leurs études pour rejoindre la fonction à des niveaux peu élevés ”. Autre constat que Maria Mroivili déplore, le manque de prise en compte des métiers d’avenir dans l’offre de formations localement dispensées, comme le paramédical, notamment. “ Il y a toute une dynamique à construire, même si le conseil départemental commence à s’intéresser au sujet, à travers la mise en place de bourse au mérite pour inciter à aller vers ces branches-là ”.

En ce sens, la sociologue relève une lente mais progressive prise de conscience collective : “ Notre société est en perpétuelle mutation. Après une phase de transformation, elle est maintenant dans une phase de révolte marquée à tous les niveaux ”, analyse-t-elle. “ Je ne parle pas de mouvements sociaux, mais du fait que la société entière, toutes générations confondues, se rend compte peu à peu du manque de moyens à Mayotte ”. Preuve en est selon elle, le développement rapide du nombre de conférences et séminaires dans tous les domaines, particulièrement depuis ces deux dernières années. “ Nous sommes en train de comprendre l’importance de l’analyse de la parole, et plus largement du travail d’étude et de la place des universitaires ”. Alors que la sociologie en elle-même n’a jamais fait l’objet d’orientation universitaire à Mayotte, les sciences humaines pourraient finalement sembler vouées à se développer. Une aubaine, peutêtre, sur l’île hippocampe où, en 2017, 65 % des jeunes de 16 à 29 ans étaient en rupture scolaire avant même d’avoir décroché un seul diplôme qualifiant.

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