Les holothuries, aspirateurs de la mer

Que sont donc ces grosses saucisses brunes qui arpentent lentement les platiers et les fonds sablonneux de nos lagons ? Ce sont des holothuries, ou « concombres de mer » : les inlassables nettoyeurs des océans… 

L’animal marin que le baigneur a le plus de chances de côtoyer de très près n’est certainement pas un poisson. Si vous mettez la tête sous l’eau à l’une des plages de Mayotte (ou d’ailleurs !), les gros animaux les plus visibles et les moins farouches seront sans doute les concombres de mer. Mais qu’est-ce que ces animaux sans queue ni tête fabriquent dans notre monde ? 

Les holothuries n’ont en effet pas de tête, et c’est d’ailleurs une caractéristique commune à tout leur groupe, puisqu’elles constituent l’une des cinq classes d’échinodermes, avec les oursins, les étoiles de mer, les ophiures et les crinoïdes. Tous sont composés d’un gros corps central organisé non pas en avant/arrière et gauche/droite, mais selon un plan d’organisation rayonnant selon une symétrie centrale d’ordre 5, en étoile, avec la bouche et l’anus au centre de chacune des faces. Cette organisation est très visible chez les étoiles de mer et les ophiures, plus ou moins chez les oursins, subtile chez les crinoïdes et assez difficile à percevoir chez les holothuries, puisqu’elles sont les seules à vivre sur le côté. Pourtant, celles-ci sont bien pourvues de cinq rangées de petits pieds à ventouses le long du corps (parfois réduites ou fusionnées). Leur bouche est munie d’un nombre de tentacules buccaux multiple de cinq, et l’orifice opposé a lui aussi une forme d’étoile. De même, à l’intérieur leur système nerveux est composé de 5 fibres parcourant l’ensemble du corps : vous ne pourrez donc jamais leur « couper la tête » – mieux, certaines se reproduisent en se coupant par le milieu. Les holothuries sont des détritivores : elles se nourrissent en ingérant des grandes quantités de sédiment grâce à leurs tentacules buccaux, qu’elles digèrent ensuite dans un très long tube digestif où s’ébat une importante flore intestinale. Il en ressort un sable bien blanc, purifié de sa fraction organique, contribuant ainsi à la salubrité des lagons ! Leur rôle semble primordial en particulier dans les herbiers. Ces déjections sont tellement propres que c’est aussi par l’anus que les holothuries respirent, raison pour laquelle il est souvent béant. Certains animaux y trouvent même refuge, crevettes ou poissons, mais les concombres du genre Actinopyga ont trouvé la parade grâce à des… dents anales. Une intimité inviolable !

On recense au moins 27 espèces différentes d’holothuries à Mayotte, mais l’inventaire est encore incomplet. On en trouve de toutes les tailles et couleurs, mais les deux plus courantes sont l’holothurie noire (Holothuria atra), allongée et irrégulière, généralement couverte de sable avec des zones circulaires nues, et l’holothurie à ocelles rouges (Bohadschia atra), à la surface lisse et ponctuée de taches rouges arrondies. Cette dernière a un moyen de défense particulier : quand elle se sent menacée elle expulse par l’anus de longs filaments blancs, urticants et collants (les « tubes de Cuvier »), capables de brûler la peau d’un prédateur ou de ligoter un gros crabe ! Evitez de provoquer ce phénomène, car sans ces tubes l’animal devient vulnérable, et met du temps à les reconstituer. Les trois autres espèces de ce genre présentes à Mayotte (plutôt nocturnes) et quelques-unes du genre Holothuria utilisent aussi ce moyen de défense, tandis que d’autres se contentent d’être toxiques pour la plupart des prédateurs. 

►L’holothurie à ocelles rouges (Bohadschia atra), une des espèces les plus communes à Mayotte. Importunée par le photographe, elle commence à éjecter ses tubes de Cuvier.

Mais les holothuries ont beau être toxiques, cela ne dissuade pas certains prédateurs spécialisés comme les « tonnes » (de gros coquillages), et surtout… Les Asiatiques ! On trouve des holothuries dans toutes les mers du monde mais il n’y a vraiment que les Chinois (et plus marginalement les Malais et Indonésiens) pour en manger : pour les rendre moins toxiques elles sont vidées, bouillies et séchées avant d’être cuites… Ce qui ne dissout pas les spicules calcaires qu’elles ont dans la peau, et surtout ne contribue pas à donner le moindre goût à ces mangeurs de détritus. Mais c’est sans doute plus en raison de leur forme que de leur saveur que les Chinois en raffolent tellement, comme tant d’autres êtres à l’aspect vaguement viril. Toujours est-il qu’il n’est jamais bon d’avoir un milliard de consommateur sur le dos, et les holothuries sont tellement braconnées dans l’Indo-Pacifique que plusieurs espèces ont totalement disparu de l’essentiel de leur aire de répartition et sont en grand danger d’extinction. La pêche des holothuries a été interdite à Mayotte depuis 2004, mais le braconnage sévirait encore dans le sud, comme pour les tortues. L’élevage existe, mais n’est pas encore développé à Mayotte, qui serait pourtant propice. 

Avec notre lagon aux eaux déjà surchargées de boue et de micro-algues, il serait bien dommage de nous priver de ces aspirateurs des mers si efficaces, d’autant que leur croissance est lente et leur reproduction faible. 

 

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