Les danses de couple à la conquête de Mayotte

Depuis des siècles, la danse rythme, souvent plus qu’ailleurs, le quotidien de Mayotte et de ses habitants. Lors des manzaraka, des fêtes de village, des cérémonies religieuses et même pour accueillir une personnalité, le corps des mahorais(e)s s’animent sur des mélodies traditionnelles aux battements des m’biwi. Cette culture de la danse perdure aujourd’hui encore, mais s’ouvre petit à petit à des disciplines plus contemporaines, venues d’autres lieux, d’autres époques. En tête de file, les danses de couple sensuelles comme la salsa, la bachata et la kizomba, qui font de plus en plus d’adeptes sur l’île aux parfums, au point d’y être devenues parmi les plus plébiscitées.

Mayotte danse le m’godro, le wadaha, ou encore le m’biwi. Et désormais, elle danse aussi la salsa, la bachata et la kizomba, appelées « SBK » par leurs adeptes. Venues des États-Unis, de République dominicaine et d’Angola, rien ne prédestinait ces disciplines à prendre le large jusqu’à la petite île hippocampe. Mais aujourd’hui, pas deux jours ne passent sans que n’y soit dispensé un cours dédié. À La Croisette, la piscine Koropa, au restaurant Al-pajoe, au Nord, au Sud et en Petite-Terre, les danseurs affluent par dizaines, parfois chaque soir, laissant les couples se faire et se défaire au rythme des sonorités faussement latines, dont la popularité grandit partout ailleurs depuis plus d’une décennie. S’il y a peu de temps encore, presque aucun cours de SBK n’existait à Mayotte, une demi-douzaine de professeurs l’enseignent désormais.

« Quand je suis arrivé ici, il n’y avait rien du tout à part un professeur d’école (scolaire et non de danse, ndlr) qui donnait quelques cours », se souvient Soilihi Mohamed Ali, fondateur de Cordanse, la première entreprise locale dédiée à l’apprentissage de la SBK. Passionné de longue date, il décide de se lancer il y a trois ans. Seul, Soilihi sollicite les entreprises, les écoles, les restaurants, pour y dispenser des cours et organiser des soirées autour de sa pratique. « Beaucoup de gens disaient qu’il ne se passait rien à Mayotte, alors ça a plu », sourit-il.

Des curieux viennent, puis reviennent. Certains pour la pratique, d’autres pour les rencontres. Quoi qu’il en soit, l’histoire dure : Cordanse compte aujourd’hui près de 120 élèves à l’année répartis à travers tout Mayotte. Chaque semaine, Soilihi arpente l’île : les lundis et mardis, il reçoit ses danseurs au Koropa, à Majicavo ; les mercredis et jeudis, il se rend en Petite-Terre ; les vendredis à Bambo-Est et les samedis à M’tsamboro. Ce dynamisme, partagé par tous les ambassadeurs de la SBK à Mayotte, est l’une des raisons de son succès particulièrement marqué depuis un an.

« LES GENS ONT COMMENCÉ À SE PROJETER DANS CES DANSES-LÀ »

S’ajoute à cela une dimension générationnelle. « Nous sommes dans un contexte de mondialisation, d’échanges intenses, notamment à travers Internet », analyse Victor Randrianary, chercheur en procédé de modernisation et de popularisation des musiques traditionnelles. « Je vois beaucoup de danseurs de hip-hop, par exemple, qui apprennent à danser via leur téléphone portable ».

C’est ainsi qu’est née la passion de Mahery pour la kizomba, qu’il a d’abord découverte sur les réseaux sociaux. Sur une vidéo, « J’ai vu un couple danser du semba, l’ancêtre de la kiz (sic), et j’ai voulu m’y mettre ». Depuis La Réunion où il vivait alors, il commence à suivre des cours avant de rejoindre un collectif local. Arrivé à Mayotte, il participe à l’essor de sa discipline qu’il enseigne bénévolement en tant qu’indépendant. « Depuis quasiment deux ans non-stop, on (les professeurs, ndlr) essaie de mettre en avant la SBK. Lorsqu’on a eu de la visibilité, les gens ont commencé à se projeter dans ces danses-là », se réjouit Mahery, également bien connu sous son nom de scène MisterM Kiz Heart Dance. Chacun des cours qu’il dispense attire, chaque mardi à Koropa, une vingtaine d’élèves.

Des élèves, justement, aux profils variés, hétérogènes. Des étudiants, des salariés, de tous les milieux sociaux, de tous les âges. Mais tout de même une majorité de mzungus, et plus particulièrement de « mzunguettes ». « On voit peu de Mahorais dans les cours de salsa et bachata, un peu plus en kizomba », relèvent de concert Mahery et Soilihi de Cordanse, qui s’accordent également sur la raison : ses rythmes plus urbains aux percussions plus marquées font écho aux danses afro et à la musique traditionnelle locale. « Ici, les gens sont encore très attachés à cet aspect traditionnel », constate pour la kizomba, qu’il a d’abord découverte sur les réseaux sociaux. Sur une vidéo, « J’ai vu un couple danser du semba, l’ancêtre de la kiz (sic), et j’ai voulu m’y mettre ». Depuis La Réunion où il vivait alors, il commence à suivre des cours avant de rejoindre un collectif local. Arrivé à Mayotte, il participe à l’essor de sa discipline qu’il enseigne bénévolement en tant qu’indépendant. « Depuis quasiment deux ans non-stop, on (les professeurs, ndlr) essaie de mettre en avant la SBK. Lorsqu’on a eu de la visibilité, les gens ont commencé à se projeter dans ces danses-là », se réjouit Mahery, également bien connu sous son nom de scène MisterM Kiz Heart Dance. Chacun des cours qu’il dispense attire, chaque mardi à Koropa, une vingtaine d’élèves.

Des élèves, justement, aux profils variés, hétérogènes. Des étudiants, des salariés, de tous les milieux sociaux, de tous les âges. Mais tout de même une majorité de mzungus, et plus particulièrement de « mzunguettes ». « On voit peu de Mahorais dans les cours de salsa et bachata, un peu plus en kizomba », relèvent de concert Mahery et Soilihi de Cordanse, qui s’accordent également sur la raison : ses rythmes plus urbains aux percussions plus marquées font écho aux danses afro et à la musique traditionnelle locale. « Ici, les gens sont encore très attachés à cet aspect traditionnel », constate MisterM Kiz Heart Dance. Une tradition qui, toujours, s’est façonnée et perpétuée au gré de la danse.

UN BIAIS CULTUREL, SOCIAL ET PLUS SI AFFINITÉS…

À Mayotte particulièrement, la danse se fait en effet relai de la vie sociale. Elle l’incarne pour toutes les générations. Soilihi Mohamed Ali en sait quelque chose, puisqu’il enseigne la SBK dans les écoles primaires, les collèges, les lycées, et même au centre universitaire. « Je voulais que les nouvelles générations (mahoraises, ndlr) découvrent ces danses qu’elles ne connaissent pas puisqu’elles ne font pas partie de leur culture, et souvent, on a peur d’aller vers ce qu’on ne connaît pas », analyse-t-il en constatant : « Finalement, c’est un véritable biais social ».

Aujourd’hui, cet apprentissage en milieu scolaire n’a plus rien de marginal. Professeure d’espagnol au lycée de Petite-Terre, Lola y donne chaque mercredi des cours de kizomba aux élèves de terminale, avec qui elle prépare même un spectacle de fin d’année. Aussi vrai que cette danse de couple semble bien loin que celles pratiquées par leurs parents ultramarins, les jeunes sont réceptifs. Et pour cause : ce sont eux qui ont demandé à leur enseignante de leur donner des cours de danse. « Ils savaient que je donnais des cours pour adultes (les jeudis soir au restaurant le Tour du monde en Petite-Terre, nldr), alors ils m’ont demandé d’en faire au lycée », se souvient la gérante de Full Kiz Mayotte.

Depuis deux ans, elle observe, séance après séance, la rigueur et la concentration de ses élèves évoluer. Et pas seulement. « Des jeunes provenant de milieux et de filières différentes collaborent autour d’un projet de spectacle qui demande de la cohésion, de l’assiduité aux répétitions et une bonne dynamique de groupe. La danse de couple permet aussi de travailler son rapport à l’autre et au corps. Je remarque une plus grande confiance en soi chez les élèves et une complicité est née entre eux. »

La danse fédère… et elle séduit aussi. Entre Lola et la kizomba, c’est littéralement une grande histoire d’amour. « C’est avec cette danse que mon conjoint m’a conquise. J’ai donc eu envie de la maîtriser, c’est lui qui m’a tout appris », raconte-t-elle. Car la danse est un atout de séduction, particulièrement lorsqu’elle se pratique en couple. À 32 ans, Abdelrazak en sait quelque chose. Arrivé à Mayotte il y a un an, il s’essaie alors à la kiz. L’expérience lui plaît, les femmes aussi. Avec la danse, « Je pécho ! (sic) » lâche-t-il sans gêne dans un rire sonore.

Mais si la salsa, la bachatta et la kizomba transpirent la sensualité, les mains baladeuses semblent y demeurer rares. « On est là dans une ambiance sérieuse, c’est un peu comme à l’école », raconte Youssouf alors qu’il s’octroie une pause à l’air frais, pendant son cours au Koropa. « Et puis on devient comme une grande famille », lance le jeune homme qui a cofondé le groupe May’Danse pour partager sa passion dans une ambiance conviviale. Près de lui, ses camarades regagnent la salle, boissons et paquets de chips dans les bras.

Ce mardi-là en effet, c’est le dernier cours de la session de trois mois, débutée en janvier. Alors, tous les apprentis, à l’issue de leurs efforts, partageront ensemble un grand repas le soir même, avant de se retrouver le week-end suivant pour quatre heures de stage, avant une grande soirée afro-latino.

LA FEMME, CETTE OEUVRE D’ART

Un dernier soir pour lequel les danseurs de tous niveaux affluent. « Un, deux et trois », les passes s’enchaînent et « changez de partenaires ». Évidemment, la kiz, mélange de salsa et de tango, se danse en couple. « Lorsqu’on débute, le plus dur c’est de se laisser guider », explique Sarah, la partenaire du professeur. Ici, c’est l’homme qui dirige la femme. « Il ne faut surtout pas essayer d’apprendre les pas, au risque de ne pas se laisser faire ! », commente la danseuse qui a commencé la kizomba deux ans plus tôt à Mayotte. Son conseil : fermer les yeux pour se focaliser plus facilement sur l’impulsion de son partenaire. Sarah danse depuis quinze ans, mais avec cette discipline, elle a trouvé une « connexion plus forte » qu’avec les autres. Cette connexion, Ibrahim la retrouve également au fil de ses danses et de ses cavalières. Lui aussi, danse depuis longtemps. Hip-hop, break dance, danses africaines, etc. Pour lui, c’est incomparable. « Les autres danses que je pratiquais s’exécutent en solo, avec la SBK, il faut faire briller sa partenaire, la mettre en valeur. L’homme est le cadre et la femme l’oeuvre d’art », développe le jeune homme avec passion. « D’ailleurs, on voit souvent que les spectateurs ont le regard tourné vers la cavalière ! » Plusieurs fois déjà, Ibrahim s’est entraîné avec des femmes qui avaient quelques difficultés à se laisser guider. Mais finalement, « ça n’empêche pas le corps de s’exprimer ! Lorsqu’on ressent le bonheur de sa partenaire, le temps s’arrête. » 

UNE HISTOIRE PAS À PAS

Loin des danses traditionnelles mahoraises, majoritairement bantoues et issues de la tradition arabo-musulmane, les différentes disciplines de la SBK sont apparues bien plus récemment. La bachata est l’une premières à voir le jour. Dans les années 60, ce mélange de boléro, de merengue et de tango rythmé par des influences africaines, émerge et se répand parmi les classes populaires de la République dominicaine. Longtemps considérée comme vulgaire du fait de ses origines, elle finit par se démocratiser dans les années 80 à 90. Initialement jouée par trois instruments, sa musicalité s’étoffe. Côté paroles, les textes, eux aussi, évoluent. Exit les histoires d’amertume, de misère, de débauche et d’adultère, la place est maintenant faite à l’amour romantique. Plus moderne, elle se commercialise enfin, s’écoute sur les ondes et s’exporte à travers le monde. Si elle se décline aujourd’hui sous plusieurs formes (sensuelle, urbaine ou fusion), la base de cette danse reste la même : l’ondulation du bassin.

À l’aube des 60’s, naît la salsa à… New York, où s’exilent nombre d’artistes cubains et portoricains. Lors des « jam-sessions », rencontres entre musiciens, les artistes étrangers apportent leurs influences aux sonorités du jazz, alors très en vogue. Timbales, cuivres, piano et basse commencent à résonner et animent les corps. Si le nom « salsa » (traduction de « sauce » dans les langues hispaniques) avait déjà été utilisé à Cuba quelques décennies plus tôt, il est « dépoussiéré » pour permettre à ce nouveau genre musical d’être commercialisé. À la croisée du Mambo et du Cha-cha-cha notamment, la salsa gagne rapidement l’Europe, puis le reste du globe où elle s’impose encore aujourd’hui comme l’une des danses latines les plus connues.

Dans les années 80, la kizomba est la dernière à émerger. Celle-ci se danse en trois temps, contrairement à la salsa et à la bachata. Elle trouve ses racines en Angola, au sud-ouest du continent africain. Dans l’une des langues parlées localement, « kizomba » signifie « fête ». Là-bas, on danse le zouk et le traditionnel semba. Influencées par la colonisation occidentale, les rythmiques africaines voient naître une nouvelle conception de la danse qui se pratique désormais en couple. Langueur, lenteur et sensualité sont maintenant de mise, les mouvements puisés dans le samba se simplifient. Le tronc reste fixe, le bas du corps marque le rythme. Le phénomène s’étend rapidement à toute l’Afrique. Aujourd’hui, la « kiz » est enseignée à Paris comme aux États-Unis.

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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