Le regard de Neptune : les strombes

Les strombes, aussi appelés « lambis » ou « 7-doigts », sont parmi les plus gros et les plus célèbres coquillages des récifs coralliens. Mais avez-vous déjà croisé leur beau regard ?

            Les très gros coquillages contribuent de manière certaine à la beauté des plages tropicales et de leurs fonds sous-marins, ainsi qu’au bon fonctionnement de l’écosystème récifal. L’océan Indien abrite un bon nombre d’espèces de très grandes dimensions : le « fer à repasser » (Cassis cornuta), le « casque rouge » (Cypraecassis rufa) ou encore le « triton géant » (Charonia tritonis) peuvent ainsi tous dépasser 20 voire 40 cm de long, et peser plusieurs kilos quand ils sont vivants. Hélas, ces animaux à la croissance lente se reproduisent peu, et quand ils sont surpêchés pour la vente de leur coquille aux touristes (ou, historiquement, la sculpture des camées) leur disparition peut être rapide et irréversible.

            L’un des principaux groupes de gros coquillages encore relativement bien représenté à Mayotte est la famille des strombes, ou conques. C’est une assez grande famille, comptant 89 espèces réparties dans 23 genres, avec à Mayotte au moins 27 espèces, dominées par les genres Canarium et Lambis. C’est dans le second qu’on trouve les très grosses coquilles familièrement appelées « 7-doigts », du fait des sept digitations qui s’élancent de la « lèvre » de la coquille – certaines espèces en ont plus ou moins, et la plupart des autres genres n’en possèdent pas, et sont de dimensions plus modestes. On trouve facilement sur toutes les plages de Mayotte des fragments de ces coquilles, en forme de crochets courbes ou de morceaux de faïence de dimensions parfois impressionnantes. Plus rarement, on trouve un spécimen entier, plus ou moins abrasé par son séjour dans le sable… Il n’est pas vraiment interdit de ramasser les coquilles quand elles sont vides, mais cela reste déconseillé car elles constituent un habitat capital pour les gros bernard-l’hermite, qui peinent souvent à trouver des logements à leurs proportions !

            Notre expérience de ces animaux se résume donc souvent à ces coquilles vides, en plus ou moins bon état. Pourtant, elles ont bien été habitées et même fabriquées par un mollusque, et celui-ci mérite notre attention. Les strombes sont tous des herbivores nocturnes, qui se déplacent sur le fond par petits bonds, au moyen de leur opercule corné en forme de faux.  Les plus grosses espèces n’ont guère de prédateurs à l’âge adulte, et même les vieux poulpes, raies et balistes risquent de se casser les dents sur ces coquilles lourdes et épaisses.

  • Les yeux et la bouche d’un « 7-doigts » curieux… . Gabriel Barathieu.

            Mais le trait le plus fascinant de ces animaux est surtout… leurs yeux. Si les dizaines d’espèces de strombes arborent des tailles et des formes de coquilles très variables, toutes ont en commun un léger plissement de la lèvre non loin de la base de la coquille : c’est par cette petite encoche que vous pourrez apercevoir, chez un strombe vivant et en confiance, émerger un œil – le second, très indépendant, sortira par le canal siphonal, à l’extrémité de la coquille. Et quels yeux ! De tous les animaux marins, les strombes ont sans doute le regard le plus humain qui soit : exactement comme les nôtres, leurs yeux possèdent une sclère blanche, un iris coloré et une pupille noire. Mais au lieu d’être enchâssés dans des orbites, ils sont disposés au bout de longues tiges, un peu comme les escargots, et ils sont donc indépendants l’un de l’autre, ce qui les rend très mobiles et permet à l’animal de surveiller deux choses en même temps. Chaque espèce a des yeux différents, et les plus beaux regards sont sans doute à chercher chez les petits Conomurex, assez communs sur les platiers comme celui de Sakouli, surtout de nuit.

            Pour autant, il n’est pas sûr que les strombes aient une vue excellente : leurs beaux yeux demeurent loin des extraordinaire prouesses de ceux des crevettes-mantes. De même, un beau regard n’est pas synonyme d’intelligence, et les poulpes conservent une belle longueur d’avance en matière de ruse marine. Mais ce regard curieux reste émouvant, et peut-être faudrait-il le montrer aux pêcheurs qui fracassent ces animaux par dizaines pour en faire des appâts ! C’est d’autant plus triste que ces strombes sont souvent bien plus vieux que les poissons qu’ils servent à pêcher, ce qui rend cette pratique bien peu durable – les bénitiers, à la croissance encore plus lente, partagent souvent ce triste sort.

Profitez donc de l’hiver austral pour rejouer avec un strombe le film Quai des brumes: « T’as d’beaux yeux, tu sais » 

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