Depuis deux mois, le siège de directeur au sein de la crèche des Beaux Enfants, en Petite-Terre, reste vacant. Entre petits moyens, alignement du droit commun et manque de personnels diplômés sur place, la petite enfance à Mayotte est confrontée à de lourds défis. Et si l’établissement ne les relève pas, il pourrait fermer ses portes définitivement.
La situation dure depuis le mois de juillet. Suite à la démission de son éducatrice de jeunes enfants, la garderie associative des Beaux Enfants, unique crèche de Petite-Terre, cherche désespéramment repreneur au poste. Mais faute de professionnels diplômés sur place, l’établissement ouvert depuis 32 ans menace de fermer définitivement ses portes.
« C’est un poste obligatoire pour ouvrir une crèche de plus de 30 enfants, alors que la nôtre compte 32 places », développe Victoria Carbou, présidente de l’association de la garderie, dont dépend une cinquantaine de familles au total. Problème : la formation nécessaire au poste n’existe pas à Mayotte, à l’instar des autres diplômes nécessaires à la gestion d’une crèche. Pour ne rien arranger, l’Hexagone connaît déjà un sous-effectif en la matière et la mauvaise image de Mayotte depuis la métropole nourrit nombre de réticences chez les potentiels néo-arrivants. « La petite enfance est sûrement l’un des domaines les plus difficiles à pourvoir en emploi à Mayotte », complète à son tour Namour Zidini, recruteur au sein de Maestria Recrutement, et par ailleurs administrateur de la crèche les Mini-explorateurs à Koungou.
« Un autre frein, c’est l’attractivité des salaires », concède-t-il. « Prenons l’exemple des infirmiers scolaires : à trois ans d’expérience, ils gagneront 2.000 euros par mois, contre 5 à 800 de plus au CHM… En sachant qu’il y a aussi une pénurie d’effectif à l’hôpital ! » Faute d’alignement des salaires, les candidats se bousculent d’autant moins aux portes des crèches. Pis, alors même que leur budget de fonctionnement est approvisionné à hauteur de 70% par des subventions publiques, « nous restons soumis à des barèmes fixés par la Sécurité sociale, qui valident également les grilles salariales », précise le recruteur. « Et c’est pour cela que l’on se retrouve avec beaucoup de candidats qui refusent de venir travailler ici, parce qu’ils jugent le salaire trop bas pour un endroit qui leur renvoie parfois une image d’insécurité. »
Le droit commun en décalage avec les réalités locales
Mais en matière de formation et de qualification, les difficultés ne s’arrêtent pas là, au contraire. « C’est de plus en plus compliqué », concède Fatima Abodou, présidente de la fédération des crèches à Mayotte. En effet, avec l’alignement du droit commun, la protection maternelle et infantile (PMI) exige désormais depuis une poignée d’années que seuls les professionnels diplômés puissent exercer en crèche. « Donc on se retrouve à essayer de recruter des gens sur l’Hexagone ou à La Réunion », complète Victoria Carbou. « Alors qu’on a des tatis qui s’occupent de nos enfants depuis 1991 ! Les conditions imposées par la PMI sont les conditions nationales, mais à ce stade, ça ne colle pas aux réalités locales. »
Pour remédier aux problèmes, plusieurs pistes ont déjà été lancées. Parmi elles, la fédération mahoraise des crèches espère pouvoir récolter des fonds publics supplémentaires, notamment par le biais du conseil départemental – en charge de la PMI –, de la préfecture ou de la caisse de Sécurité Sociale elle-même. « On souhaiterait que les salaires soient revus pour les professionnels qualifiés, dûment diplomés, à travers la mise en place d’un système de prime ou d’indexation », à la façon de ce qui se fait déjà dans le public, dans un souci d’attractivité.
Autre chantier, un projet de formation d’assistantes maternelles pour diversifier l’offre de garde des enfants, « en insérant des femmes au foyer éloignées de l’emploi mais qui savent s’occuper d’enfants pour l’avoir fait une grande partie de leur vie », défend Namour Zidini. Car à Mayotte, le statut d’assistance maternelle n’existe pas à ce jour, compliquant les alternatives pour les parents ne pouvant pas placer leurs bambins en crèche – une solution par ailleurs souvent moins coûteuse pour les ménages. Dans le cas de celle des Beaux Enfants, celle-ci risque de voir sa fermeture ordonnée si un ou une directrice diplômée n’est pas rapidement recrutée. « Là, on perdrait l’agrément, on devrait recommencer tout un dossier en repartant de zéro pour rouvrir, comme si la crèche n’avait jamais existé. » Une crèche qui, après plus de trois décennies d’existence, assure aujourd’hui l’emploi d’une quinzaine de personnes, et permet la garde d’enfants issus de familles précaires, modestes ou monoparentales, puisque les frais de scolarité sont calculés au prorata des revenus du foyer.
Romain Guille est un journaliste avec plus de 10 ans d'expérience dans le domaine, ayant travaillé pour plusieurs publications en France métropolitaine et à Mayotte comme L'Observateur, Mayotte Hebdo et Flash Infos, où il a acquis une expertise dans la production de contenu engageant et informatif pour une variété de publics.