Le chemin de croix des demandeurs d’asile à Mayotte

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a annoncé le 3 janvier via un tweet qu’une mission de protection avait récemment été menée à Mayotte, lors de laquelle 400 demandeurs d’asile venus de l’Afrique des Grands Lacs avaient été entendus. Dans l’attente des résultats de cette mission, Flash Infos revient sur la situation de ces candidats au statut de réfugié. Et en termes d’hébergement, d’allocations et de soins pour ces populations, Mayotte semble manquer à ses devoirs.

« En besoin manifeste de protection », c’est ainsi que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a qualifié la situation des 400 demandeurs d’asile originaires de la région de l’Afrique des Grands Lacs à Mayotte qu’il a entendus. En mission de protection durant 3 semaines sur le 101ème département français, l’Ofpra a collaboré avec l’association Solidarité Mayotte, qui a accompagné plus de 1400 demandeurs d’asile en 2017 dont 500 nouveaux arrivants. « Un nombre clairement en augmentation », note Mouhamadi Assani, directeur adjoint de la structure. Parmi ces candidats au statut de réfugié, beaucoup viennent de la région de l’Afrique des Grands Lacs, fuyant la crise politique que traverse le Burundi et les exactions, ou encore les conflits armés de la République démocratique du Congo, notamment dans la région de Kivu, et qui provoquent d’importants déplacements de population.

Des « atteintes graves » au droit d’asile

L’année dernière, l’association a accueilli 99 Congolais, 77 Burundais et 53 Rwandais nouvellement arrivés, la plupart arrivant depuis la Tanzanie et changeant de bateau en pleine mer, passant sur des kwassas pour rejoindre Mayotte. « J’ai l’impression que depuis septembre, le nombre de demandeurs d’asile originaires du Burundi augmente, certainement en raison de la crise mais peut-être aussi à cause de certaines opportunités [en raison de l’augmentation ou de la formalisation des filières de passeurs] », observe le directeur adjoint de Solidarité Mayotte, qui note de manière générale une plus grande part de mineurs non accompagnés (76 sont pris en charge par Solidarité Mayotte dont 40 arrivés en 2017) et de femmes seules ou avec enfants. Et malheureusement, les conditions d’accueil et d’accompagnement de ces personnes en situation de grande vulnérabilité ne sont pas optimales sur le territoire – notamment pour les mineurs, en l’absence de foyer de l’enfance et de financements du Département dans ce domaine. En septembre 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCD H) mentionnait dans un rapport public des « atteintes graves » au droit d’asile à Mayotte, pointant du doigt un certain nombre de dysfonctionnements dans le traitement des demandes : mesures d’éloignement irrégulières notamment pour les ressortissants comoriens et malgaches « systématiquement placés au centre de rétention administrative après leur interpellation, et (…) bien souvent renvoyés avant même que leur éventuelle demande n’ait été enregistrée et examinée par l’Ofpra »; des problèmes de réception des documents administratifs en raison d’un adressage problématique sur l’île ; l’absence ou le manque d’interprètes ; des délais pour un entretien avec l’Ofpra particulièrement longs, etc.

Un constat que partage le directeur adjoint de Solidarité Mayotte qui retrace le parcours du combattant du demandeur d’asile à Mayotte : entre le moment où ce dernier dépose une demande d’asile et la réponse qu’il obtient de l’Ofpra, entre trois et quatre ans peuvent s’écouler, « même si les choses s’améliorent », tempère Mouhamadi Assani. Cette personne ne peut travailler avant neuf mois et ne bénéficie pas des allocations auxquelles elle a droit « en raison d’un régime dérogatoire à Mayotte », explique le responsable. Une situation administrative et financière qui ne permet pas à ces migrants de vivre décemment. En outre, aucun centre d’accueil de demandeurs d’asile n’existe sur l’Ile aux Parfums, seule Solidarité Mayotte propose 15 places d’hébergement d’urgence, financées par la Direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DJSCS). Et si en décembre la DJSCS a débloqué de nouveaux fonds pour 20 places supplémentaires, le nombre de lits demeure « dérisoire » en regard des besoins, pour Mouhamadi Assani. Ainsi, le demandeur d’asile peut bénéficier d’un toit durant un mois, renouvelable une fois, mais sera contraint de laisser sa place au bout de deux mois maximum. « Nous demandons aux communautés de prendre en charge ces personnes si possible mais sinon, nous sommes sans solution, elles sont livrées à elles-mêmes », regrette le directeur adjoint. A titre d’exemple, il chiffre : « Entre le 22 décembre et hier, 47 personnes sont nouvellement arrivées. L’hébergement est déjà plein. »

« Problème de gouvernance »

Solidarité Mayotte proposait également un accompagnement psychologique et des soins infirmiers, un dispositif financé par l’Agence régionale de santé (ARS) mais dont les fonds n’ont pas été renouvelés, selon Mouhamadi Assani. Ainsi, les médecins du centre médico-psychologique (CMP) de Mamoudzou contactent-ils Solidarité Mayotte, relate le directeur adjoint, afin de trouver une solution pour ces populations ayant vécu de grands traumatismes et pouvant difficilement être prises en charge en raison de l’engorgement du CHM. Suite à la suppression du dispositif de soins porté par Solidarité Mayotte et en l’absence de couverture maladie universelle (CMU) et d’aide médicale d’Etat (AME) auxquelles ont théoriquement droit les demandeurs d’asile, qu’a prévu l’Etat pour la santé de ces étrangers ? « Cela pose de nombreux problèmes, notamment en termes d’épidémies », avertit Mouhamadi Assani, évoquant par exemple le virus Ebola. Outre la problématique des droits fondamentaux de ces migrants, se pose donc une question de santé publique pour l’ensemble de la population de l’île. Contactée, la délégation mahoraise de l’ARS a démenti avoir suspendu les financements de ce dispositif, et a affirmé avoir effectué les paiements de 2017 et avoir même prévu une enveloppe à la hausse en 2018. « Le dispositif a cessé fin 2016. En 2017, les fonds de l’ARS ont servi à l’aide alimentaire aux personnes démunies », s’étonne le directeur adjoint de Solidarité Mayotte.

Pour Mouhamadi Assani, la prise en charge des demandeurs d’asile à Mayotte pose un problème de « gouvernance administrative » et de responsabilité : « Je ne sais pas quand l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration, ndlr) va se décider à prendre en charge les demandeurs d’asile », s’interroge le directeur adjoint. D’autant que le problème est complexe à Mayotte, avec des demandeurs d’asile de tous horizons : en 2017, l’association a accueilli des migrants du Yémen, de Tanzanie, du Soudan, du Sénégal, de l’Ouganda, d’Inde, d’Ethiopie, de Birmanie, etc.

En 2017, selon les chiffres de Solidarité Mayotte, 278 personnes ont obtenu le statut de réfugié, 79 ont été déboutées, 671 étaient dans l’attente d’une décision de l’Ofpra et 25 ont demandé une procédure de réexamen de leur dossier.

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