ORIGINAIRE DE BARAKANI DANS LA COMMUNE DE OUANGANI, LA JEUNE TRENTENAIRE LAVIE MATURAFI EST SPÉCIALISTE DU LANGAGE. ELLE TRAVAILLE NOTAMMENT SUR LA LANGUE MAHORAISE ET CE CONCEPT QU’ELLE APPELLE LE « SHIMAHOZUNGU ».
La linguistique n’était pas le choix initial de Lavie Maturafi. Après un baccalauréat littéraire obtenu au lycée de Sada en 2007, la Mahoraise originaire de Barakani s’envole pour l’Hexagone où elle entame une licence de psychologie à l’université Paul Valéry de Montpellier (34). « Je ne m’étais pas assez renseignée sur le parcours », reconnaît la jeune femme qui décide de se réorienter à la fin de la première année. « Le changement a été brutal », se rappelle-t-elle. « Je n’avais jamais été à la fac, jamais pris de cours en amphithéâtre. Je ne m’y retrouvais pas du tout ».
Une fois en licence Sciences du langage, Lavie Maturafi est « dans son élément ». L’étudiante de l’époque, ravie de cette « continuité », donne enfin un sens à ses études post-bac. Le cursus propose notamment d’intéressantes options pour la jeune femme, tels que des cours de communication et de lettres modernes. Une fois sa licence en poche, Lavie Maturafi poursuit avec un master 1, puis un master 2 dans le même domaine. Son premier mémoire s’intitulera « Analyse des discours médiatiques, institutionnels et politiques ». Un thème choisi avec l’objectif d’analyser les discours radiophoniques et les textes de presse, entre autres.
En master 1, l’étudiante de l’époque se penche sur la gestualité et la mimogestualité de Nicolas Sarkozy. Elle lui accordera son mémoire entier. « Je ne savais pas où j’allais avec Nicolas Sarkozy », confie Lavie Maturafi qui préfère traiter de sa langue maternelle en master 2. Un projet sur lequel elle avait déjà entamé une première ébauche en licence, lors d’un sujet sur les langues du monde où elle avait abordé celles de Mayotte. « Les questionnements ont commencé à se bousculer dans ma tête. Je n’avais pas pris conscience que le shimaoré pouvait s’écrire », déclare Lavie Maturafi. Son deuxième mémoire s’intitule « Étude prosodique du français et du shimaoré dans le parler quotidien et celui des médias ».
Elle y confronte les discours de la chroniqueuse radio de Mayotte 1ère, Saandati Sorribas à sa belle-sœur Fostin. « Je voulais comparer le parler radiophonique et le parler du quotidien », commente Lavie Maturafi.
Avec une amie de la faculté, elle met également en parallèle le discours de Flavie Flament, animatrice de télévision et de radio française afin de « dégager les spécificités des différents discours », explique-t-elle. Pour le cas de Mayotte, Lavie Maturafi remarque que dans les deux discours, le français et le shimaoré s’entremêlent. Constatation qu’elle déploiera dans sa thèse une fois son master 2 en poche.
SHIMAORÉ VS LANGUE FRANÇAISE
« Le français et le shimaoré à Mayotte : influences réciproques », tel est le nom de la thèse de Lavie Maturafi, sur laquelle elle travaille actuellement. En effet, dans un discours censé être tenu en shimaoré, les interlocuteurs insèrent très souvent des termes français. Un mélange des deux langues que la linguiste appelle « le shimahozungu ». Sous la direction d’Agnès Steuckardt de l’université de Montpellier 3, Paul Valéry, le projet de thèse a été motivé par son professeur Fabrice Hirsch. « Durant mon master 2, j’avais eu du mal à trouver de la documentation sur le shimaoré », déplore Lavie Maturafi. Encouragée par son professeur, elle décide de « creuser » et de récolter un maximum d’informations sur la langue mahoraise et cet emboîtement du français et du shimaoré.
Doctorante et future linguiste
À tout juste 30 ans, Lavie Maturafi est doctorante et future linguiste. Ses travaux portent sur le shimaoré, qu’elle souhaite contribuer à formaliser dans sa forme écrite.
CE QU’ILS EN DISENT
Djaoulati, soeur de Lavie Maturafi
« Une lionne »
« C’est une femme battante qui sait ce qu’elle veut, prête à faire des sacrifices pour y parvenir. Pour arriver à ce stade, elle a beaucoup souffert. Elle a dû se battre, même maintenant, pour faire reconnaître son travail. Lavie est une lionne. Une femme de caractère qui arrive à s’imposer. Elle est un exemple ».
« APPRENDRE QUI NOUS SOMMES RÉELLEMENT »
UNIFORMISER LE SHIMAORÉ À L’ÉCRIT
Le shimaoré est une langue de tradition orale qui ne connaît aucune transcription écrite officielle. Épaulée par divers chercheurs issus de divers horizons, la première étape a été de définir un alphabet mahorais. « C’est important de voir comment on allait écrire les sons de la langue », explique la linguiste. « Il faut différencier absence d’écriture et absence d’alphabet fixe. Le shimaoré et le kibushi sont certes de tradition orale, mais les langues s’écrivent depuis de nombreuses années. Tant à travers les caractères arabes que les caractères latins », fait remarquer Lavie Maturafi qui souligne tout de même que « les locuteurs non-avertis se calquent généralement sur le système du français ».
L’écrit reste une des difficultés majeures de la langue locale.
En prenant l’exemple de la danse traditionnelle « deba », nous pouvons constater plusieurs écritures différentes : « debaa » ou encore avec l’accent aigu « déba », si on francise le mot. Dans son travail de recherche, Lavie Maturafi s’est concentrée sur trois alphabets : celui de l’association mahoraise de promotion des langues locales Shimé, celui du linguiste mahorais Haladi Madi et celui du Groupe de recherche sur le plurilinguisme à Mayotte (GRPM) dirigé par le professeur Foued Laroussi. Un choix scientifique s’impose, elle se focalise sur l’alphabet de Haladi Madi. « Tous les trois avaient raison, mais j’ai fait le choix de suivre l’alphabet du linguiste Haladi Madi et de l’associer à celui de Foued Laroussi sur un seul son, car je n’étais pas totalement d’accord avec tous ses choix », explique la jeune linguiste.
En effet, les trois étaient en concordance sur la transcription des consonnes. Un bémol, les voyelles sont quant à elles plus difficiles à retranscrire. Lavie Maturafi est notamment dubitative sur la « nasalité de la langue », accent circonflexe ou tilde ? « Haladi Madi propose un accent circonflexe, l’association Shimé un tilde, couramment utilisé dans l’alphabet international », explique-t-elle.
Tant de questions pour faciliter l’apprentissage et l’écriture du shimaoré. « Chaque graphie doit se rapprocher au maximum du son entendu pour établir l’alphabet mahorais ». À titre de rappel, afin d’être reconnue en tant que langue régionale et qu’elle soit enseignée dans les écoles, la langue mahoraise doit être formalisée à l’écrit.
UNE HISTOIRE AVANT 1841
À l’initiative du Conseil départemental, un projet de création d’un Institut des langues et des civilisations serait en cours d’élaboration. Un moyen « d’apprendre qui nous sommes réellement », explique Lavie Maturafi qui ajoute qu’une ouverture vers la région serait également de mise. « L’idée est d’arrêter d’insulariser tout ce qui passe ici. En se basant sur ce que les autres font à l’extérieur du territoire, on pourrait mieux se comprendre ».
Par le biais de cet institut, les responsables souhaiteraient procéder à de la recherche, de l’information « et travailler sur la civilisation, l’histoire de Mayotte avant 1841 parce qu’on a eu une histoire avant cette date », indique la jeune linguiste qui participera au projet via ses travaux de recherche.
CE QU’ILS EN DISENT
Salami, compagnon de Lavie Maturafi
« Une femme engagée »
« Lavie est passionnée par ce qu’elle fait. Je dirai carrément qu’elle est perfectionniste. C’est une femme engagée et très passionnée par son domaine ».
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