La rentrée des baleines

Comme chaque année à la saison des alizés, plusieurs centaines de baleines à bosse viennent profiter des eaux calmes du lagon de Mayotte pour mettre bas et élever leurs petits. Gros plan sur les géants des mers… 

Comme si l’océan faisait chaque année un cadeau de bienvenue aux nouveaux arrivants ou offrait une bénédiction divine aux petits mahorais pour leur rentrée scolaire, la fin de l’hiver austral est marquée par la migration des baleines à bosse. Il n’y a pratiquement qu’à Mayotte que le lagon est suffisamment grand et profond pour permettre l’entrée des baleines, qui sont parfois visibles des plages, notamment dans le nord et l’ouest. Elles donnent bien du travail aux nombreux opérateurs nautiques de l’île entre juillet et octobre. 

Mais d’où viennent ces baleines ? Essentiellement du pôle sud, ou plutôt de l’océan glaciaire qui l’entoure – elles sont parmi les plus grands migrateurs au monde, capables de parcourir 25 000 km en une année. Là-bas, les eaux sont froides mais très riches en poisson et en grands bancs de petites crevettes (le « krill »), que nos baleines engloutissent par tonnes pendant la majeure partie de l’année. Car contrairement à ce qu’on entend souvent, ces baleines ne se nourrissent pas de plancton microscopique, mais bien de poissons (notamment du hareng, bien gras) et de crevettes ! Quand elles ouvrent leur énorme bouche, des milliers de litres d’eau sont irrésistiblement aspirés en quelques instants, puis expulsés d’un vigoureux coup de langue à travers leurs fanons poilus, qui retiennent tous ces animaux comme dans un filet, d’où ils seront aspirés vers l’estomac. Il n’est pas rare qu’elles avalent au passage un oiseau marin imprudent, alléché par les poissons en panique… Mais depuis Jonas on ne connaît aucun problème avec des humains, heureusement !


©Geoffroy Vauthier

D’ailleurs, les baleines que l’on voit à Mayotte ne se nourrissent pas : elles reviennent des pôles avec plusieurs tonnes de graisse en réserve, et se contentent de se reposer dans les eaux tropicales, mais aussi de s’exercer au chant ou au saut, d’élever les petits à l’abri des orques et des gros requins du large (ils ne quittent leur mère que vers 5 ou 6 ans), et bien sûr de séduire. C’est dans ce but que l’on voit les mâles rivaliser de bonds prodigieux, qui peuvent atteindre 5 mètres de haut et déplacer plus d’eau qu’une piscine olympique ! Chants envoûtants, claquements de nageoires ou de queue, virevoltes sous-marines, tout est bon pour montrer à une femelle qu’on est le père idéal. Et les Don Juan des fonds marins ne s’embarrassent pas de la présence d’un baleineau dans leur parade : certaine femelles agacées ou protectrices chassent d’ailleurs les impertinents en répondant à leurs sauts, profitant d’être plus grandes qu’eux pour calmer leurs ardeurs. 

Quelle que soit l’issue de ces séances de séduction ou des affrontements entre rivaux, le spectacle est toujours au rendez-vous avec ces animaux, qui mesurent en moyenne 14 mètres de long pour 25 tonnes, soit les mensurations d’un bus scolaire bien chargé – avec la grâce d’une jeune danseuse de mbiwi. L’avantage de ces baleines est qu’elles sont sans doute l’espèce la moins farouche et la plus curieuse : elles se laissent assez facilement approcher par les bateaux prudents, et vont même parfois s’approcher elles-mêmes pour observer une embarcation qui les intrigue… C’est ce qui permet, quand les conditions le permettent, d’aller nager quelques minutes en leur imposante compagnie, même si le moindre dérangement peut les faire fuir en un éclair. Mais cet avantage fut aussi un triste défaut, car cette espèce est l’une de celles qui a le plus souffert de la pêche aux XIXe et XXe siècles. Quand leur pêche a été interdite en 1966, celle-ci n’était déjà plus rentable puisque 90% des baleines à bosse avaient été massacrées ! Il n’en restait alors que quelques milliers d’individus dans des régions reculées, mais grâce aux mesures de protection la population globale est aujourd’hui remontée à environ 35 000 baleines, ce qui a permis de sortir cette baleine de la liste des espèces en danger. 


©Geoffroy Vauthier

Les baleines à bosse dissimulent encore bien des mystères aux scientifiques, notamment en ce qui concerne leur communication, qui semble toujours plus complexe. On observe aussi de plus en plus de grands groupes dans certaines régions, alors qu’on croyait cette espèce plutôt solitaire en dehors des nécessités de la reproduction : il est difficile de déterminer s’il s’agit du retour d’un comportement disparu à cause de la surpêche, ou d’une adaptation à un environnement changeant… Peut-être aussi que nous ne sommes pas encore assez intelligents pour les comprendre !

 

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