La Guyane est à l’arrêt. Depuis deux semaines, un mouvement social paralyse le territoire. Les causes du ras-le-bol ? Immigration clandestine, insécurité, économie, etc. Des tensions qui rappellent celles de Mayotte. Alors, la crise sociale que connaissent nos lointains compatriotes pourrait-elle réveiller les colères de l’île aux parfums ?
Guyane depuis deux semaines. Ce lundi, une grève générale s’y est greffée. Au centre des débats : immigration clandestine, insécurité, vie chère, fiscalité, éducation, etc. Des problématiques bien connues de l’île aux parfums. Alors, les revendications de Guyane peuventelles réveiller celles de Mayotte ?
Sur les réseaux sociaux, s’ils sont quelquesuns à douter de la possibilité qu’un conflit du même type apparaisse ici, c’est surtout pour des considérations relevant de la lassitude ou de la crainte des conséquences – “Il y a un manque de solidarité ici” ou “On y a déjà eu droit en 2011 avec les mêmes revendications et les mêmes dérives. Six ans plus tard, rien n’a changé, voire même c’est pire. Alors rebloquer l’île et lâcher les délinquants dans les rues ce n’est pas la solution”, expliquent des internautes.
Pour la majorité en revanche, l’agacement guyanais et les méthodes employées semblent plus souvent provoquer de la compréhension que de la critique. “Il n’y a que cette méthode de blocage qui marche. Marre de devoir se battre corps et âme pour obtenir les choses les plus élémentaires”, commente un internaute sur Facebook ; “Soutien à nos amis Guyanais qui font ce qu’on ne sait pas faire : s’unir”, soulève un autre ; “À quand notre tour ?”, se demande un troisième ; “Je pense même que c’est une fenêtre qu’on doit saisir”, motive un quatrième. En somme : le mouvement social de Guyane réveille les aspirations mahoraises. La tendance est confirmée par un sondage que nous avons lancé sur les réseaux sociaux. À la question “Pensez-vous que le mouvement social de Guyane puisse se propager à Mayotte ? ”, plus de 80 % des votants répondent “Oui”, et 58 % pensent que cela peut faire avancer les attentes locales.
Il faut dire que depuis quelques semaines, le contexte de l’île aux parfums semble, lui aussi, se crisper à nouveau. Grèves, menaces de reprise des décasages, manifestation pour la paix et la sécurité : autant de points qui tendent à réveiller une colère jamais tout à fait considérée, ni endiguée.
“Le virus est là”
En janvier 2016, l’ancien député Mansour Kamardine alertait sur la situation d’une île “Au bord de la guerre civile”, comme il la qualifiait alors. Plus d’un an après, il espère que l’île ne soit pas victime de blocages et appelle à se tourner vers les urnes, mais demande une vigilance toute particulière : “Les revendications exprimées en Guyane sont encore plus aigües à Mayotte, explique-t-il. La sécurité, l’immigration clandestine, les questions sociales, mais aussi des poursuites judiciaires, selon moi inappropriées, envers des Mahorais qui essayent de récupérer leur terrain, etc. : tous les ingrédients sont réunis. Espérons qu’il n’y ait pas de contagion, mais le virus est là. Il y a beaucoup de risques, résultat d’une politique gouvernementale envers l’outre-mer gérée par-dessus la jambe.” Plus globalement, dans une tribune publiée sur Le Figaro ce lundi 27 mars, Patrick Karam, ancien délégué interministériel à l’Égalité des chances des Français d’outre-mer met aussi en garde contre une propagation de la crise aux autres départements ultra-marins : “Le président de la République et son gouvernement doivent tirer les conséquences des enjeux de la dégradation de la situation en Guyane qui pourrait conduire à un engrenage aux conséquences imprévisibles et à un embrasement de tous les outre-mer.”
Terreau fertile
Retour à Mayotte. Du côté des syndicats, les positions sont mitigées. Rivo, secrétaire général du SNUipp et un des leaders du mouvement engagé l’année dernière ne croit pas en une éventuelle propagation du mouvement social guyanais. “Au départ, ce n’est pas un mouvement syndical, explique-t-il. La mobilisation a débuté avec le mouvement des 500 frères, autour duquel se sont greffées des revendications populaires. C’est à ce moment-là seulement que les syndicats ont rejoint la mobilisation.” Pour lui, “Mayotte serait capable d’un tel élan, mais elle manque de détermination. Durant les conflits, certains syndicats sont à la recherche de la première occasion pour en sortir.” En somme : malgré une évidente similitude dans les situations, l’île aux parfums serait trop attentiste. “D’ailleurs, je ne souhaite pas que ce conflit s’envenime ici, cela serait une copie. Il y aura probablement quelques hurluberlus pour se montrer, mais un mouvement social doit se préparer, cela ne se fait pas comme ça.”
Il n’en est pas de même du côté du syndicat FO Mayotte. Pour son secrétaire général, Hamidou El Hanziz, s’il n’est pas prévu de lancer un mouvement, tout semble en revanche réuni pour que les revendications s’enflamment à nouveau. “Il faut se rappeler qu’en avril 2016, c’est à Mayotte qu’il y avait des barrages. Les Guyanais nous ont emboîté le pas, avec quelque chose en plus : une unité qu’il n’y avait alors pas encore ici.” Il est vrai que de l’autre côté de l’Atlantique, le mouvement social regroupe toutes les facettes de la société : syndicats de salariés, mais aussi entrepreneurs, et simples citoyens. “C’est ce que je vois se profiler ici cette fois, reprend le syndicaliste. Une prise de conscience des acteurs de la société civile tout entière.” Et, pour le responsable syndical, le point de départ pourrait bien être un mouvement initié, cette fois, par… le patronat : “Les entreprises sont les premières à souffrir des lacunes de l’État. Mayotte est un département en construction, mais où rien ne se construit. Il n’y a plus de commande publique, les grands projets sont au point mort, cela emmène des licenciements.” Et donc, du mécontentement. Une situation encore aggravée par la crise de l’eau, qui a bloqué nombre de chantiers dans le sud, et dont les entreprises ont souffert. “Des deux côtés, entreprises et salariés, le terrain est propice à l’embrasement. D’après moi, il se fera de façon spontanée. Tout va se greffer autour d’une colère qui couve. Cela peut être dangereux, car regroupant des gens différents, venus de secteurs différents. Mais ce n’est pas une fatalité, l’État peut encore réagir et intervenir.”
Des craintes, mais pas tout de suite
Thierry Galarme, président du Medef Mayotte, ne voit toutefois pas l’imminence d’un conflit social dans le sillon de celui de la Guyane. Socialement tout d’abord, “Il est vrai que les conflits sociaux qu’ont connus la Guadeloupe et La Réunion en 2009 sont arrivés à Mayotte, mais seulement deux ans après”, explique-t-il. L’insécurité ensuite. Si elle existe bel et bien à Mayotte, “La Guyane est à un niveau d’insécurité largement supérieur, la violence y est bien plus grande, avec notamment la question de l’orpaillage.” Quant aux questions d’économie et de vie des entreprises, enfin, s’il est vrai que l’idée d’un mouvement patronal n’est pas inenvisageable – on se souvient des chefs d’entreprises ayant pénétré dans le Conseil départemental l’an dernier -, il n’est pas du tout à l’ordre du jour. “Au contraire des syndicats de salariés, les syndicats patronaux privilégient les solutions à l’amiable, développe-til. La grosse problématique des entrepreneurs de Mayotte aujourd’hui est celle des factures impayées par les collectivités locales. Mais dans un premier temps, nous allons passer par le préfet pour trouver une conciliation. Il n’est pas question de créer du trouble à l’ordre public.” Et puis, n’oublions pas l’arrivée prochaine du scrutin présidentiel. “Je ne vois pas d’embrasement général à Mayotte, ni avant ni durant les 100 jours du prochain président. Mais il faudra que le nouvel élu envoie des signes forts en faveur de l’outre-mer. À Mayotte, si des mesures concrètes sont annoncées, que des projets sont lancés, que des investissements ont lieu dans tous les domaines nécessaires, alors il n’y aura pas de conflit. En revanche, si Mayotte se sent oubliée, cela finira par se déclencher. Les gens veulent du concret.”
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