{xtypo_dropcap}M{/xtypo_dropcap}algré mon petit salaire, j’essaye de faire plaisir de temps en temps à mes enfants. Dernièrement, j’ai acheté un jeu vidéo à mon garçon. Malheureusement, celui-ci a été volé voilà 3 semaines. Le voleur est connu. J’ai alors porté plainte, comme tout le monde me l’a conseillé. Mais il ne s’est rien passé. Le voleur a été relâché par la police parce qu’il était mineur. Il n’a donc reçu aucune sanction. Il continue à errer dans les quartiers du village en toute impunité et avec fierté. Et moi, je ne reverrai plus jamais le jeu vidéo de mon gamin. J’ai levé les deux mains au ciel, en murmurant « Alhamdulilah ».
Moi je suis Jean-Pierre. Métropolitain, 45 ans, professeur de mathématiques au collège de M’gombani. Je viens d’arriver à Mayotte. Cela fait à peine 1 mois que je suis là. Ma famille doit me rejoindre dans les prochains jours. Je suis arrivé à Mayotte avec quasiment rien. Juste le nécessaire, dont un ordinateur portable qui me sert de compagnon, en attendant impatiemment que mes proches soient à mes côtés. Depuis que je suis arrivé, j’apprécie énormément cette île. L’accueil chaleureux des habitants, leur sourire et leur gentillesse. La beauté du paysage, la chaleur.
Dimanche dernier, en revenant de la plage de Sakouli, j’ai eu la désagréable surprise de retrouver ma fenêtre cassée. Je me suis douté qu’il manquerait certaines affaires dans la maison. Effectivement, mon ordinateur ne faisait plus partie des objets remplissant la maison. J’ai alerté la police, comme le veut la procédure. Après enquête, un de mes voisins des « cent villas » a décrit aux policiers des individus « louches » qui traînaient dans le coin dimanche dans l’après-midi.
Cela ne fut pas très dur pour les forces de l’ordre de les reconnaître. Ils étaient trois, et apparemment très connus des services de la police. Ils ont été emmenés au commissariat, puis relâchés. Aucun d’entre eux n’avait 18 ans. Tous des mineurs. Mon ordinateur ne reverra plus jamais mon domicile. Et mes trois « copains » sont repartis dormir chez eux, en toute liberté. Mon voisin m’a dit qu’ici, dans ce genre de cas, il faut s’en remettre au bon Dieu. Mais je ne suis pas très croyant.
Moi c’est Habib, neveu d’Ibrahim. Je viens de me faire voler une grande partie de mes habits par le même gamin que celui qui est passé chez mon tonton. Quand je l’ai attrapé, il m’a dit texto : « C’est moi qui ai volé tes habits et tu peux me faire ce que tu veux. Je n’ai peur ni de toi, ni de la police. De toute façon si tu m’emmènes à la police, ils vont me relâcher car ils ne peuvent rien faire contre moi. Je suis mineur ».
Excédé par son arrogance, et sachant qu’il avait raison vu ce qui s’était passé avec mon oncle, j’ai décidé de me faire justice moi-même. Le bon Dieu m’excusera de ne pas avoir pensé à lui cette fois-ci. Je l’ai tabassé dans les règles de l’art avec 3 de mes collègues. Deux jours plus tard, la police est venue me chercher chez moi, ainsi que mes trois collègues. Le gamin a porté plainte et nous nous sommes retrouvés poursuivis pour « violences aggravées en réunion sur mineurs » ou quelque chose comme ça.
Nous sommes passés en comparution immédiate après 2 jours de garde à vue. On a écopé chacun de 6 mois de prison avec sursis et 2.000 € à verser à la « victime » pour « dommage et intérêts ». Pendant l’audience, le voleur n’a même pas été jugé. Il est reparti libre, comme le jour où il a volé chez tonton Ibrahim. Mais ce coup-ci, voler lui aura rapporté 2.000 €. Une belle récompense. Et moi qui me suis fais voler, j’ai perdu mes habits, 2.000 € et ma virginité aux yeux de la loi.
Moi c’est Mireille, originaire de Vendôme, Mahoraise d’adoption. Je vis à Mayotte depuis 20 ans, mariée à un Mahorais. On ne m’a rien volé. Ne vous étonnez pas, cela existe encore des familles qui n’ont subi aucun vol. Mais j’entends, vois et décris. Entends ces familles qui se plaignent, de plus en plus, de s’être fait voler par des mineurs face auxquels la machine judiciaire à Mayotte reste impuissante. Vois ces bandes de jeunes qui se forment dans les divers villages de l’île. Volent régulièrement. De la radio aux habits, en passant par les bicyclettes.
Ils ne vont plus à l’école. Errent à longueur de journée dans les quartiers. Ils ne comprennent certainement rien à la justice. Mais ils savent une chose : en tant que mineur, s’ils n’ont fait « que » voler, la police ne leur fera rien. Je ne sais pas si c’est la loi française qui dit ça. Mais c’est comme cela que ça se passe à Mayotte. Ces gamins connaissent tous les policiers. Et ils apparaissent dans tous les documents de la police nationale.
Les scènes sont régulières. Ils volent, ils se font attraper, on porte plainte, ils sont relâchés car mineurs. Le voleur est libre et le plaignant ne retrouvera jamais ses objets volés. Et la justice est passée par là. Les lois ont été appliquées. Finalement, certains s’emportent et se font justice eux-mêmes. On est à 95% musulmans, mais on ne s’en remet pas à Dieu pour tout.
Mais le souci, c’est que la loi française interdit formellement de se faire justice soi-même. Les familles volées se retrouvent avec des poursuites judiciaires, des peines de sursis, du ferme et des amendes à payer. Le voleur ne sera pas touché. C’est un mineur. Et un mineur dans la justice française à Mayotte, c’est un enfant. On ne touche pas à un enfant, même s’il est capable de pénétrer dans une maison et d’y voler un téléphone portable, de l’argent, des bijoux, une télé, un jeu vidéo, un vélo, des habits, un ordinateur, une radio et tout autre objet qui l’intéresse.
Là-bas, au tribunal, on vous dira que quand on se fait voler, la seule réparation possible est de porter plainte. Mais après avoir porté plainte, on retrouvera l’auteur des faits dans les rues comme si de rien était. Il n’aura eu qu’à sortir une pièce d’identité pour se faire relâcher. Et celui qui s’est fait voler n’aura que ses yeux pour pleurer, ses deux bras et un ciel pour s’en remettre au bon Dieu qui ne répare pas grand-chose en général. Elle est là l’utilité de porter plainte à Mayotte quand on s’est fait voler par un mineur.
Propos recueillis par un citoyen mahorais inquiet
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