Interview de Bo Houss

 

{xtypo_dropcap}S{/xtypo_dropcap}i l’expression n’était pas cliché, on parlerait de « Shimaoré Tu » comme de l’album de la maturité, c’est en tout cas pour Bo Houss l’occasion de dévoiler davantage de sa vision de la société mahoraise à travers des textes engagés. Le plus de cet album : un véritable travail de recherche autour du shimaoré pour lequel le chanteur a collaboré avec la direction des langues régionales, afin de transcrire et traduire tous ses textes. « Shimaoré Tu » est donc à écouter mais aussi à lire, pour une compréhension optimale des textes dans les deux langues.

 

Tounda Mag : Peut-on vraiment parler de second album, puisque tu as fait beaucoup de choses depuis « Roho Yangou »? Quelles sont les évolutions majeures avec « Shimaoré Tu »?

Bo Houss : C’est vraiment mon deuxième album, car il n’y a eu qu’une réédition de « Roho Yangou » entre temps. Les changements sont d’abord musicaux car j’ai eu le temps de m’imprégner de la musique locale, principalement le m’godro, pour comprendre comment elle est structurée. Tout est parti de cette question : « Quelle est l’identité musicale mahoraise ? C’est quoi la musique mahoraise ? ». Ce qui la caractérise, c’est le rythme ternaire, sa vitesse et son tempo. A partir de là, j’ai eu envie de créer mon propre son, ce qui me ressemble et me qualifie, ça a donné le m’gorap, un hip-hop ternaire, mélange de hip-hop et de m’godro.

Le changement est également dans la ligne directrice que je me suis fixé pour cet album, c’est-à-dire chanter uniquement en shimaoré. Lorsque je suis revenu m’installer à Mayotte en 2007, j’ai vraiment réalisé que je ne maîtrisais pas ma propre langue. C’est triste car c’est mon identité, ma culture, ce qui me caractérise en tant que Mahorais. Du coup j’ai essayé de faire un travail de recherche, j’ai appris beaucoup en allant voir les gens, et notamment mon père qui maîtrise pas mal de langues et qui m’a beaucoup guidé sur cet album.

 

TM : Comment as-tu procédé dans ton travail d’écriture ? Tu écrivais les textes directement en shimaoré ou tu faisais la traduction ?

Bo Houss : Depuis mes débuts j’écris mes textes en français, et à l’époque je ne voulais même pas entendre parler du shimaoré, je voulais faire du rap comme il se fait en Métropole ! Mais en rentrant à Mayotte et en échangeant avec les gens, ça m’a redonné l’amour de mon île et l’envie de mettre en avant mes origines. Je me suis donc mis à écrire petit à petit en shimaoré, le premier morceau a été « Masterehi ». Maintenant, je mets un point d’honneur à écrire dans les deux langues et à les maîtriser et lorsque l’inspiration me vient en shimaoré, j’écris dans cette langue et systématiquement je traduis car le français fait aussi partie de moi.

 

TM : Le premier morceau de ton album s’intitule « La Mahoraise ». Tu y reprends la mélodie de La Marseillaise en y chantant tes propres paroles, peux-tu expliquer ta démarche ?

Bo Houss : Avant de commencer une conversation, on nous apprend dans notre religion qu’il faut dire bonjour. Ce morceau explique et met en chanson ce que je pense réellement, et ce que j’ai envie que Mayotte devienne. Je suis avant tout citoyen, j’ai donc le droit d’émettre un avis dans le respect de chacun, car je ne dis surtout pas que les gens doivent penser comme moi. Je pense que des pensées archaïques persistent et que l’on devrait un peu plus réfléchir avec notre époque. Certes un artiste est là pour divertir son public et lui permettre de s’évader, mais je pense qu’il faut aussi faire réfléchir.

 

« La seule pression que je me mets tous les jours, c’est de faire les choses bien »

 

TM : Est-ce important pour un artiste d’être engagé ?

Bo Houss : Un artiste se doit d’être engagé, sinon il n’a pas de raison d’exister. Le but premier du hip-hop est de transmettre un message, quel qu’il soit. Sans message, la musique n’a plus de sens, et j’essaie de garder ça en tête, même dans les chansons qui sont a priori plus légères comme « Masterehi ».

Je pense que la politique doit vraiment être à l’écoute de la population. Il aurait été peut-être plus judicieux de refaire les routes ou créer une université plutôt que de créer une brasserie à Mayotte… Mais ça n’engage que moi… On doit être libre d’émettre un jugement sans avoir peur d’être critiqué.

 

TM : Tu donnes effectivement ton avis sur la société mahoraise dans beaucoup de morceaux, n’as-tu pas peur qu’on te considère comme un donneur de leçons ?

Bo Houss : Je suis conscient que certains n’apprécieront pas, il y en a forcément qui prendront mal les choses. Mais il faut bien que quelqu’un se jette à l’eau et c’est ce que j’ai fait avec « Shimaoré Tu », je lance des pistes de réflexion. Peu importe ce que les gens penseront, au moins j’ai le sentiment d’avoir servi à quelque chose. Mais j’espère qu’il y aura quand même des gens qui me défendront au moment venu !

 

TM : Trouves-tu que la musique mahoraise actuelle, hip-hop ou autre, n’est pas assez engagée ?

Bo Houss : Non, chacun pense à sa manière. Moi j’ai envie de m’engager et je n’ai pas à dicter ce que les autres doivent faire. La musique ne doit pas être uniforme, il faut qu’il y ait plein d’artistes pour que chacun y trouve son compte. L’essentiel c’est le respect, les gens sont libres de ne pas aimer, mais il faut respecter le travail de chacun.

 

TM : Est-ce que par cette démarche tu cherches à obtenir davantage de crédibilité ?

Bo Houss : Pas du tout, je ne calcule pas ce que je fais. Je suis guidé par le cœur. Pour prendre un exemple, je ne me suis pas levé un jour en me disant que j’allais faire de la musique, c’est venu tout seul. Je ne me suis pas dit qu’avec « Shimaoré Tu », j’allais être plus crédible vis-à-vis de mon public car il y en a qui ne vont pas aimer et d’autres qui n’aimaient pas avant et qui vont aimer. Je trace mon chemin, ce n’est pas parce que j’évolue dans mes chansons que je ne suis plus le même. Je suis jeune, j’aime délirer mais je ne suis pas pour autant tête en l’air.

La seule pression que je me mets tous les jours, c’est de faire les choses bien. C’est bizarre car j’ai l’impression d’être dans une bulle, je ne me suis jamais posé ce genre de questions : « Qu’est-ce que les gens attendent de moi ? ». Moi je suis dans mon studio et je fais ce qui me vient…

 

« J’ai écrit cet album avec le cœur »

 

TM : Parles-nous de ton travail avec la direction des langues régionales (DLR).

Bo Houss : Comme je l’ai dit, j’étais conscient de ne pas maîtriser le shimaoré, alors une fois l’album fini je suis allé voir la DLR et je leur ai demandé de me donner un coup de main. Je voulais transcrire et traduire mes textes, je voulais que ce soit bien fait, c’est pour cela que je suis allé les voir. Je voulais qu’ils corrigent l’écriture mais surtout pas le sens, ils m’ont permis de faire un produit de qualité. Du coup, le livret de l’album contient l’intégralité des textes en shimaoré et en français.

 

TM : Dans les textes de cet album tu parles de la société mahoraise, mais aussi de religion avec le morceau « Fatiha », sujet très sensible d’autant plus que tu utilises une mélodie hip-hop. Qu’as-tu voulu faire passer comme message dans ce morceau ?

Bo Houss : J’ai voulu célébrer ma foi à travers ce morceau. Dans la chanson « Shimaoré Tu », j’explique que j’ai écrit cet album avec le cœur et c’est vraiment le cas. Ainsi dans « Fatiha », qui veut dire prière, je m’adresse à Dieu : si je fais quelques fois des erreurs et si je me perds, ce n’est pas pour autant que j’oublie ma foi.

Quand je l’ai écrit je ne pensais pas aux conséquences, mais il est vrai que beaucoup pensent que la religion et la musique ne sont pas compatibles. Je ne pense pas que ce soit vrai. J’avais envie de faire ce morceau, mais sans choquer ou vexer qui que ce soit.

 

TM : Les morceaux sont très variés sur cet album, quelles sont tes influences ?

Bo Houss : A la base, les Mahorais sont issus d’un métissage, et le mélange est donc dans ma nature. J’aime la musique en général, j’écoute de tout, sauf ce que je fais ! Chez moi j’écoute Lathéral, Djesh, Cheick MC, Massione Records, Mtoro Chamou et Mikidache, Bob Marley… en ce moment j’écoute les premiers albums de Mickael Jackson, mais aussi de la rumba ! Je ne me fixe aucune barrière.

 

TM : Pour conclure, que nous prépares-tu dans un avenir proche ?

Bo Houss : Ça fait un an qu’on a travaillé avec Deenice sur « Shimaoré Tu », et en dehors de la promo pour la sortie de l’album, je n’ai rien de prévu. Mais j’aimerai mettre mes projets de côté pour prendre le temps de travailler pour les autres. J’ai récemment composé pour Cheick MC sur son dernier album, je travaille aussi avec Goubwa du 976 pour la sortie de sa mixtape. J’ai envie de participer à l’album de Pop’s de la Garde Impériale, on a envie de faire un clip vidéo avec Djesh… J’aime l’idée que l’on échange nos productions, nos morceaux… On partage tous la même chose : l’amour de la musique.

 

Propos recueillis par Marion Châteauneuf

 


 

« Murengue », coup de cœur de la rédaction

Sur les quinze morceaux de l’album, le titre qui nous a particulièrement marqué est le sixième : « Murengue ». Ce dernier illustre parfaitement le mélange de hip-hop et mgodro qu’a souhaité explorer Bo Houss. Une véritable histoire se déroule durant les quelques minutes du morceau, entre voix-off et récit du combattant qui décrit ses sensations.

« Ce titre met en scène le murengue, un art martial ancestral que la population du Sud-ouest de l’océan indien connaît bien. Au-delà de cette mise en scène, un message s’adresse aux jeunes qui subissent les effets d’une acculturation négative due à l’influence des médias. La jeunesse d’aujourd’hui est violente et irrespectueuse, elle occulte totalement les raisons fondamentales de cette violence. En cela, j’ai voulu montrer au travers du murengue – qui se veut être une confrontation guerrière – que le partage de valeurs positives telles que l’amitié et le respect est possible, plus encore : c’est fondamental. Ainsi, j’exhorte la jeunesse à l’unité et au respect de leur semblable. » C’est en ces termes que le chanteur résume sa chanson.

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