Il y a 12 000 ans, Mayotte était cinq fois plus grande

Il y a 10 ans presque jour pour jour (Mayotte Hebdo n°443 du vendredi 18 septembre 2009), nous publions un article présentant Mayotte il y a 12 000 ans. Puisqu’il est question aujourd’hui de montée des eaux, l’occasion nous est donnée de le republier et de se pencher sur le phénomène inverse, quand Mayotte était bien plus grande qu’aujourd’hui. Saisissant !

 

À l’échelle de l’histoire géologique, Mayotte, même si elle est la plus ancienne de l’archipel des Comores, est une île très jeune : elle est en fait la réunion de deux édifices volcaniques qui ont commencé à se former il y a 15 millions d’années, pour émerger il y a seulement 9 millions d’années. La construction de l’île s’est achevée il y a 1,5 million d’années par les derniers apports du volcan du M’tsapéré. Il y a 100 000 ans, un volcanisme plus récent marquera la création des dépressions de Cavani, Kawéni et Petite Terre, avec des éruptions jusqu’à – 6 000 bp (before present). Depuis, l’île est soumise à l’érosion due aux aléas climatiques. Aujourd’hui, le relief est donc quasiment le même qu’il y a 100 000 ans, à une exception près : entre -80 000 et -12 000 bp, l’île était 5 fois plus grande, à cause de la grande glaciation de Würm qui a provoqué une baisse du niveau de la mer de 120 mètres !

« Le paysage actuel de Mayotte date d’il y a 3 000 ans seulement ». Arnauld Malard, hydrogéologue au BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) de Mayotte a rassemblé divers travaux publiés dans des revues spécialisées, notamment les articles de l’océanographe Bernard Thomassin, pour étudier l’ère quaternaire de l’île, qui s’étend de -1,9 million d’années à aujourd’hui. Pour comprendre comment l’île s’est formée, il faut d’abord en étudier les profondeurs. « Mayotte est comme un iceberg : l’île ne représente en fait que 1 à 3% de toute la masse du cône volcanique, qui descend jusqu’à 3 400 mètres en dessous du niveau de la mer. » Il y a 1,5 million d’années, les apports de matériaux issus de l’activité volcanique ont fini par ne plus compenser la « subsidence », un phénomène naturel qui absorbe tous les déficits et les excédents de matières, la croûte terrestre équilibrant les pressions. « Quand l’édifice n’accumule plus de matériaux, il a tendance à s’enfoncer », résume Arnauld Malard.
Tandis que l’île commence à s’enfoncer, le récif frangeant continue de se développer : les coraux étant attirés par la lumière, ils vont petit à petit former une barrière récifale, rendant les pentes du volcan de plus en plus abruptes. C’est ainsi qu’apparaît un lagon. À terme, l’île finit par être engloutie sous la mer et il ne reste plus que la barrière : c’est ce qu’on appelle un atoll, le stade final des îles volcaniques.

« Le niveau de la mer change en fonction des glaciations »
« Depuis un million d’années, le lagon et Mayotte s’enfoncent de 2 mètres tous les 10 000 ans, ce qui est assez faible. La barrière actuelle montre le contour de l’île à l’époque où il y avait une émersion maximale », explique Arnauld Mallard. On peut donc dire que l’île d’aujourd’hui est la même qu’il y a un million d’années, sauf qu’elle était moins érodée, plus émergée et donc plus haute de 200 mètres. « Mais le niveau de la mer change en fonction des glaciations », rappelle le scientifique.
Les glaciations sont des phénomènes cycliques naturels « conditionnés à 80% par des changements climatiques provoqués par des modifications orbitales ». Il y a trois facteurs astronomiques qui expliquent les glaciations : la « précession axiale », la variation de l’axe de rotation de la terre qui décrit un cône en 10 000 ans, modulé par la lune ; « l’obliquité », la variation de l’angle de rotation de la terre qui s’ouvre et se ferme en 41 000 ans ; et « l’excentricité », la variation de l’orbite terrestre, avec un cycle de rapprochement et d’éloignement du soleil de 100 000 et 400 000 ans. Un quatrième facteur, le rayonnement solaire, ne semble en revanche pas suivre de cycle déterminé.
L’ère quaternaire est ainsi composée d’une succession de périodes glaciaires et interglaciaires, appelées Gunz, Mindel, Riss et Würm, du nom des affluents du Danube où ces glaciations alpines ont été découvertes. En 1996, un forage à plus de 3 000 mètres de profondeur dans le lac gelé de Vostok en Antarctique a permis d’extraire une carotte glaciaire dont l’étude a révélé le climat passé sur une période remontant à 420 000 ans.

Les rivières se jetaient dans la mer sur des cascades de 60 mètres
La dernière période interglaciaire s’appelle l’Eemien (du nom de la rivière Eem aux Pays- Bas), et s’étend de -131 000 à -114 000 bp (before present) : les températures à l’époque avoisinaient celles d’aujourd’hui. Puis commence la glaciation de Würm, la dernière qu’a connue notre planète et qui ne s’achèvera que vers -10 000 bp. De -80 000 jusqu’au pic de glaciation atteint vers -18 000 bp, les températures chutent et des calottes glaciaires apparaissent sur tout le Nord de l’Europe et tout le Canada. Il y a 18 000 ans, le niveau de la mer a chuté de plus de 120 mètres par rapport à son niveau actuel. De nouvelles terres apparaissent, comme la Béringie entre la Sibérie et l’Alaska (qui explique le peuplement de l’Homme en Amérique) ou le Sahul, un continent formé de l’Australie, de la Nouvelle Guinée et de la Tasmanie. La France et la Grande-Bretagne sont alors reliées par un cordon terrestre, tout comme l’Indonésie et les Philippines ou le Japon et la Corée. Mayotte n’a bien sûr pas échappée à ce phénomène, ce qui explique qu’elle était 5 fois plus étendue qu’aujourd’hui : le lagon, situé à environ 60 mètres de profondeur maximum, était entièrement à découvert et l’île mesurait 1 800 km², contre 374 km² actuellement. Les falaises abruptes formées par l’amoncellement vertical des coraux faisaient de Mayotte une sorte de forteresse dont les eaux s’échappaient en se jetant dans la mer du haut de cascades qui pouvaient potentiellement atteindre 60 mètres !

40 000 ans sans coraux
Complètement « exondé » pendant la glaciation de Würm, le lagon s’est peu à peu végétalisé, jusqu’à devenir une savane herbacée, au milieu de coraux morts.
Comme il faisait plus froid et plus sec à cause des alizés sudpolaires, il y avait d’autres espèces végétales, comme des fougères (analogues à celles du Mont Choungui d’aujourd’hui) et des forêts d’euphorbes et de petits conifères. Les plages se sont tassées, et les cours d’eau beaucoup plus puissants ont entraîné une érosion très rapide, créant la célèbre Passe en S à l’Est et les passes Sada et Bateau à l’Ouest. Quand il n’y avait pas de passe, les cours d’eau creusaient des grottes pour se jeter dans la mer, comme en témoigne « la Cheminée », un site de plongée au Nord de la Passe en S. Durant cette période qui s’étale de -50 000 à -10 000 bp, tous les coraux qui colonisaient le lagon sont morts. Le niveau des océans remonte depuis -18 000 bp, mais le lagon n’a commencé à se remplir que vers -12 000 bp, de manière très progressive mais irrégulière, de quelques millimètres à 2 centimètres par an selon les périodes, ce qui est très rapide. Vers -10 600 bp, l’eau de mer s’infiltre dans les endroits les plus profonds du lagon, au banc de l’Iris et à la sortie de la baie de Bouéni et forment ce qu’on appelle des « rias » ou petites mers intérieures. Il y a 10 000 ans, Mayotte est constituée d’une multitude d’îles, et on peut encore aller à l’îlot de M’tsamboro à pied. En -9.000 bp, nous sommes à 22 mètres en dessous du niveau actuel de la mer : on peut toujours aller en Petite Terre à pied et faire le tour de l’île sur la barrière.

Il y a 9 000 ans, on pouvait aller de Mamoudzou à Petite Terre à pied

Il y a 7 000 ans, Grande Terre et Petite Terre ne sont plus reliées. En -6 000 bp, il n’y a plus que 5 mètres de moins. Les derniers évènements volcaniques de Petite Terre, dont on observe les traces dans les maars de Moya, datent de cette période.
Les coraux – qui avaient disparus – recolonisent le lagon au niveau de la barrière récifale, mais aussi au niveau du récif frangeant au gré de la remontée. La mangrove également se déplace en fonction de la montée des eaux.

« Aujourd’hui, on retrouve quasiment les mêmes traits de côtes qu’à l’époque interglaciaire de l’Eemien », précise Arnauld Malard. La seule différence, c’est l’érosion du lagon, qui est beaucoup moins plat et plus entaillé qu’avant la glaciation de Würm, à cause de l’érosion provoquée par la pluie, le vent et les cours d’eau. Mayotte telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec ses passes, ses coraux et ses mangroves, n’a en fait que 3 000 ans, le début de l’âge de fer en Europe.

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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