« Arrivé à un certain stade, les barrages ne sont plus nécessaires »
C’est ce qu’a assuré dimanche Mickaël Mancée, le leader de l’association des Grands frères de la Guyane, dans une vidéoconférence. Interrogé sur la grève générale à Mayotte, il assure qu’il « ne faut pas mettre de côté » les élus et s’entourer de « sachants » pour élaborer la plateforme revendicative.
Déjà 11 000 vues ce lundi matin. La vidéoconférence organisée dimanche soir par Oustadh Abdel-Malek (son nom Facebook) a enregistré une audience d’ampleur. Il interrogeait Mickaël Mancée, le président de l’association des Grands frères de la Guyane, un mouvement qui rassemble une partie des 500 Frères, mobilisés en mars et avril 2017 lors d’un mouvement social d’ampleur en Guyane.
Interrogé sur la pertinence de paralyser l’île, cinq semaines après le début de la grève générale, le Guyanais indique : « Barrer un temps pour alerter les autorités, leur montrer notre mécontentement, je ne suis pas contre. Maintenant, quand ça dure trop longtemps, les seuls qui sont punis, c’est nous-mêmes […] Je tiens à préciser que je [donne] mon avis en tant que Mickaël Mancée […] Je ne dis pas « Faites ci ou faites ça » […] La question des barrages a été une grosse question ici [en Guyane]. Quand ça commence à durer trop longtemps, obligatoirement, il y a des frictions. Ça n’est plus nous contre l’État. C’est nous contre nous-mêmes […] Les gens qui ne peuvent pas se déplacer comme ils veulent, qui ne peuvent pas manger comme ils veulent, obligatoirement, ça commence à les gazer. Si on veut garder l’unité, je pense qu’il faut savoir s’arrêter au bon moment », développe-t-il.
« Le combat doit prendre une autre forme »
« Pour moi, arrivé à un certain stade, les barrages ne sont plus nécessaires. Si on veut mettre la pression sur l’État, il faut trouver d’autres moyens […] La vie doit continuer et le combat doit prendre une autre forme. Pour moi, les barrages, ce n’est pas le seul moyen de mobilisation », poursuit Mickaël Mancée.
« S’il faut faire des barrages, il faut que ce soit quelque part où ça gêne l’État, pas la population […] Je ne veux pas punir la population pour laquelle je me bats. Ça n’aurait pas de sens […] Les seuls qui sont lésés, ce sont ceux pour qui on se bat. L’État, il regarde simplement et il attend de voir quand les gens vont se retourner contre nous. Ça n’a pas de sens. […] On a eu des barrages ici […] Pendant un temps, ils comprennent et ils sont d’accord […] Arrivé à un certain stade, on ne peut pas bloquer les gens. Ils ne vont pas adhérer, c’est normal […] Leur liberté de circuler, d’aller et venir est mise à mal […] Il faut réussir à trouver le bon moment pour arrêter ça et passer à autre chose. [Si] certaines personnes doivent retourner travailler […] il faut l’accepter aussi. Il faut que les gens vivent, c’est normal », assure-t-il.
« J’ai compris après, parce que souvent les gens me l’ont répété, que c’était un combat politique […] Je leur disais : « Mais moi je ne suis pas venu faire de la politique » […] Quand tu prends le temps d’analyser, on vit dans un système et le système a des règles. C’est par la politique qu’on pourra faire avancer les choses […] Il faut faire des dossiers que les politiques vont aller présenter à l’État […] Ça prend du temps de les faire si ça n’a pas déjà été travaillé auparavant […] Il faut faire appel à des experts », témoigne celui qui a démissionné de son poste de policier pour mener le mouvement social en Guyane.
« La tournure du combat, maintenant, doit être politique […] Il va falloir mettre les politiques, en tout cas ici [en Guyane], face à leurs responsabilités […] Normalement, c’est leur taf. On ne devrait même pas avoir à le faire », déplore Mickaël Mancée. « Les politiciens, ils ont un mandat. Ils ont été élus par la population. S’ils ont l’impression que des manifestants sont en opposition avec eux, ils vont se braquer […] Je suis d’avis […] de travailler avec nos élus […] ça ne veut pas dire qu’on ne leur dira pas après leurs quatre vérités s’ils ont fauté […] Ensuite le linge sale se lave en famille […] Pour le moment, on est en grève […] on est ensemble […] il ne faut pas les mettre de côté […] La politique doit servir à mettre en place ce que vous voulez », déclare-t-il, alors que le dialogue semble rompu entre les élus locaux et les organisateurs de la grève générale (voir notre édition de lundi).
« Se demander ce que nous, nous pouvons faire »
« Il faut voir loin, savoir ce qu’on veut, comment on veut le faire […] Il faut des experts, des « sachants », des gens qui connaissent leur domaine […] C’est facile d’aller crier, de se faire voir […] Il faut savoir de quoi on parle […] Je reste perplexe sur le fait que « La France s’en fout de nous » […] Je sais qu’il y en a plein qui sont un peu racistes […] Je suis certain qu’ils ne sont pas tous comme ça […] Je me demande maintenant si tous les moyens ont été utilisés pour faire avancer les choses […] Je n’ai plus envie de me tourner seulement vers l’État […] J’ai envie de regarder aussi ici ce qu’il se passe […] Est-ce qu’on a fait jusqu’à maintenant ce qu’il fallait pour ne pas se retrouver dans cette situation ? […] On a trop tendance à regarder ailleurs, [à dire] : « C’est l’État qui fait ci, c’est l’État qui ne veut pas ». Je crois qu’il y a d’autres choses aussi », met en garde Mickaël Mancée. « Il faut qu’on cesse d’attendre que les solutions viennent des autres […] Au lieu de toujours dire ce sont les autres qui ne font pas, [il faut] se demander ce que nous, nous pouvons faire ».
« Toutes les démarches que vous allez faire pour demander des mesures adaptées à Mayotte ou peut-être des infrastructures […] il faut être conscient que si c’est une adaptation de la loi, ça va prendre du temps, [idem si] ce sont des infrastructures […] Il va falloir trouver, en attendant, des solutions d’urgence qui vont permettre d’attendre que les choses aillent mieux. » Le leader guyanais fait une métaphore pour compléter son propos : « Si tu vois une maison qui brûle et que tu te dis il va falloir faire une caserne », c’est insuffisant. Et d’ajouter : « Pour moi, le quotidien des Guyanais n’a pas changé […] On demande des infrastructures, des effectifs […] ça va nous prendre entre 12 et 15 ans […] Il nous faut des solutions d’urgence ».
Selon l’intervieweur, des grands écrans ont été installés sur certains barrages de Mayotte, pour suivre cette intervention en direct. Reste à savoir si les leaders du mouvement social mahorais vont s’imprégner d’une partie des conseils prodigués par Mickaël Mancé.
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