Le rapport public thématique de la Cour des comptes et de la chambre régionale des comptes sur les plans de développement pour Mayotte a été présenté ce jeudi 30 juin à l’occasion de sa publication. En ligne de mire : les manquements des services de l’État et des collectivités locales qui ne parviennent pas apporter les solutions attendues par les Mahorais sur les plans sociaux, économiques et sociétaux.
« Les institutions locales – la préfecture, le rectorat, le Département – ne sont pas organisées pour jouer un rôle de pilote et mener à bien les projets de développement. » Le constat de Nicolas Péhau, le président des chambres régionales des comptes de La Réunion et Mayotte est implacable au moment d’évoquer, ce jeudi 30 juin, le rapport public thématique sur les plans de développement pour le territoire. L’idée est pourtant de mieux répondre aux défis de la démographie, de la départementalisation et des attentes des Mahorais.
Avec une démographie multipliée par 12 en 60 ans (23.300 habitants en 1958, contre 256.518 en 2017), Mayotte recense aujourd’hui la plus forte densité de population de la France d’Outre-mer, en raison à la fois d’une croissance endogène très dynamique et d’une immigration clandestine élevée. Deux indicateurs qui démontrent la pénibilité à maîtriser les chiffres officiels, d’où le « désaccord avec l’État » affiché par la juridiction financière. « Comment peut-on mener une politique publique sans avoir une vision globale ? » s’interroge celui qui est en poste dans l’océan Indien depuis un peu moins d’un an.
Renforcer la lutte contre l’immigration clandestine
Aux yeux des Sages, la maîtrise de l’immigration est un préalable à la stabilisation du cadre socio-économique. « La réorganisation [des moyens] avec l’opération Shikandra a permis d’obtenir de meilleurs résultats », admet Vincent Launay, conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des Comptes. Même s’il regrette que la lutte contre l’insécurité reste insuffisante. « Nous n’avons pas vu d’amélioration. » Sur ce volet-là, les magistrats proposent quatre recommandations : renforcer la capacité d’interception des kwassas via le prépositionnement d’un navire pivot au nord-ouest de Mayotte ; accentuer la sécurisation des actes relatifs à la police des étrangers ; mieux coordonner la lutte contre l’immigration clandestine par des réunions régulières entre le préfet et les ambassadeurs de France auprès des pays en provenance des immigrés ; associer le délégué du gouvernement au suivi du plan de développement des Comores.
Consolider l’action des pouvoirs publics
Si l’action des pouvoirs publics se concentre essentiellement sur cette thématique, d’autres retards se creusent en parallèle. « Nous sommes loin des standards dans le logement et l’éducation. Les institutions sociales peinent à répondre à la progression démographique », prévient Nicolas Péhau. Pour preuve, il manque 850 salles de classe sur l’ensemble du territoire… Et ce, malgré le déploiement de deux plans d’actions. Le premier dénommé « Mayotte 2025 » et annoncé en 2015, le second intitulé « plan pour l’avenir de Mayotte » et élaboré dans l’urgence en réponse à la crise sociale de 2018. L’un comme l’autre a « manqué de lisibilité et de hiérarchisation des actions ». « Des moyens sont alloués (exemple avec le montant d’1.3 milliard d’euros pour le contrat de convergence et de transformation), mais il y a eu un défaut de suivi alors qu’il faut s’inscrire dans la durée. » Selon le président des deux chambres, il faut « une stratégie partagée et générale avec une gouvernance stable » et « une comitologie pour tenir au courant de [leur] exécution ».
Manque de maîtrise d’ouvrage et d’ingénierie
Si la structuration des services publics est effective, à l’image du rectorat et de l’agence régionale de santé de plein exercice depuis le 1er janvier 2020, la partie investissement est plus longue à mettre en œuvre, notamment dans certains domaines clés et structurants. « Quand vous touchez à l’eau et à l’assainissement, cela prend du temps. » Malheureusement, la rotation des cadres au sein des institutions étatiques ne facilite pas la tâche ! Conséquence : « il y a une rapide perte de mémoire de l’action conduite », indique Vincent Launay. Sans compter que « nous manquons de maîtrise d’ouvrage et d’ingénierie », ajoute Nicolas Péhau. « Il y a un besoin de se coordonner entre les différents acteurs et d’élaborer une stratégie commune. Il faut que tout le monde se parle et tire dans le même sens. »
Le Département n’est pas en reste, entre les problèmes de communication avec le délégataire du port de Longoni, la maîtrise houleuse de ses effectifs – « les dépenses de fonctionnement augmentent progressivement », assure Taha Bangui, premier conseiller – et la dépendance vis-à-vis des dotations de l’État. Pis encore, la collectivité affiche toutes les peines du monde pour porter ces projets. « Par rapport à son plan pluriannuel d’investissement d’un milliard d’euros entre 2017 et 2021, seulement 25% de la programmation a été exécuté. » Autant de freins auxquels s’ajoute le désordre foncier qui handicape fortement l’action publique. Son règlement ne progresse guère en dépit de la création en 2017 de l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte.
En résumé, « il faut modifier le paradigme et changer le logiciel » pour la chambre régionale des comptes, qui a l’idée « d’être un espace un peu critique pour les obliger à réfléchir les uns avec les autres ». Comme ne cesse de le répéter Nicolas Péhau, Mayotte a « un défaut d’organisation lié à un défaut de collaboration ». Ainsi, il pousse tous les acteurs à se mettre en ordre de marche !
Six contrôles ouverts par la chambre régionale des comptes
Après avoir connu une activité limitée durant la crise sanitaire, la chambre régionale des comptes reprend son rythme de croisière. Après Bandrélé, la communauté de communes du Centre-Ouest et le syndicat mixte d’eau et d’assainissement de Mayotte depuis le début de l’année, elle prévoit de sortir très prochainement un rapport sur l’intercommunalité de Petite-Terre. « Nous avons actuellement six contrôles ouverts sur le territoire, dont Acoua et Bandraboua », confie Nicolas Péhau. « C’est autant qu’à La Réunion, nous rattrapons notre retard. » Petite particularité mahoraise : les Sages ont bien l’intention de mettre systématiquement l’accent sur les questions scolaires dévolues aux communes, comme les équipements, le périscolaire et la collation.