Concours de beauté – Derrière la couronne, un mode d’affirmation

Écharpe autour du cou et sourires aux lèvres, ce n’est pas les miss qui manquent à Mayotte ! Sur l’île, il existe une petite dizaine de concours de beauté qui gravitent autour des deux incontournables concours nationaux, Miss France et miss prestige. Si chacun a ses spécificités, tous sont des modes d’affirmation pour les mahorais, leur île ou leur culture.

 

En janvier dernier, Jane Jaquin lance son émission web « Jane & Vous ». À l’écran, elle est entourée de huit personnes avec une écharpe en bandoulière : Miss Mayotte, Miss Salouva, Miss Handicap, Miss Nord, Miss Sportive, Ambassadeur Mayotte et Mister National. « La famille des Miss et des Mister de Mayotte », comme elle l’appelle, presque au complet. Si la superficialité des concours de beauté est souvent pointée du doigt, à Mayotte ils représentent des enjeux bien plus complexes. En effet, en quelques mois, les concours s’enchaînent et tous sont suivis de très près. Chaque année, des centaines, voire des milliers de Mahorais votent pour élire les plus belles filles de l’île. Alors, que représentent-ils vraiment ?

Les ambassadrices de l’île

Tissianti Madi a 20 ans. Entre ses mains, elle tient précieusement une couronne ornée de pierres pailletées. Quand elle marche dans les rues de Mamoudzou, des petites filles aux yeux pétillants chuchotent en la regardant. Elle est étudiante en licence professionnelle de Développement de projets de territoires au CUFR de Mayotte, mais également Miss Salouva 2018. Ce titre, elle l’a obtenu grâce au concours de beauté éponyme et 100% mahorais créé en 2009. Avec un sourire timide, elle se confie : grâce à ce concours, elle n’a pas seulement gagné un titre, mais surtout de la confiance en elle. Porter une écharpe de Miss, c’est apprendre à s’aimer, mais aussi s’affirmer. Camille Couvert, sociologue spécialisée dans les pratiques esthétiques et les concours de beauté, remarque une influence des courants féministes au sein des concours de beauté. Elle dénote « une volonté très claire d’être autonome ».

L’une des pionnières de l’île en concours de beauté, Mariame Hassani, Miss Mayotte 2000, est aujourd’hui directrice d’école. Et pour elle, c’est une évidence : son expérience de Miss « a contribué à la femme qu'[elle est] à présent ». Après son élection et de retour à Mayotte, Mariame a justement décidé de profiter de son statut pour agir. « Je voyais beaucoup de jeunes qui erraient dans les rues. Je me suis demandée : qu’est-ce que je peux faire en tant que Miss pour ces jeunes ? » Elle créé alors Mister Ambassadeur, le concours « pour le plus bel homme de Mayotte ». « Ce n’est certainement pas la solution miracle, mais ça peut être une solution, explique-t-elle modestement. Ce genre d’expérience leur permet par la suite une meilleure insertion socioprofessionnelle. Ça leur offre également une crédibilité qui les suit à vie. » Elle se remémore son élection d’il y a bientôt dix ans. Parmi les rencontres et les beaux souvenirs, l’ancienne Miss se rappelle avoir pris conscience de quelque chose d’encore plus grand. Sous le feu des projecteurs, elle s’aperçoit en effet qu’elle n’est pas seulement Miss, mais aussi l’ambassadrice de son île et de ses habitants. « Je mettais en avant la jeunesse mahoraise. J’étais le porte-parole de la femme mahoraise », affirme-t-elle encore fièrement aujourd’hui.

Si les élections de Miss donnent bien naissance à un porte-parole, elles peuvent également dresser le portrait d’un modèle de référence. Aux yeux de Myriam Cassim, la Miss Prestige 2018 qui a réussi à hisser pour la première fois Mayotte à la seconde marche d’un concours de beauté national, il existe un « problème identitaire à Mayotte » : « Les Mahorais sont à la jonction de plusieurs identités, notamment française et africaine. Ce trouble se ressent davantage en tant que femme, avec l’absence de réel récit identitaire féminin. » La Miss se rappelle ainsi de l’un de ses cours d’histoire sur la Résistance où « seulement des femmes blanches étaient citées ». Elle avait alors levé la main pour demander pourquoi Joséphine Baker (artiste française d’origine afro-américaine, résistante pendant la Seconde Guerre mondiale et activiste contre le racisme aux États-Unis, ndrl) n’était pas évoquée. « On oublie trop souvent les femmes noires, s’exclame-t-elle. Particulièrement à Mayotte. On manque de modèle quand on se construit. On n’a pas de tribune qui porte les femmes qui font pourtant tant pour l’île. » En tant que Miss, elle souhaite donc essayer d’incarner ce modèle manquant. Sur les réseaux sociaux, près de 4 000 personnes sur Facebook et 7 000 sur Instagram suivent ses publications. Une vitrine, mais surtout un moyen simple de communiquer. « Beaucoup de jeunes filles qui me suivent en ligne me posent des questions. Je parle avec elles. Je veux être leur soutien moral, je veux leur donner de l’ambition et leur transmettre de l’énergie, raconte Myriam. Je veux qu’elles se disent : cette fille est comme moi et je veux, je peux faire comme elle », poursuit-elle avec conviction.

Frank Servel, le délégué régional et représentant Miss France à Mayotte abonde dans ce sens : « La Miss élue est une beauté, mais aussi une ambassadrice. » Les concours de beauté sont parallèlement un mode d’expression. « Le but est de faire parler de Mayotte. Quand une fille avec une écharpe « Miss Mayotte » autour du cou défile devant des milliers de spectateurs, ça marque forcément ! », explique-t-il en parlant de ses Miss, qui sont « l’image de Mayotte en métropole. » En 2019, l’élection de Miss France a été suivie par plus de 7,4 millions de téléspectateurs sur TF1. Durant son élection, Mariame Hassani se rappelle avoir été étonnée par la méconnaissance de Mayotte en métropole, et de l’impact que pouvaient avoir ces élections. « J’ai compris que ce n’était pas seulement un concours de beauté, mais une véritable vitrine pour l’île. » Les quelques minutes de défilés, chorégraphies et interviews télévisés peuvent alors représenter beaucoup « pour une petite île comme la nôtre » s’accorde à dire la première Miss de Mayotte.

 

« Montrer la France qu’on ne connait pas »

Les concours de beauté sont l’occasion de porter une visibilité sur l’île au lagon, mais aussi de témoigner de la pluralité de la France. Myriam, Miss Prestige 2018, voulait justement représenter la facette mahoraise de la culture française, « la France qu’on ne connait pas, celle sous les palmiers avec ses 32° à l’ombre ». « La diversité ethnique reste minime dans les concours régionaux de métropole, mais il arrive que les concours de beauté deviennent des espaces où on a une représentation de la diversité, notamment avec les outre-mer », atteste le sociologue Camille Couvert. Frank Servel se réjouit justement qu’il y est « chaque année de plus en plus de filles des outre-mer dans les Tops 5 » des concours nationaux.

Effectivement, sur les cinq dernières années, deux Miss d’outre-mer ont été élues Miss France : Alicia Aylies, Miss Guyane en 2017, et Vaimalama Chaves, Miss Tahiti, l’année dernière. En 2019, les candidates d’outre-mer ont d’ailleurs décroché trois places dans le Top 5 final. Les Ultramarines sont souvent présentées comme une famille, un ensemble de huit jeunes femmes qui regroupe Miss Guadeloupe, Miss Martinique, Miss Tahiti, Miss Nouvelle-Calédonie, Miss Guyane, Miss Réunion, Miss Saint Martin-Saint Barthélémy et Miss Mayotte.

Ces jeunes filles renvoient à l’imaginaire commun des « femmes des îles », exotiques et érotiques. Une image qui trouve ses origines dans la littérature coloniale, écrite à travers les yeux des Européens, explique Laura Schuft, sociologue et auteure de Les Concours de beauté à Tahiti. La fabrication médiatisée d’appartenances territoriale, ethnique et de genre. « Dans de nombreux territoires des anciennes colonies, on attribue le lieu à la femme, elle devient sa métaphore. » Lors des concours de beauté, on assiste alors souvent à une mise en scène (simplifiée) des lieux à travers le corps des femmes. Une forme de beauté culturelle qui devient un véritable élément marketing selon la sociologue : « On valorise le territoire à travers les corps de ces femmes. Elles deviennent presque un élément touristique pour vendre l’attractivité territoriale. » On attend alors des Miss mahoraises qu’elles soient le miroir de leur île. Ludy Langlade, la Miss Mayotte 2014, s’est d’ailleurs retrouvée au coeur d’une polémique, quelques heures seulement après son élection. En cause : elle n’était « pas assez Mahoraise » aux yeux de certains. La jeune fille métissée qui était installée à Mayotte depuis quelques mois, a dû subir les acharnements des internautes qui criaient à la tromperie.

Une autre beauté est possible

Le comité de Miss Salouva n’attend pas de ses Miss qu’elles représentent l’île grâce à leur physique, mais grâce à leur capacité à porter les valeurs de la femme mahoraise. En 2011, deux métropolitaines de passage à Mayotte ont même concouru. « Elles ont réussi à apprendre et à vendre les valeurs de Mayotte. Elles ont été très soutenues. » se rappelle Charfati Hanafi, présidente du concours. Enveloppée dans un salouva aux couleurs chaudes, cette amoureuse de la tenue traditionnelle mahoraise a décidé de donner naissance au concours suite au triste constat que le salouva ne se portait plus, ou peu. « De nos jours, on le porte le vendredi, lors de grands évènements et festivités, ou quand on n’a plus rien dans nos armoires, relate-t-elle. On doit le faire perdurer et évoluer avec son temps. » Pour Charfati comme pour beaucoup d’autres, le salouva a une symbolique forte, car « c’est la tenue portée par les aînées, les mères et grands-mères ». Une tradition qui mérite d’être mise sur le devant de la scène, selon elle. Camille Couvert, sociologue spécialisée dans les concours de beauté, explique que selon le type de concours, les attentes ne sont pas les mêmes. « Parfois, on neutralise les attentes esthétiques pour mettre en avant la tradition ou des exigences culturelles, plus ou moins importantes selon l’ancrage territorial. »

Dans ce concours, « pas de tenue de sport, de ville ou de maillots de bain, des tenues qu’on voit peu dans l’espace public de Mayotte, mais seulement des salouvas » atteste Charfati . Et les familles des candidates adhèrent davantage au concept : « Les candidates à Miss Salouva deviennent la fierté des familles en portant la tradition. Elles ne sont pas dénudées. C’est parfois les familles elles-mêmes qui nous appellent pour inscrire leurs filles. »

En 2000, Mariame Hassani se rappelle que des représentants religieux essayaient de dissuader sa mère de la laisser participer au concours national de Miss France. De son côté, Frank Servel, représentant Miss France à Mayotte, observe toujours des jeunes filles qui ne concourent pas à cause d’un désaccord familial. En ligne de mire : le défilé en maillot de bain qui est souvent pointé du doigt comme étant inapproprié à la culture traditionnelle et religieuse mahoraise. Les concours tentent pourtant de s’adapter. À plusieurs reprises, par exemple, les prétendantes à Miss Mayotte défilaient en maillot de bain une pièce, ou revêtues d’un paréo.

Car le rapport au corps reste quelque chose de tabou à Mayotte, même si les concours de beauté sont également là pour le faire évoluer. La sociologue Camille Couvert parle justement de certains concours qui ont pour but de « modifier le corps socialement légitime dans l’espace public ». Elle cite des groupes qui « s’emparent de cette pratique [les concours de beauté] pour s’affirmer et retourner les stigmates dont ils sont victimes. » C’est le cas de Miss Handicap, qui a organisé sa première élection l’année dernière, ou encore de Miss Bwadra, le concours pour les « femmes rondes », qui sont les deux concours préférés de Nadine Hafidou, fondatrice de l’association des Femmes-cadres et entrepreneurs de Mayotte et élue à la CCI (Chambre du Commerce et de l’Industrie). Pour elle : « Les concours de beauté correspondent à la femme mahoraise, coquette de nature. Et en même temps, ils lui permettent de se mettre en valeur, elle qui est plutôt introvertie. C’est valorisant, et davantage dans des concours comme Miss Bwadra ou Miss Handicap où on ôte les complexes de certaines femmes. »

Moncef Mouhoudhoire et son association Narike M’sada, en est à l’origine. Il voulait justement se différencier et permettre à toutes de se sentir légitimement belles. « Il y a beaucoup de femmes bwadra à Mayotte, et comme partout ailleurs on leur fait encore trop peu de place dans la société » pointe du doigt l’organisateur. À l’ouverture des candidatures, en seulement un mois, le concours a reçu une dizaine de postulantes. Une dizaine de femmes engagées qui voulaient montrer qu’elles étaient « bwadra et fières de l’être ». « On a mis le doigt sur une frustration et une stigmatisation que vivent beaucoup de Mahoraises », constate Moncef avant de préciser que « le but est de lutter contre des formes de discriminations et de montrer qu’une autre beauté est possible. »

À travers leurs élections, les Miss conjuguent ambitions personnelles et rayonnement territorial. Ces concours de beauté, au-delà de leur superficialité, peuvent donc devenir de véritables modes d’affirmation aussi bien pour ces jeunes filles que pour leur île et leur culture. Par leur biais, c’est également le reflet de la société mahoraise qui se dessine. Son ambivalence entre tradition et religion, et modernité et occidentalisme.

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

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