Elle est à la tête de la seule école locale de musique depuis plus de 20 ans. À travers son association « Musique à Mayotte », Cécile Bruckert-Pelourdeau s’engage pour sauvegarder la culture traditionnelle d’une île qui est devenue la sienne.
Rien ne prédestinait cette couturière à diriger l’unique école de musique du 101ème département. Pourtant, en 1998, c’est bien vers Cécile Bruckert-Pelourdeau que se tournent trois familles mahoraises, inquiètes de ne voir aucune formation musicale dispensée sur leur île. Cela faisait déjà presque dix ans que la « mzunguette » avait débarqué à Mayotte, en y suivant son mari recruté par le Centre hospitalier de Mayotte (CHM). Issue d’une famille de musiciens, Cécile connaît bien le quatrième art, qu’elle a joué dès son plus jeune âge. Alors, la mère de famille accepte de relever le défi. En seulement quelques mois, l’école associative « Musique à Mayotte » voit le jour. Vingt-et-un ans plus tard, elle dispense chaque année scolaire quelque 5 544 heures de cours.
Pour mener à bien cette entreprise inédite, Cécile Bruckert-Pelourdeau a dû raccrocher les aiguilles. Formée aux métiers de la mode, elle avait choisi, en arrivant ici, d’enseigner la couture au sein de l’Association pour la promotion de la culture de Mayotte (APCM). Comme une sorte de présage. « Des religieuses de l’est de la France avait monté cette structure », se souvient-elle. « C’est elles qui ont mis en place les premières maternelles et les centres de formation pour les jeunes filles. » Finalement, leur atelier se privatise, les machines sont envoyées à Madagascar. Rien qui ne décourage Cécile : « On a rouvert d’autres ateliers, puis on a fait Ouhayati », raconte-t-elle au gré de ses souvenirs. Pendant presque vingt ans – jusqu’en 2008 –, cette association forme des artisans mahorais dans plusieurs domaines : couture bien-sûr, mais aussi sculpture, peinture, encadrement, etc., avec toujours cette même volonté de préserver le savoir-faire traditionnel qui fait la richesse du patrimoine local.
Contre la fuite des traditions
C’est ce patrimoine immatériel que transmet aujourd’hui l’école Musique à Mayotte à plus de 365 adhérents de trois ans à point d’âge. Au programme : chant, instruments classiques comme la guitare, le violon ou le piano, mais aussi instruments mahorais ancestraux. « Chaque année, sur trois périodes d’un mois, on axe sur les musiques traditionnelles », développe
Cécile Bruckert-Pelourdeau. « On fait venir le directeur de l’académie musicale de Zanzibar, qui connaît les mêmes problématiques que nous : la perte de la pratique et même de la connaissance des instruments traditionnels. »
Pour aller plus loin, Musique à Mayotte a organisé un stage dédié en 2018, dans le cadre du dispositif national « C’est mon patrimoine ! ». Des enfants de cinquième et sixième sont ainsi allés à la rencontre de plusieurs fundi pour apprendre à confectionner eux-mêmes leurs propres instruments locaux comme les masheve, des petites percussions. Reconduite cette année, l’opération permettra cette fois aux apprentis de la première édition de devenir, à leur tour, formateurs auprès des plus jeunes. « Et les plus grands iront à Chiconi où ils rencontreront Colo Assani, artisan-créateur de gabussi ! », ajoute Cécile Bruckert-Pelourdeau. Enfin, début juillet, une quarantaine d’enfants suivront un stage sur les halé halélé à la bibliothèque de Pamandzi, qui abrite les locaux secondaires de l’école de musique. Les jeunes élèves créeront leurs propres contes autour des instruments de Mayotte.
« Certains vont travailler sur l’écriture des textes, d’autres sur l’expression scénique et l’improvisation, ou avec des enseignants de l’école sur la mise en musique des contes », se réjouit Cécile Bruckert-Pelourdeau, qui s’est également engagée en faveur de la formation professionnelle des musiciens intervenants. Avec le collectif Arts Confondus, elle encadrera début juin la venue du directeur du centre dédié de Poitiers, le seul de France à accueillir des musiciens issus de la transmission orale, qui ne savent ni lire ni écrire la musique.
Mon endroit favori
Il y a un endroit que j’adore en Petite-Terre ! C’est la petite plage de sable blanc en contrebas du four à chaux. Il y a toujours des enfants qui y jouent, pendant que les pêcheurs arrivent dans leurs barques, du côté droit. Elle offre une vue qui reflète toute l’immensité du lagon, et en même temps, on peut y voir presque tout le relief de Mayotte du nord jusqu’au sud : le mont Choungui qui pointe, le Bénara, la ville de Mamoudzou et les îlots.
Mon meilleur souvenir à Mayotte
Il n’y en a pas qu’un, mais ils sont tous liés au collectif. Ici, il y a toujours cette force d’être ensemble, de faire ensemble. Parfois je me demande si les Mahorais savent vivre seuls. Peut-être pas ! J’ai plein d’images en tête : les femmes qui dansent le debaa, les hordes de gamins qui courent tous sous les gouttières lorsqu’il pleut, ces gosses qui jouent, préparent des gâteaux, etc. Ici, le collectif prend toute la place et ça nous donne parfois de belles leçons.
Mon œuvre préférée
Je me suis beaucoup occupée de l’artisanat, tout ce qu’on fait avec ses mains est un art. Alors je pense à Conflit, le sculpteur qui a fait ce grand homme en marche sur le rond-point de Dembéni. Malgré sa canne, il vieillit plutôt bien et je trouve qu’il n’y a pas énormément de pièces visuelles de ce genre. Celle-ci n’est faite qu’à base de végétaux, ça décline toute la tradition du tissage et ça va aussi avec la musique. Les masheve, c’est aussi un système de tressage et de tissage.
Ma photo marquante
Depuis le temps, j’en ai des photos ! Mais je me rappelle particulièrement de celle-ci, prise à Sada en 1989. Je venais d’arriver avec mes trois enfants. La plus jeune, Juliette, n’avait même pas un mois quand notre nounou m’a demandé d’emmener dans son village mon bébé pour la nuit. Je n’étais pas rassurée, mais j’ai passé un contrat de confiance avec elle en la voyant insister. Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là ! Le lendemain, je les ai rejointes à Sada. Quand j’y suis arrivée, c’était la fête, l’hystérie autour de Juliette : elle était maquillée, il la faisait danser, mon bout de chou mzungu ! Ensuite avec les habitants, nous avons râpé de la coco et fait des gâteaux. C’était un très beau moment de partage en plein ramadan. Sur la photo, c’est ma fille et sa nounou, dans sa maison.
Ma bonne idée pour Mayotte
Il y a une idée de l’ancien lieutenant de police Chamassi que j’aime beaucoup : plutôt que d’avoir une base militaire à Dzaoudzi, qui est un peu protégée, pourquoi ne pas l’installer à M’tsamboro ? On sait que c’est la porte d’entrée des clandestins, et ce n’est pas deux vedettes rapides qui vont changer la donne. Au lieu de faire de la répression à l’intérieur de l’île, il vaudrait mieux se protéger des arrivées et ça serait moins violent pour tout le monde. Quand on voit la situation aux Comores, je comprends ceux qui veulent venir à Mayotte, mais l’île est en train d’étouffer. Il faut stopper l’hémorragie, pour ensuite pouvoir traiter les symptômes.
Une chorale à M’Gombani
Toute l’année, l’association Musique à Mayotte organise des rencontres et évènements musicaux. Le prochain rendez-vous est donné à la MJC de M’gombani où 100 petits choristes de classes de CM2 viendront chanter mercredi 26 juin à 17h. Une soixantaine d’autres enfants, issus des classes option musique, formeront un orchestre complet
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.