Le célèbre dramaturge mahorais Alain Kamal Martial a écrit et composé un opéra régional qui retrace la création du monde selon la culture bantoue. Déjà joué en 2021 en Tanzanie et soutenu par l’Institut Français, ce spectacle professionnel mettant en scène de nombreux artistes d’Afrique de l’Est n’a toujours pas pu être représenté sur l’île d’origine de son auteur. En cause : aucun organisme culturel mahorais n’a pris la peine d’acheter le spectacle…
Ecrire la création selon les peuples bantous, tel est le projet de l’opéra régional « Genesis », entièrement écrit, composé et mis en scène par le dramaturge mahorais Alain Kamal Martial. « Les peuples bantous vivent majoritairement dans les pays entourant le fleuve Zambèze. C’est-à-dire en Zambie, au Zimbabwe, en Namibie et au Mozambique. Mais leur influence dépasse ces pays-là et une grande partie de l’Afrique de l’Est, canal du Mozambique compris, est grandement influencée par la culture bantoue », affirme le dramaturge. Mayotte elle-même tire une grande partie de sa culture chez les bantous, même si d’autres influences sont arrivées après. « Ce sont des peuples matriarcaux dont la mythologie est dominée par la croyance en la déesse créatrice Zambe. » L’auteur souhaite redonner une place d’honneur à ce qu’il appelle « le féminin supérieur », une énergie maternante qui permettrait notamment de recréer du lien entre les peuples d’origine de la région.
Cet opéra est en fait un extrait de son roman « Zambezia » dont il a voulu mettre en lumière l’une des parties. S’il se base sur la mythologie imprégnant l’Afrique de l’Est, la première partie du roman se déroule dans l’univers urbain avec tout ce qu’il implique de violence et de prostitution. L’opéra suit le parcours de Xamba, jeune fille qui se prostitue dans l’espoir de trouver un jour l’amour et la richesse, mais qui, au terme d’un parcours initiatique débuté en suivant une légende urbaine, finit par rencontrer la déesse Zambe. Elle redescend alors dans le monde matériel pour distribuer son énergie féminine chez les humains en chantant et dansant. « Il s’agit de désarmer la haine et la colère grâce à un art poétique touchant la sensibilité par rapport à la mère », explique Alain Kamal Martial. Pour lui, le salut des enfants de Mayotte passe donc par un retour aux sources de la culture bantoue et par le lien inter-régional. « Il faut proposer à la jeunesse une autre dynamique et réussir à les toucher à travers l’émotion », continue-t-il.
Une diffusion à Mayotte encore sous réserve
Le dramaturge plaide pour que ce spectacle soit joué sur l’île aux parfums. Il rêve d’une représentation à laquelle justement les enfants de la rue pourraient assister afin de s’imprégner de son message. « Dans mon opéra, il n’est nulle question de colonisation ou de traite négrière. J’ai voulu au contraire célébrer la vie et montrer qu’on peut voir l’histoire selon un autre axe », décrit-il. Il désigne son œuvre sous le terme de « bongo opéra », « bongo » signifiant « la saveur » et, par extension, « la chose du pays » en langue swahilie. Ce spectacle est soutenu par plusieurs organismes culturels dont la direction des affaires culturelles (Dac) Mayotte. Il a été acheté par La Réunion et l’Union Africaine et une grande tournée est prévue sous peu. Quid de la diffusion sur l’île d’origine de son auteur ? « J’ai prévu la date du 21 juin à Mayotte et j’ai fait pour cela une demande de subvention auprès de la coopération régionale. Mais pour l’instant, je n’ai toujours pas eu de réponse », déplore Alain Kamal Martial.
Le spectacle nécessite beaucoup d’artistes professionnels et donc une structure en mesure de l’acquérir. « Normalement, ce serait à l’Office départemental de la Culture de l’acheter. » En attendant, beaucoup d’artistes, comme le Mahorais, sont obligés de s’exporter dans d’autres pays pour voir leur œuvre enfin diffusée. « Je vais là où le travail m’appelle », indique d’ailleurs le dramaturge. « Genesis » sera ainsi joué au mois de juin en Tanzanie, où il a reçu le soutien de l’ambassade de France, et au Kenya. A Mayotte, l’avenir nous le dira en espérant que l’île retrouve bientôt un certain dynamisme culturel !