Connu à Kawéni où il a vécu ces dernières années, Chakri a fait partie des jeunes locaux recrutés par l’équipe de tournage du film « Tropique de la violence ». À quelques jours des avant-premières organisées à Mayotte, rencontre avec cet acteur d’un seul film qui rêve de réussite.
Il prend souvent un air grave quand il évoque son passé. À 30 ans, Chakri n’en a pas fini avec lui. Arrivé à Mayotte à l’âge de six ans, d’un père malgache et d’une mère comorienne, il n’est pas encore sorti « de la galère ». Comme Moïse, le héros du livre « Tropique de la violence », il a dû parfois se débrouiller seul à Kawéni. La violence, la drogue, les bandes, ce garçon plutôt trapu aussi les a vues. Il est même tombé un temps dans la deuxième.
Chakri, ce n’est pas non plus son vrai prénom. Comme ses amis, il a hérité d’un surnom, ou, c’est ici son cas, a pu choisir le sien. La famille ayant déjà deux filles et six garçons, il est placé très jeune par sa mère dans une famille habitant Majicavo. Elève au collège, puis au lycée de Koungou, il ne garde pas un mauvais souvenir de ces années. C’est plutôt en septembre 2011 que « la galère » lui tombe dessus. Il est arrêté et envoyé à Madagascar, le pays qui l’a vu naître, mais dont il ne connaît pas la langue. Trois mois plus tard, il arrive aux Comores. Il y reste un an et demi, et après quatre tentatives par la mer, fait son retour à Mayotte. Adulte maintenant, il se retrouve livré à lui-même, surtout depuis le départ en métropole de sa mère biologique, avec qui il avait renoué, en 2017. Dormant chez des amis ou dans un container abandonné, il s’en sort grâce à un peu du travail au noir.
Un rôle de grand frère le temps du tournage
Toujours déterminé à réussir, il voit dans le tournage du film en octobre 2020 une opportunité. « J’étais sur mon scooter devant le collège K2 », raconte-il, en s’allumant une cigarette. « Un pote est passé. Il m’a dit qu’une équipe de tournage cherchait des jeunes de Kawéni. » Il rencontre la production, passe les sélections et se voit confier un petit rôle. Curieux de nature, il découvre avec envie le cinéma. « Ma vie, je la vois déjà comme un film », explique-t-il. Les conditions sont bonnes. La production lui donne un logement le temps du tournage et l’emmène également à La Réunion pour y filmer d’autres scènes. « J’ai adoré. Grâce au film, j’ai voyagé. J’ai vu plein de trucs, fait la connaissance de plein de gens », dit-il avec enthousiasme.
Plus âgé parmi les apprentis acteurs, il prend son rôle de grand frère à cœur. « Dès qu’il manquait un jeune, je prenais le scooter et j’allais le chercher. Je savais toujours où il se trouvait », se souvient-il. Apprendre son texte, crapahuter dans la montagne réunionnaise avec le matériel, tout ça ne lui fait pas peur. Manuel Shapira, le réalisateur de « Tropique de la violence », prend souvent du temps pour discuter avec ses jeunes acteurs. Chakri est d’ailleurs resté en contact. Volontaire, il a parfois dépassé son rôle de simple acteur avec l’équipe du film. « Il nous a beaucoup aidés », fait remarquer Manuel Shapira. « C’était tellement important pour moi. J’ai voulu tout faire pour que ça se passe bien », répond Chakri.
« Il a vécu beaucoup dans l’ombre »
À le voir gentil et discret, on pourrait se demander pourquoi le cinéma l’attire autant. « Il a toujours voulu être une star, être mis en lumière. Il a vécu beaucoup dans l’ombre jusqu’à maintenant », dit de lui l’une de ses amies. Lui aussi reconnaît aimer les films, mais n’a pas encore de voie toute tracée. Poussé par ses amis, il continue de chercher un travail sur Mayotte, déclaré cette fois. Il a passé le Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) et rêve d’être « éducateur sportif ». Loin de Kawéni, qu’il préfère éviter maintenant, il attend avec impatience de voir le film à l’écran. Ne serait-ce que pour comprendre l’histoire, lui qui ne l’a vu par bribes. Et aussi parce que l’histoire lui rappelle beaucoup de choses de son quotidien et de son passé. « J’y ai vu la réalité de ce qu’on vit à Mayotte. »
Des projections en avant-première
L’équipe du film « Tropique de la violence » et son réalisateur Manuel Shapira font leur retour sur l’île aux parfums cette semaine. Outre les interviews pour présenter leur travail, ils vont projeter le long-métrage plusieurs fois, avant la sortie officielle prévue le 23 mars. Deux séances (uniquement sur invitation) sont déjà programmées les 3 et 4 février à Chirongui. D’autres auront lieu dans les établissements scolaires.