Le tissu malgache et la façon de le broder sont typiques du pays. À Hell-Ville, chef-lieu de Nosy Bé, un groupe de femmes, un petit peu à l’écart de la place publique où se tient le marché, raconte leur labeur, à même le sol. Reportage issu de notre série d’articles consacrés à l’autre « île aux parfums ».
« Vous connaissez le piment ? », suggère une femme, un bébé dans les bras. Au marché d’Hell-Ville, la cité foisonnante du sud de l’île de Nosy Bé, il sera conseillé d’en acheter pour consommer poisson et viande plus ou moins frais déposés sur les étals. En revanche, pour ce qui est du tissu vendu, il n’y a pas de secret, celui-ci vient de la grande terre de Madagascar mais surtout, il n’est pas brodé directement dans la région. Pour de la broderie 100 % locale de l’île, il faut passer l’agitation du marché, et rejoindre, un petit peu plus à l’écart, les brodeuses qui s’affairent depuis le matin. Il suffit d’emprunter un des nombreux « tuk-tuks » qui circulent, ces scooters à trois roues adaptés aux routes de la petite île malgache. L’atelier de fabrication tenu entièrement par des femmes se situe « vers le port », « au district », sur un emplacement prêté par la ville.
« Le tissu, le fil, tout vient d’ici », explique Angeline, artisane. Sur le côté de la route, elles sont plusieurs à travailler, sur un sol en bois, dans des petits couloirs formés par les tissus étendus. À Madagascar, la spécialité est de coudre en utilisant le point Richelieu, c’est-à-dire « avec trois points », une technique héritée du premier ministre éponyme du roi français Louis XIII qui invitât brodeurs et denteliers vénitiens à la cour pour démontrer leur savoir-faire. Le coton arrivé de Tananarive, la capitale, est reçu tout blanc. « Après on fait le dessin : des tortues, des poissons… Je brode, je lave, je découpe. » Les draps, nappes et rideaux ainsi cousus apparaissent tous troués, comme de la dentelle. De quoi laisser passer la lumière, selon les motifs, souvent géométriques.
« Aucune femme ici n’est mariée. Il n’y a que des femmes séparées, célibataires avec deux à quatre enfants », indique Eugénie, brodeuse à Nosy Bé depuis presque vingt ans et qui a appris en regardant sa mère faire. En plus du point richelieu, dit aussi « riselie », cette quinquagénaire pratique également le « petocfi » malgache et le « zourcaran » inspiré des Indiens. Toutes ici font partie d’une association, Mpihombona, qui comprend une cinquantaine de tisseuses. « Je les connais toutes très bien. » Mais avec toutes ces années, elle a aussi vu le coût du mètre de tissu augmenter.
Trois semaines à un mois de travail pour une nappe
« Je l’achetais 3.000 ariarys (monnaie malgache), maintenant je l’achète 10.000. Avant je vendais la nappe 25 ou 30.000 ariarys, maintenant 100.000. Ça dépend de la grandeur », informe-t-elle, sachant qu’un billet de 5.000 équivaut environ à un euro. « Beaucoup de chauffeurs déposent les clients ici, mais ils n’achètent presque pas ou on me dit que c’est trop cher et ils tentent de négocier. Alors que quand je vends 30.000, je gagne 15 à 10.000, ce n’est pas beaucoup. » Pour une nappe de 2 mètres sur 3,5 mètres, comptez trois semaines à un mois de travail. Tous les rideaux lui ont pris un mois de confection.
Un petit coussin calé par terre lui permet d’adoucir les douleurs à travailler sur le sol. « J’ai toujours mal à la nuque en me penchant pour regarder. Je demande à mon fils de me faire des massages », reprend la quinquagénaire. « J’ai aussi mal aux yeux. J’ai besoin de lunettes, mais je n’en achète pas, je n’ai pas les sous. » Selon elle, la paire coûte 15.000 ariarys. « Mais je ne suis pas diplômée, je ne peux rien faire d’autre », livre-t-elle, néanmoins avec le sourire avant de se réinstaller à son poste. D’autres de ses congénères portent des lunettes, données par des médecins français.
Journaliste à Mayotte Hebdo et pour Flash Infos arrivée en décembre 2023. Mes sujets de prédilection ? Les sujets sociaux, sociétaux, de culture et concernant la jeunesse.