L’association ART.Terre vient d’éditer un livre intitulé « Construire en terre mahoraise ». Un ouvrage né de la nécessité de rendre compte du caractère novateur, écologique et économique joué par la filière de construction en terre crue à Mayotte dès le début des années 1980. Mais aussi un moyen de justifier ses bienfaits dans le but de la relancer. Entretien avec Dominique Tessier, architecte de formation.
Flash Infos : Avec votre confrère Vincent Liétar, vous venez de sortir le livre « Construire en terre mahoraise », fruit de douze années de travail de l’association ART.Terre, qui ont mobilisé producteurs, constructeurs, donneurs d’ordres. Quelles sont vos intentions à travers cet ouvrage ?
Dominique Tessier : L’idée est de retracer les raisons de la mise en place de la filière de brique de terre compressée à partir de 1978. À cette époque, le port de Longoni n’existait pas, donc il était difficile d’importer du ciment et du métal… La seule ressource locale, le pouzzolane, permettait quand bien même de réaliser des constructions. Il y a alors eu des débats fournis entre les représentants des collectivités de Mayotte et la direction de l’équipement sur son devenir. Dans leur ensemble, les Mahorais avaient rejeté l’idée que nous puissions continuer d’ériger des maisons en torchis et en feuilles pour privilégier le « dur » ! La solution dite « brique » a été admise par la population bien que ce soit de la terre, pour laquelle elle était pourtant réticente… Mais dans la mesure où il s’agissait d’un produit « moderne », fabriqué localement, il a été retenu par les élus d’antan.
FI : Au cours des années 80, 17 briqueteries étaient installées sur l’île… Aujourd’hui, nous avons une coopérative qui se remet doucement en ordre de marche. Comment expliquer cette perte de vitesse mais aussi ce retour à la mode ?
D. T. : Je ne crois pas que ce soit une mode… C’est plutôt un besoin, une nécessité ! Tout d’abord, il y a moins de briqueteries pour la simple et bonne raison qu’il y a moins de production. Si vous fabriquez des briques mais vous n’arrivez pas à les vendre, forcément le producteur dit stop. Toutefois, nous en avons répertorié huit sur Mayotte, qui fonctionnent par intermittence. Ou alors comme vous l’avez dit, certains ont décidé de se regrouper en coopérative pour produire plus s’il faut plus.
Le retour de la filière sur le devant de la scène se justifie essentiellement par des questions environnementales. Comme je l’expliquais plus tôt, nous importons beaucoup de ciment et d’acier. Or nous n’avons pas de sable naturel, qui exige de casser de la roche. Primo ce procédé coûte cher, deuzio les collines exploitables se font de plus en plus rares. Nous avons pu faire le constat dans les années 80 lorsque la filière terre tournait à son maximum que la consommation de granulats diminuait… Donc non seulement cela permet de ne pas épuiser les ressources, mais aussi d’avoir un produit avec une meilleure tenue à l’hygrométrie par rapport à la chaleur !
FI : Quelles difficultés et spécificités un constructeur peut-il rencontrer lors de l’utilisation de la brique de terre ?
D. T. : Déjà, nous ne pouvons pas employer n’importe quelle terre n’importe comment. D’où les études réalisées par le BRGM sur les ressources disponibles et sur la nécessité d’ajouter un adjuvant, comme du ciment, lorsqu’elle n’est pas assez malléable ou trop collante. Donc il faut passer par des professionnels : bricoler sa brique chez soi n’est pas recommandé car elle doit avoir une tenue et être compressée préalablement. Quand elle a reçu une pression et perdu son eau, il faut la faire sécher huit jours sous abri, puis vingt-et-un jours au soleil avant de pouvoir l’utiliser.
Il y a eu une norme élaborée par l’Afnor (association française de normalisation), qui dispense toutes les règles de fabrication et de contrôle. Il y a aussi des règles de montée à respecter. Mais ce n’est pas très difficile, nous le faisons depuis le Xème siècle avant Jésus-Christ.
FI : Pouvons-nous envisager que la brique (re)devienne une marque de fabrique à Mayotte, notamment auprès des maîtres d’ouvrage les plus importants du territoire, tels que la SIM et le rectorat ?
D. T. : La norme Afnor qui vient d’être révisée en France avait le surnom de norme Mayotte. C’est une manière de faire qui a été conçue dans les années 80 et qui a gagné sa réputation « internationale » à partir de cette expérience-là. La SIM et le rectorat ont la possibilité de faire en sorte que la brique de terre soit un élément incontournable de leurs constructions et par la même occasion d’aider la filière à se relancer. Sans toutefois pointer du doigt les difficultés conjoncturelles. S’ils passent des commandes, cela permettra de la remettra en route ! Il faut recréer le marché en quelque sorte.
Ironie de l’histoire : en Suisse et en Île-de-France, des sites industrielles de fabrication de terre crue sur la base du savoir-faire mahorais viennent d’être installés. Pourtant, nous sommes encore en train de nous demander si c’est bien de poursuivre en ce sens… Alors qu’ailleurs, des chaînes de production de l’ordre de 500-600.000 briques annuelles sont mises en place !
FI : Pour relancer cette filière, ne faut-il pas également le soutien d’investisseurs qui pourraient apporter un appui financier ?
D. T. : Oui oui, tout à fait. Par exemple, EDM fait déjà un geste d’une certaine façon. Si vous utilisez de la BTC pour construire votre maison, votre bâtiment commercial ou industriel, vous pouvez bénéficier d’une aide de 25 euros par mètre carré. Il est aussi certainement possible de recevoir un soutien de la part de l’ADEME qui est très favorable à l’idée de ne pas seulement réaliser des économies d’énergie avec des ballons d’eau chaude et des lampes de basse consommation, mais aussi d’avoir des murs isolants. De manière générale, nous sommes épaulés par l’État car toutes les démarches nécessaires pour rééditer les normes et les règles professionnelles ont été subventionnées par le fonds de développement mahorais et par la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Nous pouvons toujours espérer que cet appui soit supérieur, mais il est bel et bien réel.
FI : Le malaise n’est-il pas plus profond ? Comme vous l’avez dit, dans l’histoire de la BTC, il y a eu une certaine forme de rejet de la part de la population…
D. T. : Vous savez, quand le rectorat passe des commandes d’ouvrage dont la construction est demandée en BTC, c’est un moyen d’aider la brique, mais aussi les Mahorais à de nouveau aimer ce produit. Je pense que les gens n’ont pas encore suffisamment pris conscience des changements climatiques et des effets nuisibles sur la diminution des ressources. Donc il y a un combat à la fois technique et représentatif !
FI : Ce livre est-il une simple volonté de retracer une histoire ? Ou bien au contraire, avez-vous la prétention de rééduquer les habitants sur les bienfaits de la brique de terre compressée ?
D. T. : Le message consiste plutôt à rappeler aux Mahorais qu’ils ont été les précurseurs et les inventeurs d’un produit. Et qu’il est temps pour eux de ressaisir leur chance ! Nous, les professionnels, sommes convaincus et prêts. Encore faut-il qu’il y ait une demande…
Nouvelle séance de dédicaces à La Bouquinerie
Après une première séance de dédicaces ce mercredi 1er décembre de 13h à 17h à La Maison des livres à Mamoudzou, les auteurs seront de nouveau présents ce samedi 4 décembre de 10h à 12h30 à La Bouquinerie à Passamaïnty.