Urbanisme : « il faut réussir à utiliser ce précieux foncier intelligemment »

Architecte-urbaniste, Ning Liu pilote l’organisation de l’Atelier international prévu début 2023 sur la résilience et l’équilibrage du département. Spécialisée dans les enjeux liés au changement climatique, elle nourrit une stratégie de développement pour le territoire, qui prend en compte la notion de risques naturels. Entretien.

Flash Infos : Vous êtes à Mayotte depuis près de deux semaines, quelle est votre impression générale à la suite de vos différentes visites sur le terrain et vos rencontres avec les institutions locales ?

urbanisme-utiliser-foncier-intelligemmentNing Liu : En tant que département français, Mayotte bénéficie d’une puissance d’investissements publics non négligeables. Individuellement, les institutions ont toute envie d’aller de l’avant, que ce soit à travers le schéma d’aménagement régional (qui fixe les orientations fondamentales à moyen terme en matière de développement durable, de mise en valeur du territoire et de protection de l’environnement) et les différentes études réalisées ces dernières années. Toutefois, la superposition de toutes les opérations en cours et à venir demande une vision globale sur le long terme !

Dans le SAR, il manque de véritables projets urbains, même s’il existe quelques initiatives, à l’instar de Mamoudzou 2030. Mais ce n’est pas suffisant… Mayotte ne résume pas uniquement à la ville chef-lieu. Le Nord est très pauvre, sous-exploité et peu sécurisé : par exemple, Koungou est une commune stratégique et sous-développée. Il faut absolument réfléchir à la connectivité du port. L’Ouest dégage une vraie histoire d’installation, avec ses villages perchés par rapport à la côte. Cette partie du territoire concentre de grands enjeux urbains et de la pression foncière et doit s’articuler avec le Centre, où vont prochainement s’implanter plusieurs institutions. Le Sud concentre le plus de biodiversité, mais c’est l’endroit qui va subir le plus le changement climatique, entre la submersion marine et le manque de pluie. L’éco-tourisme doit prendre en compte la préservation des ressources naturelles. Chaque partie de l’île a des défis précis à relever. Et tout cela nécessite un rééquilibrage territorial.

FI : De votre point de vue d’urbaniste, comment le 101ème département peut-il se développer harmonieusement avec une situation foncière aussi complexe ?

N.L. : À la suite de l’Atelier international organisé à La Réunion que j’ai piloté du 27 septembre au 8 octobre 2021, j’ai rédigé un article sur le changement climatique et la protection du patrimoine dans les Outre-mer. J’ai mené une enquête et j’ai approfondi l’histoire et la naissance des villes dans ces territoires. Un point m’a profondément frappé : la condition d’habitat n’a jamais été appréhendée et mise au centre des considérations urbanistiques ! Au départ, il n’a jamais été prévu qu’elles soient habitées… Elles ont été conçues comme des comptoirs commerciaux alors que la main d’œuvre se situait à la campagne, dans les lieux de production agricole. Désormais, nous nous trouvons dans une société contemporaine et cette question devient fondamentale. Il nous faut un nouveau modèle pour l’avenir des Mahorais.

Pendant mes deux semaines ici, j’ai appris à découvrir cette île très riche. Beaucoup m’ont partagé leur complexité foncière en raison de l’historique particulier de Mayotte. La soustraction entre l’emprise foncière et les risques laisse place à très peu de ressources disponibles ! Raison pour laquelle il faut introduire de la multifonctionnalité, qui peut être bénéfique, pour inciter à l’innovation urbaine. Il y a un réel besoin d’espaces publics pour placer le vivre-ensemble aux premières loges. En d’autres termes, il faut réussir à utiliser ce précieux foncier intelligemment.

FI : À l’occasion du rapport d’étonnement de la mission exploratoire de la délégation des Ateliers de Cergy [le mardi 30 septembre], vous avez expliqué qu’il y avait un besoin de 130.000 logements d’ici 2050 et de 100.000 emplois d’ici 2040…

N.L. : Dans le SAR, il est écrit que le territoire a besoin de 130.000 logements aux normes d’ici 2050. Il y a plusieurs composantes et catégories à prendre en compte dans ce chiffre : le neuf, la rénovation et l’absorption de l’habitant indigne. Il n’existe pas une seule solution miracle à développer en termes de densité et de typologie de logement. Et surtout, il ne faut pas oublier la notion de risques qui est bel et bien présente avec la submersion marine, mais aussi avec l’émergence du volcan sous-marin. Il faut bien se la mettre en tête et apprendre à vivre avec.

Concernant l’emploi, cette thématique est primordiale à mes yeux. Dans quelle mesure les 100.000 jeunes âgés d’une dizaine d’années aujourd’hui seront-ils actifs d’ici 2040 ? Cela doit faire partie des priorités de l’agenda politique des élus ! Par rapport aux besoins d’infrastructures sur l’île, n’est-ce pas là une précieuse opportunité de créer des emplois qualifiés ? Il est indispensable de profiter de ces projets structurants pour former des ingénieurs, des chefs de chantier, d’architectes, etc. L’investissement génère de nombreuses filières. Il faut réfléchir dès aujourd’hui à la formation de la jeunesse de demain, mais aussi à l’excellence éducative. C’est ce qui va permettre à Mayotte de rayonner dans l’océan Indien et d’envoyer des talents dans les pays voisins.

FI : Dans vos discours, vous comparez régulièrement la Chine et Mayotte. Quelles sont les points communs et les différences entre les deux territoires selon vous ?

N.L. : Il s’agit plutôt de la comparaison de l’incomparable entre Mayotte, une île de l’océan Indien, un confetti de territoires, et la Chine, un pays de plus d’un milliard d’habitants qui fait la taille d’un continent. Dans la trajectoire que j’ai vécue, je comprends parfaitement l’aspiration à la modernité des Mahorais. Pour cela, l’urbanisme joue un grand rôle important, c’est-à-dire in fine de permettre à tous les habitants d’atteindre un plus haut standing de niveau de vie.

Les opportunités de développement peuvent ouvrir d’autres perspectives d’urbanisme et la résilience aux risques peut être une nouvelle modalité de vivre-ensemble om se croisent les grandes thématiques de connectivité de territoire, de densité appropriée, sans oublier le lien social et la culture dans les espaces communs. Enfin, le climat ce n’est pas seulement la météo, cela intègre aussi et surtout l’environnement de vie dans sa globalité. Les élus doivent être mobilisés pour adopter de nouvelles stratégies.

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