« Réussir à débloquer les situations » pour résorber l’habitat insalubre

« Un toit pour tous en Outre-mer », tel était l’intitulé du séminaire Totem organisé, mardi, toute la journée dans l’hémicycle YounoussaBamana au Conseil départemental de Mayotte à Mamoudzou. Le matin était destiné aux professionnels de la construction et aux élus, et l’après-midi à des échanges à travers des tables rondes autour des possibilités de déploiement de prototypes (d’habitations) sur le territoire. Des moments d’intenses et fructueux échanges de point de vue sur comment résorber l’habitat insalubre dans le département.

Audelà des interventions officielles de la matinée de mardi, on retiendra du séminaire Totem plus particulièrement les échanges entre les acteurs professionnels (institutionnels et privés) sur la problématique du logement insalubre ou indigne (bidonvilles), la manière de l’accompagner dans l’optique d’offrir à Mayotte une offre de logement digne, durable et abordable. Des tables rondes très intéressantes, tous les intervenants ayant proposé des solutions et ont évoqué un certain nombre de leviers. « Tout cela est bien normal. Il faut à la fois pouvoir échanger de manière politique sur le sujet du bidonville au logement à Mayotte, et pouvoir avancer concrètement, ce que nous avons fait pendant deux jours avec les parties prenantes du projet. Au regard de cette expérience, il nous paraît indispensable de pouvoir réunir régulièrement l’ensemble des acteurs de l’hébergement et du logement, ça qui nous permettra d’avancer à la fois sur la feuille de route sur laquelle on va devoir s’engager, mais aussi projet par projet, réussir à débloquer les situations », indique Psylvia Dewas, en charge de la résorption de l’habitat illégal et insalubre auprès du préfet de Mayotte.

Celle-ci a reconnu que créer un modèle reproductif sur tout Mayotte pour arriver à faire 10.000 logements pas cher et vite, n’est pas une mince affaire, c’est même très compliqué ! Elle a estimé en revanche que le fait d’avancer projet par projet permettra de structurer en arrièreplan des filières de construction, un modèle économique, des partenariats, un maître d’œuvre, un accompagnateur social, des architectes, des constructeurs, est un élément prometteur auquel il faut y croire vraiment. Le grand intérêt manifesté par le public pour cet événement a démontré selon elle que tout le monde reste mobilisé sur les projets et qu’il est absolument nécessaire d’avancer tous ensemble, car autrement, « aucun acteur ne pourra rien faire tout seul ».

Des mesures dérogatoires pour aller plus vite

Pour Sabine Montout, chargée d’habitat privé et lutte contre l’habitat indigne à la Direction générale du ministère des Outre-mer, l’État en général et le gouvernement essaient d’accompagner Mayotte et tous les autres DOM dans la mise en œuvre d’une nouvelle feuille de route sur le logement en outre-mer à partir de l’année prochaine. « Nous avons pris note effectivement de tous les enjeux que nous connaissons très bien, pour trouver des réponses à apporter aux difficultés que rencontrent l’île de Mayotte. » Au-delà de cette problématique du logement, elle a fait état d’un certain nombre de mesures que le gouvernement prévoit de déployer prochainement en faveur de Mayotte et dans différents domaines. « La mesurephare est celle qui a été prise dans le cadre du Comité interministériel des Outre-mer (Ciom) et présentée par Élisabeth Borne, la Première ministre, le 10 juillet, la relance du projet de loi Mayotte en cours de rédaction au sein des services du gouvernement. Il comprend un certain nombre de mesures d’adaptations relatives à la construction et au logement, propose des dérogations pour aller plus vite et mieux au bénéfice des Mahorais»

Autre intervenante institutionnelle, Hélène Peskine, secrétaire du plan urbanisme, construction,architecture au ministère de la transition écologique, également chargée du logement, qui dirige une équipe chargée de l’innovation et d’expérimentation atour de l’urbanisation et de l’architecture, laquelle est venue lancée le programme Totem ici à Mayotte. Ce programme vise à innover dans l’ensemble des Outre-mer, la Guyane et Mayotte en particulier, deux terrains sur lesquels la question du logement d’urgence se pose avec force. Il s’agit selon elle de deux territoires particuliers au sein des DOM qui nécessitent une approche différente. « Ce sont deux territoires en plein développement, très forte dynamique démographique internes, indépendamment des migrations. C’était l’objet de ces deux programmes spécifiques d’expérimentation spécifiques dédiés à ces deux départements en vue de régler leurs problèmes particuliers. » Pour elle, la loi Mayotte sera une forme de réponse, en ce sens qu’on ne peut pas forcément poser le cadre administratif réglementaire national français à des territoires qui ne sont pas du tout dans les mêmes dynamiques de développement. Dans son intervention au cours de ces tables rondes, Hélène Peskine a évoqué l’artificialisation des sols qu’il faut absolument préserver les sols vivants, des sols qui absorbent l’eau compte tenu de la crise très forte à laquelle fait face Mayotte en ce moment. 

2.000 constructions insalubres par an 

Léon Attila Cheyssial, sociologue et architecte installé à Mayotte depuis plusieurs décennies, est un fin connaisseur de l’habitat et de son évaluation sur ce territoire. Son intervention au cours de ces tables rondes a été pertinente et très remarquée. « Je pense que nous sommes face à de grandes difficultés pour Mayotte, déjà sur le plan de la croissance démographie naturelle, ensuite les difficultés de gérer des outils calmes, autrement dit les opérations de logements qui prennent un temps fou. L’absence d’outils rapides fait qu’on passe à côté d’un problème important, c’estàdire que les plus grands acteurs de la production de l’espace sont les habitants eux-mêmes avec 2.000 constructions insalubres par an, quels qui soient, qu’ils fassent bien ou mal. Certes, ils font tantôt des bidonvilles, tantôt des maisons, mais ils les font, et heureusement qu’ils les font. Le problème fondamental, c’est que dans tous les projets, on ne pense pas à eux. On ne pense pas qu’ils peuvent être des acteurs et qu’on peut les rendre en acteurs positifs. Voyez-vous, si les gens construisent mal, si vous leur apprenez à construire bien comme autrefois, le truc qui est mal placé sera mieux placé et ce sera déjà pas mal », fait-il valoir.

L’architecte a abordé l’épineuse et néanmoins intéressante question du devenir des bidonvilles à Mayotte, en s’insurgeant contre le principe cher à certains de tout raser pour faire table rase au profit d’un nouveau type de logement. Pour lui, « tout raser pour tout reconstruire va prendre un temps fou, en sachant en plus qu’on n’en a pas les moyens ». Son opinion personnelle est que la bonne solution serait de travailler sur le bidonville lui-même pour supprimer ce qui est dangereux, remédier à ce qui est mal fait et pour le reste travailler depuis l’intérieur pour que ça aille de mieux en mieux. « Pour arriver à cela, il faudra des régies de quartier, la création d’écoles qui coûtent moins cher, et plus économiques que ce qu’il y a aujourd’hui. Mayotte est toujours capable de le faire, mais c’est une autre façon de penser », concède-t-il.

Autre intervention remarquée, celle de l’architecte Cyrille Hanappe, docteur en architecture. Pour lui, Mayotte a avancé en organisant ces premières tables rondes car c’est la première fois qu’on a convié un si grand nombre d’acteurs impliqués sur ces sujets. « Les débats ont permis d’avancer sur ces questions et notamment sur le sujet des aménagements. On parle toujours de la question de construire des logements pour améliorer la situation, mais tant qu’on n’a pas de foncier, on ne peut pas construire. Attila Cheyssial l’a bien fait remarquer dans son intervention, ceux qui construisent un maximum de logements ce sont, de très loin, les gens qui sont dans les bidonvilles. Face à cela, il faut observer que les acteurs du privé et la SIM réunis arrivent à peine à en produire 500. » Il parle des bidonvilles mahorais comme « les pires du monde, même en Haïti elles ne sont pas dans un tel état »

Il déplore qu’à Mayotte, on a la mémoire trop courte et qu’on ne sache plus s’inspirer des exemples positifs dans le domaine de l’aménagement, en référence au quartier Lazarévouni à Kaweni.

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