Un retour à la (brique de) terre (3/3) : Des jeunes prêts à assurer la relève de la filière sur l’île

Danjée Goulamhoussein, originaire de Pamandzi, a créé sa petite unité de production de briques de terre compressée (BTC) en juin 2022, la « SARL DIPAK Production de briques ». De la brique, il en a vu faire chez lui dans son enfance, son père étant un artisan l’utilisant dans les années 80.

C’est à son retour dans son île natale, récemment, que Danjée Goulamhoussein découvre véritablement l’univers de la brique de terre compressée en participant à la création d’une coopérative de BTC mahoraise dont il est cogérant. Cela lui procure la motivation nécessaire d’intégrer ce secteur d’activité pour aider son père à structurer sa petite entreprise de construction. Vieux renard qui en a vu beaucoup passer sous ses yeux, ce dernier lui conseille de plutôt créer sa propre activité en lui assurant de son assistance en cas de nécessité. Prudent, ayant vécu la dislocation de la filière brique de terre il y a vingt ans environ, son père n’était pas convaincu par les innovations mises en avant (notions de décarbonisation) pour annoncer une renaissance de la production de BTC nouvelle génération dans le département.

Suivant les recommandations paternelles, Dandjée s’attèle à créer son entreprise, d’abord en qualité d’auto-entrepreneur en 2021, puis en SARL l’année dernière afin de pouvoir embaucher des salariés. Diplômé en comptabilité, informatique et assistance de gestion, il a également à son arc, un CAP de maçonnerie. Il se rapproche des opérateurs locaux qui utilisent ce matériau, la Société immobilière de Mayotte (SIM) et le rectorat de Mayotte en particulier. Pour ce jeune entrepreneur, la production de la brique en terre compressée répond à plusieurs problématiques qui se posent à Mayotte, telles que le développement économique ou la valorisation des déchets. En effet, il insiste sur le fait que la terre est un déchet qui impacte l’environnement terrestre et le lagon où il se superpose dans les fonds marins. En la récupérant sur les chantiers publics ou privés, les producteurs de BTC rendent également service à la nature et contribuent à sa préservation. Pour lui, cette brique un matériau appréciable à d’autres titres car elle entre dans une économie circulaire, chose rare à Mayotte pour être soulignée. A l’inverse du plastique, du verre ou de la ferraille, elle est réutilisable sur place à l’infini.

Peu consommateur d’eau potable

Un mur de briques en fin de vie peut être broyé et réintroduit dans la chaîne de fabrication sans qu’il ne soit nécessaire de l’exporter hors de l’île pour le retraiter. Il permet également de préserver une ressource insuffisante et très précieuse sur le territoire, l’eau potable, extrêmement utilisée dans la production du béton ou du parpaing. Dandjée Goulamhoussein explique que les eaux usées, comme les eaux de pluie peuvent parfaitement être utilisées pour fabriquer des BTC sans altérer la qualité finale du produit. L’avenir de la filière, il y croit sérieusement malgré l’approche très réservée de son père qui ne voit pas trop ce qu’il est en train de faire avec des volumes importants de terre amassés sur un foncier familial. « Il a fallu que je l’amène visiter un chantier de gymnase, où je suis sous-traitant, dans l’enceinte du collège Bouéni M’titi à Labattoir pour qu’il réalise véritablement la renaissance de la filière. Je pense qu’il a compris que les temps ont changé et qu’un nouveau processus est enclenché », confie-t-il. En effet, entre les années 80 et actuellement en 2023, le contexte a complètement changé. Le coût de la vie n’est plus le même, le nombre d’habitants et de logements à construire pour les abriter est extrêmement important, par conséquent, la taille des projets et le style de bâtiments n’est plus comparable. On construit en hauteur à plusieurs niveaux. Un projet SIM de vingt logements nécessite 50.000 pièces de BTC à produire, alors qu’ils sont juste quatre artisans à s’être lancer dans ce nouveau marché. Ces artisans ont besoin d’investissements pour acquérir des presses automatisées. Dandjée Goulamhoussein lui a démarré son activité en récupérant l’ancienne machine de son père qui avait été laissé à l’abandon. Bien que complètement rouillée, il a réussi à lui redonner un nouveau souffle. Depuis, il en a acheté une neuve en Belgique où le fournisseur suit de très près la renaissance de la filière à Mayotte et s’apprête même à venir y faire un tour dans les prochaines semaines. Il faut dire que la brique de terre compressée est véritablement redevenue un produit à la mode. Les projets ne manquent pas et les flux demandés sont beaucoup trop importants pour la filière actuelle. Pour exemple, le lycée professionnel des métiers du bâtiment à Longoni devait consommer un million de BTC. Faute pour les producteurs de pouvoir suivre la commande, le nombre a finalement été revu à la baisse pour arriver à 360.000 unités. « Outre les différents projets portés par le rectorat de Mayotte, il y a également l’extension de la préfecture de Mamoudzou et un grand nombre de logements qui nécessitent une production de type industriel. Action Logement vient de lancer un appel d’offre pour le projet Alma pour lequel ont été retenus l’association Art Terre et l’entreprise Colas », précise le jeune entrepreneur.

Il faudra lutter contre certains stéréotypes pour repositionner la BTC à Mayotte

La filière BTC est déjà confrontée à un problème important, la volatilité des prix du mètre carré qui a déjà plongé certains chantiers à l’arrêt. En effet, comme dans les années 80, le produit a ses détracteurs qui n’hésitent pas à proposer des prix exorbitants dans le seul but de le rendre inabordable au profit du parpaing et du béton. Un procédé paradoxal quand on sait que les départements des Antilles et de Guyane ont commencé à exporter la BTC en métropole, et avec l’aide d’un partenariat avec le groupe Leroy Merlin. Autre problème que la filière brique devra affronter à moyen et long terme, les stéréotypes des « bons standards » importés d’ailleurs. Tout le monde désire vivre dans des tours de béton, symbole de modernité, alors que l’inflation frappe le produit. « Il suffit d’aller faire un tour dans les quincailleries pour se faire une idée de la cherté de certains produits, et par extension, de la vie tout court à Mayotte. En sachant que le processus n’est pas près de s’arrêter et encore moins de s’inverser », fait remarquer Dandjée Goulamhoussein. Il estime qu’il faudra trouver des personnalités locales qui puissent porter le matériau BTC et le valoriser auprès de la population comme ce fut le cas dans les années 80. Il s’agit d’assoir une stratégie de production et consommation locale qui répondra à tous les critères ci-dessus énoncés.

Une certification supportée par le contribuable mahorais

Pour redonner à la brique de terre compressée mahoraise ses lettres de noblesse, il a fallu réaliser un travail acharné sur plusieurs années de normalisation. Sans cela il aurait été impossible de convaincre les assurances d’agréer pour la garantie décennale désormais en vigueur dans notre département. Près de 800 briques ont dû être acheminées en métropole par conteneur dans différents laboratoires spécialisés. Elles y ont subi une batterie de tests pour prouver leur résistance à l’eau, le feu, l’abrasion et les tremblements de terre et la dégénérescence. Ce sont des procédures extrêmement coûteuses, supportées par les contribuables mahorais, au travers de fonds publics. Il s’agit d’une certification nationale qui indique les contraintes et les usages de la BTC, exactement comme pour le béton, le parpaing et le fer. Les professionnels du secteur regrettent tous que les autorités locales n’aient pas investi pour que ces tests aient été réalisé sur place et permettre à Mayotte d’en tirer profit au moyen de brevets par exemple. Aujourd’hui, ce sont de grands acteurs parisiens qui utilisent ce process à leur profit sans rien reverser à notre île. Autre incohérence qu’ils soulèvent, l’attribution par le conseil départemental d’une subvention de 300.000 euros à une université de Tarbes pour une étude sur la brique de fibre sans que des stagiaires mahorais n’y soient intégrés. Ils estiment que cette somme aurait parfaitement pu être mis à disposition du centre universitaire de Mayotte avec des retombées locales à la clé. La filière de la brique de terre compressée a besoin de soutien financier public conséquent pour permettre l’installation d’un maximum de jeunes entrepreneurs.

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