Un réseau ferré à Mayotte : lubie politique ou ambition réelle ?

Ce jeudi matin, trois agents missionnés par la direction des services techniques du Département ont présenté un rapport relatif à la mise en place d’un réseau ferré comme principal moyen de transport d’aujourd’hui et de demain pour les personnes et les marchandises. Si tous les élus sont unanimes sur la problématique de circulation sur l’île, plusieurs inconnues demeurent, comme le coût, la faisabilité, ou encore la complémentarité avec les autres projets d’aménagement en cours. Décryptage.

Et si ? Et si dans un avenir plus ou moins proche, un réseau ferroviaire voyait le jour à Mayotte ? Cette possibilité fait en tout cas son petit bonhomme de chemin après la présentation ce jeudi 25 février par trois agents missionnés par la direction des services techniques du Département du projet « Treni bilé », plus largement appelé le train bleu de l’île aux parfums. Cette réflexion intervient alors que plusieurs indicateurs laissent à penser que les embouteillages risquent de se démultiplier dans les années à venir. En raison notamment de l’évolution démographique : l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee) prévoit dans ses projections jusqu’à 700.000 habitants d’ici 30 ans. Soit plus du double de la population officielle recensée aujourd’hui. Sachant que « les entrées sur Mamoudzou dépassent (déjà) 15.000 voitures par jour », introduit Hamada Ali Hadhuri, l’un des trois rapporteurs.

 

Économie de foncier

 

Saturé dans la ville chef-lieu, le réseau de transport actuel est en passe d’asphyxier le reste du territoire. Raison pour laquelle la collectivité planche sur un moyen de déplacement secondaire. En ligne de mire donc : un système de traction ferroviaire, qui concentre de nombreux avantages, comme l’explique Razak Inoussa, ancien ingénieur chez Alstom. Une durée de vie d’environ 40 ans, un temps de trajet réduit (compter une vingtaine de minutes pour rejoindre la capitale économique depuis Kani-Kéli), une production d’électricité générée grâce à l’inertie (récupération et stockage), une absence de pollution et un gain d’espace pour installer les deux rails métalliques. Un dernier point convaincant aux yeux de Raïssa Andhum, la 3ème vice-présidente de la collectivité en charge de l’aménagement et du développement durable. « Ce projet a le mérite d’être innovant et de pouvoir mettre en exergue la possibilité d’économiser du foncier. » Une denrée rare sur Mayotte.

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En bon géographe de formation, Saïd Saïd Hachim argumente les propos de ses collègues avec une succession de cartes sur lesquelles on peut découvrir deux boucles, au Nord et au Sud, et plusieurs phases pour « équilibrer l’est et l’ouest » et « connecter Grande-Terre et Petite-Terre ». « Ce n’est pas sorti de notre imagination, mais du schéma d’aménagement régional [qui permet d’envisager l’île à l’horizon 2050] », précise-t-il, avant d’évoquer la desserte de tous les établissements du second degré qui réglerait ainsi « le problème du transport scolaire ».

 

Près d’un milliard d’investissement

 

« Vous me faites rêver ! Si cela se réalise, chapeau ! Tant mieux pour les Mahorais », s’enflamme Issa Soulaïmana Mhidi. Alors oui, sur le papier, ce projet a de quoi faire saliver. Mais à combien se chiffre-t-il ? 978.510.100 millions d’euros pour être exact ! « On ne peut pas supporter seul ces coûts. Cela suppose de trouver des partenaires », ajoute l’élu dans le canton de Dzaoudzi. Un investissement faramineux qui n’est pas sans rappeler celui de la route du littoral à La Réunion. Et qui pose surtout la question des autres aménagements en cours de réflexion ou de réalisation. À l’instar du Caribus et du contournement de Mamoudzou – deux chantiers évalués à un milliard d’euros – ou encore des quais maritimes et du téléphérique. « Le Département ne doit pas être une boîte à rêves », s’interroge Daniel Zaïdani, conseiller départemental d’opposition. « On doit définir un vrai projet et ne pas assister à une surenchère à chaque session. Sinon, on perd toute crédibilité. Si c’est une réelle intention, annulons les autres projets et allons-y à fond car semaine après semaine, on vient nous présenter des choses pour amuser la galerie ! » Des propos partagés par Nomani Ousséni qui en a ras-le-bol des annonces sur les études de faisabilité et qui encourage « à aller encore plus loin ». « J’invite vivement à ce qu’on prenne ce projet à bras le corps. »

 

Une opération intéressante économiquement

 

Face à tous ces doutes, le directeur des services techniques du Département, Mustoihi Mari, assure que tous ces projets rappelés ci-dessus s’inscrivent dans le plan global de transport et de déplacement (PGTD) mis en œuvre en 2016, qui comporte « une feuille de route ». Exemple avec les pôles d’échanges multimodaux de Chirongui et Coconi, respectivement terminés avant le mois d’août et la fin d’année, et ceux de Dzoumogné, de Mamoudzou et de Petite-Terre qui sont en phase de démarrage ou de programmation.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre sujet du jour et à son impact financier. Pour vendre le réseau « Tréni bilé », Hamada Ali Hadhuri compare les coûts engagés pour ce dernier avec ceux des transports publics (scolaires et maritimes confondus). En 2021, ils s’élèvent à 57 millions d’euros. Un montant qui doit approcher les 148 millions d’euros en 2039. Une évolution exponentielle sur trois mandats, soit 18 ans, alors que le train bleu prévoit « une rentabilité positive » et ne requiert pas « d’investissement supplémentaire dynamique ». En d’autres termes, ce projet est « économiquement intéressant » si l’on se soucie « des comptes de la collectivité ».

 

« Parmi nous, personne ne le verra »

 

En résumé : si tous les élus approuvent ce potentiel moyen de transport, la population n’est pas prête de l’utiliser avant une vingtaine d’année entre la phase d’études et le développement du réseau d’une longueur estimée de 132 kilomètres. « Parmi nous, personne ne le verra… Peut-être nos enfants », lâche dans son style bien caractérisé Issoufi Ahamada. Une déclaration qui a de quoi faire sourire, mais qui ramène toute l’assemblée les pieds sur Terre, puisque les Mahorais sont habitués aux retards de livraison lorsqu’il s’agit de projets d’envergure structurants.

Pas de quoi faire vaciller Soibahadine Ibrahim Ramadani, le président du Département, qui croit dur comme fer en cette alternative. « Je suis de ceux qui pensent que c’est un bon schéma en matière de transport et de déplacement, qu’il faut régulièrement améliorer et actualiser. » Ne reste plus qu’à lancer les études d’opportunité et de faisabilité technique en vue de permettre une prise de décision et d’adopter un plan de financement. Et ainsi refiler la patate chaude à la future majorité qui s’installera en juin prochain.

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