Ning Liu est enseignante-chercheuse à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier La Réunion. Architecte-urbaniste, elle est cofondatrice de l’agence Building for Climate, qui œuvre à la protection du patrimoine face aux aléas climatiques. Sept de ses étudiants-stagiaires ont présenté leurs idées pour reconstruire Mayotte devant le conseil départemental le 10 février dernier. Pour Flash Infos, elle a accepté de revenir sur ses observations.
Flash Infos : Quelle méthode faut-il adopter pour la reconstruction de Mayotte ?
Ning Liu : Construire le Mayotte de demain, c’est d’abord avec les humains. Bâtir pour le climat, ce n’est pas bâtir pour des données météorologiques. C’est travailler avec les habitants et prendre en compte les spécificités locales et culturelles. Nous avons, avec nos étudiants, mené une démarche de co-construction. Je pense que prendre en considération le mode de vie des Mahorais est plus important que le choix des matériaux, qu’ils soient locaux ou durables.
F.I. : À Mayotte, suite au passage du cyclone, certaines constructions anciennes ont su résister contrairement à des constructions plus récentes, comment l’expliquez-vous ?
C’est une question complexe. Il faut d’abord faire un diagnostic des constructions publiques et des maisons privées. Il y en a eu sur l’état des écoles. J’en ai pas encore vu sur les constructions qui ont tenu et sur les raisons. Avec nos étudiants-stagiaires et les élus, j’ai pu aussi observer que les constructions des années 80 et 90 ont tenu, alors que d’autres plus neuves ont moins bien résisté. C’est une question d’ingénierie, certes, mais surtout de respect des modes de vie. Les constructions plus anciennes ont été conçues avec des observations plus fines. Les cyclones ne datent pas d’aujourd’hui, les humains ont toujours su s’habituer. Peut-être avons-nous sous-estimé la dangerosité de ce phénomène climatique.
F.I. : Vos étudiants ont pu visiter l’ancienne mosquée d’Antanabe à Poroani, est-ce qu’avoir recours à une construction naturelle comme la brique en terre comprimée pourrait permettre de sauver ce patrimoine ?
N.L. : Nous avons vécu un certain abandon du patrimoine culturel, aggravé par la destruction engendrée par Chido. C’est la mémoire de tout un peuple qui tend à disparaître. Car si on ne connaît pas bien le passé, on ne peut pas se projeter vers le futur. Il ne faut pas non plus faire de dogmatisme avec les matériaux locaux. Ce n’est pas parce que les matériaux sont durables qu’ils sont nécessairement adaptés à des bâtiments. Dans l’autre sens, est-ce que c’est avec la brique de terre comprimée que nous avons restauré la cathédrale de Notre-Dame de Paris ? Non, ils ont utilisé des méthodes de restauration à l’identique. À Mayotte, depuis le 15 ème siècle, les peuples anciens ont utilisé tout ce qu’il y avait de disponible sur l’île, sables, pierres volcaniques, etc. Des matériaux durables très peu émetteurs de carbone.
F.I. : Lors des ateliers de maîtrise d’œuvre en 2023, vous estimez qu’un système de récupération d’eau de pluie et des citernes au niveau des habitations pourraient être une solution à utiliser lors de la crise de l’eau. Comment cette initiative pourrait-elle être encouragée ?
N.L. : La question de l’eau et la violence des inondations sont deux aspects d’une même facette. Il y a une sécheresse à Mayotte et en même temps une abondance d’eau de pluie, comme l’a montré la tempête tropicale Dikeledi. Le paradoxe c’est que lorsqu’il pleut beaucoup, nous avons des coupures sur le réseau. La récupération de l’eau par la toiture est une mesure importante. Il faut des cuves qui permettent de les récupérer individuellement, et dans les bâtiments scolaires. J’ai rencontré les maires de Mamoudzou et de Dembéni, je souhaite leur parler d’un projet pilote là-dessus. Lutter contre la crise de l’eau commence par l’économie de cette dernière. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de sécheresse aujourd’hui qu’elle ne recommencera pas demain. Il faut s’inscrire dans une démarche durable.
F.I. : Qu’est-ce que vous craignez dans cette reconstruction ?
N.L. : Ce n’est pas le mot « crainte ». Face à tellement de défis, il faut simplement de l’engagement. Je cite le président de l’université de Mayotte : « Après Chido, il ne faut pas avoir peur de mettre un coup d’arrêt ». C’est-à-dire prendre ce temps de quelques mois pour mener une réflexion.
F.I. : Comment mêler ce désir de modernité avec la sauvegarde du patrimoine ?
N.L. : La modernité va de pair avec le patrimoine. Par exemple : les bidonvilles ne sont pas le patrimoine de Mayotte. Ce qu’on appelle les bangas ne sont plus les bangas traditionnels. Ce sont des habitats précaires, en tôle, insalubres. Notre combat avec la jeunesse, c’est la disparition de ces bidonvilles et de fournir des logements décents aux habitants qui vivent sous tôle aujourd’hui.
Journaliste, aussi passionné par les paysages de Mayotte que par sa culture. J’ai toujours une musique de rap en tête.