Une yourte mongole (made in France) de blocs de béton en provenance de Chine, du tout métallique venant de La Réunion, le secteur mahorais de la brique de terre compressée (BTC) s’inquiète et craint d’être le laisser pour compte de le reconstruction programmée pour Mayotte post cyclone Chido.
Ils travaillent en individuel, en groupe ou en sous-groupes, mais ils partagent tous une constance : à quelle sauce seront-ils mangés dans la reconstruction de Mayotte après le passage du cyclone Chido ? Qu’ils soient artisans ou formateurs dans le secteur de la brique de terre compressée (BTC), ils ont tous le moral en berne au lendemain du vote (à l’unanimité des sénateurs) de la loi d’urgence sur la reconstruction de Mayotte après le passage du cyclone Chido. Et pour cause, cette loi ne fait nullement mention explicitement des professionnels du territoire ou des activités spécifiques qui font l’identité internationalement reconnue de l’archipel de Mayotte : la brique en terre compressée (ou en terre comprimée pour certains). Malgré les efforts innombrables dont elle a bénéficié au cours de ces dernières années pour être normée et labellisée, malgré les prix qu’elle a obtenu, les représentations auprès des plus hautes institutions de l’État (exposition à l’Elysée en 2024), cette BTC mahoraise n’occupe pas la place que ces partisans espéreraient dans la loi d’urgence pour Mayotte. « C’est vraiment triste, mais le constat est là, encore une fois, nous allons être le dindon d’une sinistre farce. Nous nous faisons guère d’illusions car les dés sont déjà pipés selon nous, les pouvoirs publics vont importer à tout va des « Algeco » pour répondre à l’urgence. Et comme d’habitude à Mayotte, nous savons que cette urgence dure et en l’espèce, elle durera jusqu’au prochain Chido, Dieu nous en préserve« , déclare D.F.G.,producteur de BTC de son état. La pilule est amère à avaler dans un secteur d’activité qui a fortement cru, en un moment donné (il n’y a si longtemps), à un nouvel âge d’or de son existence consécutif aux aléas du changement climatique global en cours. « C’est justement maintenant que les pouvoirs publics, la préfecture de Mayotte, le fameux le nouvel établissement public en charge de la reconstruction de l’île, devraient s’intéresser de plus près à nos activités de fabrication de briques en terre compressée« , crie Ahmed Mahamoud S., un artisan membre de la Chambre des Métiers (CMA), avant d’observer, « mais pour l’heure rien n’indique qu’on en soit là, l’urgence va être, encore une fois, la porte ouverte à n’importe quoi et aux concepts les plus inadaptés à Mayotte », dénonce t-il. Un constat d’autant plus amer qu’il ne correspond nullement aux attentes d’une population mahoraise totalement démunie et qui aspire à des constructions en dur, moins coûteuses et plus adaptées aux réalités locales. Pour prendre le poult du territoire et disposer d’un indicateur fiable, nous avons choisi de visiter le quartier de M’gombani à Mamoudzou (où la BTC a été utilisée en très grande quantité), Tsoundzou 2 et Tsimkoura dans le sud de l’île. « Bamana et ses compagnons ont eu raison de promouvoir ce matériau. Il a été à l’épreuve de tous les aléas climatiques de ces dernières décennies, cyclones, tremblement de terre et même Chido », nous souligne Mariame Madi à Tsimkoura, fière de nous montrer que sa petite case SIM de deux pièces (pourtant construite avec de la BTC de première génération) a tenu le coup face aux forces sans communes mesures du cyclone Chido. » Ça c’est du sûr et du très solide », poursuit la nonagénaire de la commune de Chirongui.
La promotion du béton amène des tensions
La crainte montante dans le secteur du bâtiment en général, et de la production de BTC en particulier, c’est l’absence totale de consultation et de concertation de la part des pouvoirs publics quant au 50 % annoncés par Paris du budget de cette reconstruction de Mayotte post Chido sensés être réservé à l’entrepreneuriat mahorais. « Encore une fumée d’encensoir qui va se diluer dans l’air ambiant sans qu’il ne soit nécessaire de se rendre dans les édifices religieuses de la place Saint-Pierre à Rome pour le constater », lance sur un ton venimeux Frédéric M., ingénieur en bâtiment, physiquement installé à Mayotte depuis une quinzaine d’années. Les parlementaires, et leurs relais directs à Mayotte, ne sont nullement de cet avis. Un avis un peu trop cru à leur goût. Autant estiment-il que cette reconstruction post Chido se fera selon le bon vouloir du gouvernement, autant ne déspèrent-ils pas qu’une « mahorian touch« soit indispensable dans une grande partie du dispositif de reconstruction globalement arrêté à Paris.
Ancien député socialiste de Mayotte, Boinali Said Toumbou (surnommé par ses électeurs député Mabawa), a eu l’opportunité de s’exprimer sur cette question samedi dernier chez nos confrères de Mayotte la 1ère, il en appelle simplement « à la vigilance traditionnelle » des Mahorais, tout en affirmant que les règles de droit seront (ou doivent absolument être ) respectées. Mais de cette construction future de Mayotte qu’un demi-million de personnes appellent de leur vœu, nul ne sait concrètement de quoi il en sera fait et quand le coup d’envoi sera réel. Pour revenir à cette inquiétude révélatrice d’un malaise général dans les milieux économiques locaux, il faut revenir à une certaine publicité invasive sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines. Une société bretonne diffuse à grand renfort et sous formes diverses, une réclame faisant valoir les mérites d’une « yourte » pour Mayotte. Autrement dit, un tente mongole (conçue sur des normes modernes) pour servir à des bâtiments sert à tout. Des sociétés réunionnaises (ayant des associés mahorais, concept très à la mode par les temps qui courent) font, elles, la promotion du tout métal, à grand renfort de techniciens chinois pour la circonstance, pour faire table rase d’un usage outrancier du bois et de la tôle qui ont démontré leurs limites durant le cyclone Chido. Le ton se fait plus précis, les producteurs locaux de BTC estiment que le cyclone Chido est une aubaine pour leur filière de retrouver pignon sur rue pour des multiples raisons, que l’urgence de reconstruire Mayotte ne saurait gommer. Force est de constater que l’imprécision demeure de la part des autorités étatiques et de l’établissement public sensé s’atteler à la construction de Mayotte (d’ici peu), et à partir de ce postulat, les supputations les plus farfelues ont pris droit de cité dans l’opinion publique locale. Entre le vote récent de la loi par le Parlement, les préparatifs administratifs et règlementaires préalables, nous sommes encore loin du coup d’envoi officiel du feu vert pour la reconstruction tant attendue de Mayotte. Sauf que, entre temps, une autre publicité intempestive a fleuri sur les réseaux sociaux depuis peu, elle émane d’une enseigne commerciale implantée en Petite -Terre qui fait la promotion de produits chinois en béton armé, et explique aux Mahorais que c’est avec des éléments en béton reconstitués qu’ils peuvent reconstruire toute Mayotte en deux ans. Une publicité qui exaspère au plus haut point les architectes et les formateurs en bâtiment qui connaissent Mayotte depuis 43 ans.
Journaliste politique & économique