Ce mardi matin, l’entourage du ministre délégué aux Transports, Patrice Vergriete, et de la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, ont détaillé les conclusions des études de faisabilité des deux projets de piste longue : l’option Bouyouni-M’tsangamouji l’emporte sur celle initialement prévue à Pamandzi. Les risques naturels mis en avant ne convainquent pas les élus de Petite-Terre, qui n’ont plus beaucoup d’espoir de voir une piste longue un jour sur le territoire.
“On pressent qu’il n’est pas raisonnable de réaliser la piste convergente à Pamandzi”. Ce mardi matin, c’est en choisissant bien ses mots que Pierre Bastard annonce à la presse que la piste longue à Pamandzi ne verra pas le jour, après cinq ans d’études de faisabilité ayant mobilisé une centaine de personnes. Le conseiller transport aérien, ports et transport maritime, transport fluvial au cabinet de Patrice Vergriete, ministre délégué chargé des Transports, a présenté les résultats de ces études concernant les deux projets candidats à la piste longue : l’allongement de la piste actuelle de l’aéroport de Pamandzi (avec une piste convergente) et la construction d’un nouvel aéroport à Bouyouni – M’tsangamouji.
La première option a été jugée trop à risque par la Direction générale à l’aviation civile (DGAC), qui a mandaté des bureaux d’ingénierie pour réaliser différentes études depuis 2019, achevées à la fin de l’année 2023. La montée des eaux de 2,2 mètres prévue sur 100 ans en raison du dérèglement climatique rend caduque la possibilité d’exploiter durablement la piste actuellement à 3 mètres au-dessus du niveau de la mer, et à qui il arrive déjà d’être couverte d’eau pendant les grandes marées. L’aéroport Marcel Henry est pour ainsi dire condamné à une “inexploitabilité graduelle à partir de 2035”, avec des inondations de plus en plus fréquentes.
À cela s’ajoute le risque sismo volcanique identifié en 2018 avec l’apparition du volcan Fani Maore, à l’origine de nombreux tremblements de terre cette année-là. La piste convergente de 2.600 mètres envisagée aurait dû être construite sur le platier. “S’il est constitué de matériaux qui paraissent solides, il s’agit de sable qui peut se déliter avec les séismes”, nous précise Christophe Masson, délégué de la direction du transport aérien de la DGAC.
Le “statu quo” n’est “pas envisageable”
Le ministère des Transports précise qu’en prenant en compte ces risques identifiés, le projet de piste longue en Petite-Terre nécessiterait neuf ans de travaux pour surélever le tout à 8 mètres au dessus du niveau de la mer avec des blocs de béton de 40 tonnes, sans garantie d’être “capable techniquement de protéger l’infrastructure” en cas d’événement sismo volcanique. “Ce serait une infrastructure à risque”, tranche Pierre Bastard. Le tout pour 1,1 milliard d’euros, contre les 200 millions prévus au départ.
Néanmoins, une piste longue doit bien voir le jour à Mayotte. Le membre du cabinet du ministre des Transports l’affirme : son existence est nécessaire pour désenclaver l’île et améliorer la continuité territoriale, actuellement une des moins bonnes expérimentées par un département d’Outre-mer. Le “statu quo” n’est donc “pas envisageable” pour le gouvernement. Il faudrait de toute façon cinq ans de travaux pour réhausser la piste actuelle de 5 mètres, chantier durant lequel il faudrait la fermer pendant 18 mois.
Si le cabinet du ministre délégué aux Transports ne souhaite pas utiliser le terme de “décision”, mais plutôt de “prise d’acte” des conclusions des études, l’alternative d’un nouvel aéroport en Grande-Terre, à Bouyouni – M’tsangamouji, est de loin privilégiée. “Les études confirment la faisabilité technique du projet”, expose sobrement Pierre Bastard, à propos de cette option apparue en 2022. De son côté, Christophe Masson confirme qu’il n’y a pas de risque naturel notoire concernant celle-ci. Il écarte le risque de submersion, le projet étant prévu à 100 mètres d’altitude ; les risques de glissement de terrain ont été vérifiés ; l’infrastructure ne serait pas touchée en cas de rupture de la digue de la retenue collinaire de Dzoumogné et enfin, en cas de risque cyclonique, l’aéroport serait de toute façon fermé le temps de l’aléa.
Les élus de Petite-Terre réagissent
Ces résultats, présentés aux élus mahorais lors d’une réunion autour du ministre délégué aux Transports et de la ministre chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux, ce mardi matin, sont un coup dur pour les élus de Petite-Terre. Accrochés à la promesse du président de la République Emmanuel Macron en 2019 de rallonger la piste de l’aéroport actuel, la déception est forte. “Lorsqu’on promet, on crée de l’espoir. Quand on réalise, on crée de la confiance. Les Mahorais ne feront plus confiance”, réagit Mikidache Houmadi, maire de Dzaoudzi-Labattoir, qui n’hésite pas à parler de “mensonge” de la part du chef de l’Etat.
Maymounati Moussa Ahamadi, conseillère départementale du canton de Dzaoudzi-Labattoir, se dit, elle, “abasourdie par cette nouvelle”. Sur ses réseaux sociaux, le sénateur Saïd Omar Oili, qui a assisté à la réunion avec les ministres, ne comprend pas non plus ces conclusions et dit attendre la finalisation des études concernant le coût ou encore le calendrier pour se prononcer. “Je me battrai pour que la piste convergente se fasse en Petite-Terre”, assure celui qui était, il y a encore moins d’un an, maire de Dzaoudzi-Labattoir et président de la Communauté de Communes de Petite-Terre.
Son successeur au poste de premier magistrat, Mikidache Houmadi, redoute l’impact économique de l’abandon de l’aéroport petit-terrien, pensant notamment à l’activité des chauffeurs de taxi, qui repose principalement sur les trajets des voyageurs. “On a réalisé des investissements en vue de ce projet”, regrette, pour sa part, Maymounati Moussa Ahamadi, faisant référence à l’agrandissement de l’aérogare, à la section des métiers de l’aérien au lycée de Petite-Terre, puis encore au Pôle des métiers de l’aérien.
“On nous parle d’un corridor de 2.200 volcans dans le canal du Mozambique. S’ils entrent en éruption, c’est tout le territoire qui sera concerné, pas seulement Petite-Terre”, argumente la conseillère départementale. Le délégué de la direction du transport aérien de la DGAC explique que ce ne sont pas tant les éruptions qui sont à l’origine du risque, mais la présence de la chambre magmatique à 10 kilomètres de Petite-Terre, qui provoque de nombreux séismes concentrés dans cette zone, dite du Fer à Cheval (même s’ils ne sont pas tous perceptibles). Une activité sismo volcanique dont les conséquences sont logiquement vouées à être plus importantes qu’à Bouyouni et M’tsangamouji, par exemple avec l’effritement du platier de sable à proximité de Pamandzi.
L’aboutissement d’une piste longue mise en doute
Si le sénateur Saïd Omar Oili dit avoir retenu de la réunion “que la piste longue doit se faire”, pour les deux élus petits-terriens, ce revirement de projet annonce la fin d’une quelconque espérance de voir un chantier de piste longue commencer sur le territoire. L’enjeu de la récupération du foncier nécessaire pour le projet de 300 hectares est notamment pointé du doigt. “On manque déjà de terres pour l’agriculture, pour l’industrialisation du territoire, pour construire de nouvelles infrastructures”, souligne Maymounati Moussa Ahamadi. “Les agriculteurs vont perdre beaucoup”, emboîte le pas le maire de Dzaoudzi-Labattoir, qui ajoute craindre pour les conséquences environnementales du projet à Bouyouni – M’tsangamouji, qui implique la déforestation de plusieurs terrains. De son côté, Christophe Masson explique que la problématique du foncier se serait également présentée pour le projet de Pamandzi, afin de puiser la terre et les sédiments nécessaires au chantier dont on ne verra vraisemblablement pas le bout à l’endroit initialement prévu.
Il n’y a pas que les élus de Petite-Terre qui restent dubitatifs sur l’existence d’une piste longue à Mayotte un jour. Le maire de M’tsangamouji, Saïd Maanrifa Ibrahima, “attend de voir une décision définitive” et reste “sceptique et réservé”. “Entre les annonces et la mobilisation des moyens, il y a du chemin”, s’aventure-t-il prudemment. Comme il nous l’affirmait en décembre dernier, il a toujours maintenu que la priorité était que Mayotte soit dotée d’une piste longue, peu importe le site. “Les Mahorais en ont besoin”, insiste-t-il.
Les élus et l’État vont devoir maintenant continuer d’étudier les résultats des comptes-rendus, afin d’adopter une “vision partagée”, selon la formule de Pierre Bastard, et de préciser le coût ainsi que le futur calendrier, pour voir enfin le bout de cette piste.
Journaliste à Mayotte depuis septembre 2023. Passionnée par les sujets environnementaux et sociétaux. Aime autant raconter Mayotte par écrit et que par vidéo. Quand je ne suis pas en train d’écrire ou de filmer la nature, vous me trouverez dedans.