Mohamed Hamissi lève le voile sur le projet Caribus

Alors que la pose de la première pierre du terminus sud du Caribus se déroulait enfin le jeudi 10 février dernier, nous avons contacté Mohamed Hamissi, l’ancien chef de projet de l’aménagement urbain au sein de la mairie de Mamoudzou, pour qu’il nous résume les péripéties qu’a subi le projet depuis 2010. Car, si Caribus a été beaucoup fustigé pour son retard, au point que beaucoup n’y croyaient plus, c’est que les circonstances de sa création et de sa mise en place ont loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Explications.

« Le projet Caribus est toute ma fierté et, même si je ne travaille plus désormais sur le projet, je suis ravi d’en avoir vu enfin une première concrétisation le jeudi 10 février dernier à l’occasion de la pose de la première pierre », affirme Mohamed Hamissi. Ancien chef de projet aménagement urbain au sein de la mairie de Mamoudzou, l’urbaniste travaille désormais en tant que directeur environnement pour la communauté de communes de Petite-Terre. Cela ne l’empêche toutefois pas de continuer de suivre de près le projet Caribus qu’il a porté pendant plus de dix ans. C’est en effet dès 2010 que la réflexion sur la création d’une ligne de bus dans la commune de Mamoudzou émerge dans l’esprit des élus de l’époque. « Cela faisait 25 ans qu’il n’y avait pas eu de projet d’envergure à Mayotte, à l’exception de celui du port de Longoni », précise Mohamed Hamissi qui s’est tout de suite enthousiasmé pour l’idée. « Je savais aussi que le système français impliquait beaucoup de procédures et que le risque de découragement était grand pour les techniciens mahorais », ajoute-t-il. Toutefois, malgré toutes les difficultés, l’urbaniste n’a jamais cessé de croire en ce projet qu’il juge indispensable pour contribuer à fluidifier la circulation dans les rues de de la ville chef-lieu de Mayotte.

Une prise de conscience des problèmes de circulation dès 1995

Le jeune cadre nous révèle que les premières études sur les difficultés de déplacement à l’intérieur de Mamoudzou datent de 1995. « À cette époque, l’État a commencé à prendre conscience de la croissance exponentielle des voitures individuelles sur des routes non dimensionnées », raconte-il. Ce n’est pourtant qu’en 2005 que le conseil général émet un premier « schéma de déplacement à Mayotte » qui évoquait la mise en place de deux lignes de bus : l’une interurbaine pour circuler entre les villages et l’autre urbaine pour circuler à l’intérieur de Mamoudzou. Le but étant de stopper la mentalité du « tout voiture ». C’est à cette période que le projet Caribus commence à germer, en témoigne son intégration au contrat de plan 2008-2014. Le budget de la mise en place de ces deux lignes s’élève alors à 15 millions d’euros et comporte également l’achat de deux nouveaux ampidromes. Toutefois, comme souvent malheureusement à Mayotte, la volonté politique fait défaut et le projet reste lettre morte.

Mais un courrier de Hubert Derache, ancien préfet de Mayotte, adressée en 2010 au conseil général vient changer la donne. « [Il] demandait où en était le projet de mise en place des deux lignes de bus sur le territoire », précise Mohamed Hamissi. « Cette lettre a mis un coup de pied dans la fourmilière et un cahier des charges étudiant la faisabilité du projet a enfin été rédigé et envoyé en 2011 à un bureau d’études », poursuit-il. Dans cette nouvelle version du projet, validé en mars 2012, il n’est cette fois-ci question que de deux lignes urbaines : l’une reliant Mamoudzou à Passamaïnty et l’autre aux Haut-Vallons.

Toutefois, l’appel à projets Grenelle concernant le développement des transports publics sur le territoire national constitue un nouveau coup de théâtre. « Il fallait revoir le cahier des charges pour le passer sur le plan national », explique l’ancien chef de projet aménagement. Cela engendre alors une augmentation du budget initial. D’un petit projet de collectivité, Caribus passe donc à un grand projet national d’aménagement urbain mené avec l’appui de l’État. Les deux lignes de bus prévues initialement se fondent en une seule grande ligne reliant la RN1 et la RN2, soit allant directement des Hauts-Vallons à Passamaïnty. À laquelle s’ajoutent des lignes secondaires : l’une allant jusqu’à Vahibé et l’autre circulant à l’intérieur de M’Tsapéré. « Il était donc désormais question de trois lignes de bus, ce qui impliquait un aménagement beaucoup plus lourd », confie Mohamed Hamissi.

En 2015, la création de la Cadema bouleverse le projet

En 2014, le nouveau maire de Mamoudzou, Mohamed Majani, obtient une subvention de neuf millions d’euros pour mettre en place le projet Caribus. « D’un budget de 24 millions d’euros en 2012, on est passé à un budget de 90.5 millions d’euros. De quoi pouvoir se constituer une solide ingénierie et recruter un mandataire qui pourrait agir pour le compte de la mairie. C’est Transamo qui a été choisi en 2015 », détaille l’ancien chef de projet. Mais c’est alors que la création de la Cadema la même année remet tout en question. « Depuis 1982, les communautés d’agglomérations ont la compétence obligatoire des transports publics », indique le cadre. La ville de Mamoudzou ne peut donc plus s’occuper de Caribus. Il faut alors signer un avenant de transfert de compétence vers la Cadema. Or Dembéni se trouve lésée puisqu’aucune ligne de bus n’avait été prévue pour desservir ce village. Il faut donc obligatoirement en créer une. « De trois lignes, nous avons donc été obligés de passer à quatre », se souvient Mohamed Hamissi qui précise que le projet « n’a cessé de subir des rebondissements en tout genre ».

La 4ème ligne voit donc le jour en 2016. « À ce moment, le projet était déjà bien sur les rails, sauf pour Dembéni car venaient se poser les habituelles questions du foncier et des nouveaux financements. À cette époque, le technicien que j’étais a subi un gros moment de solitude », se souvient l’ancien chef de projet avec humour. Il faut dire qu’à force d’attendre, plus personne ne croit à ce projet et il reçoit de vives critiques de la part des acteurs économiques. « Porter un projet à Mayotte n’est pas chose facile, il faut beaucoup de courage car les critiques sont souvent acerbes », affirme l’urbaniste. Bon an, mal an… Le projet avance malgré tout avec l’attribution de la déclaration d’utilité Publique en 2019 et le lancement d’une consultation pour recruter les entreprises. Il faut cependant encore attendre que passent les élections intercommunales de 2020 pour pouvoir continuer.

Des retard à cause des problèmes d’allotissements

Un projet d’une telle envergure nécessite obligatoirement de passer par un allotissement (fractionnement du marché en plusieurs « lots », ndlr.). Le marché lancé précédemment pour la première tranche s’annule en 2021 car le précédent ne suffit plus. « On est passé de quatre à huit lots. Il fallait donc casser le marché et relancer des procédures », poursuit Mohamed Hamissi qui se félicite qu’après autant de péripéties, la pose de la première pierre du projet ait enfin pu être faite le 10 février dernier. Si l’urbaniste a quitté la Cadema depuis pour se lancer dans de nouvelles aventures au sein de la communauté de communes de Petite-Terre, il reste très fier d’avoir contribuer à faire naître ce projet sur l’île aux parfums. « J’ai rempli la mission qui m’a été confiée et je suis parti avec fierté. »

Pour Mohamed Hamissi, 70% du chemin a déjà été parcouru. Reste évidemment à effectuer les travaux qui sont prévus sur quatre ans, « si tout va bien ». « La Cadema possède désormais une ingénierie de très haut niveau donc je suis confiant », affirme-t-il, tout en rappelant que le coût total du projet s’élève désormais à 245 millions d’euros. « Les matériaux et l’expertise des entreprises coûtent très cher à Mayotte. Cela en vaut toutefois la peine car Caribus est l’un des rares projets structurant de notre île qui en manque cruellement », conclut-il.

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